L’autisme, un autre monde ?

par Nom D’oiseau
vendredi 13 février 2015

Les cinq premières minutes sont les plus dures. Passé le choc de se retrouver dans un établissement aux allures de crèche, où les portes colorées portent en de grandes lettre capitales l’utilité des pièces qu’elle desservent, où le large escalier porte à chacune des extrémités de ses marches des embouts en plastique gris et mou, où la cantine est organisée en petits ilots de six où se mêlent voix joyeuses et cris d’impatience, c’est face à eux qu’un sentiment de mal-être s’installe.

Culpabilité de parler à des adultes comme on parlerait à des enfants de quatre ans, gênés des regards insistants pesant sur l’arrivée d’un nouveau bénévole, scotchés par leur bienveillance et leur accueil joyeux, nos mains ne savent plus où se mettre, nos yeux où se placer, et c’est en se dandinant d’un pied sur l’autre que nous essayons d’établir un contact, entre ce qui nous parait initialement comme notre normalité et leur monde confiné.

Le premier contact qui, pour ces jeunes autistes, passe d’abord par le toucher : on se serre la main, on se tient le bras, on frappe nos poings l’un contre l’autre. Puis par le regard, que certains comprennent fuyant, qu’ils recherchent et qu’ils soutiennent. Chacun cherche sa place. Eux trépignent d’impatience autours de nous, cherchant à rencontrer ces inconnus. Et puis alors, le dialogue. « Comment tu t’appelles ? Chloé ? T’es jolie, Chloé ». Ce qui passe pour lourd quand prononcé par un illustre inconnu parait ici très touchant. Cette spontanéité, cette gentillesse, cette bienveillance.

Il y a *Dorian, désireux de nous parler de sa passion pour Michael Jackson et pour ses séries télévisées. « Mais comment ça, tu le regarde en anglais ? Tu sais parler français, pourtant ! ». Il y a *Alban, perturbé par son départ prochain de l’IME où il a vécu pendant 15 ans. Il y a *Seb, qui veut à tout prix passer chez l’épicier –le franprix du coin- pour acheter sa canette de coca journalière. Il y a *Mohammed, qui ne se lasse pas de rire lorsqu’il aperçoit le crocodile en plastique d’un bateau sur les bords de Seine lors de cette balade qu’ils font souvent. Il y a *Valentin, qui s’assombrit lorsqu’il apprend que nous, nous savons écrire plus que notre prénom.

Tous ont entre 16 et 25 ans, et ne peuvent être scolarisés. Ils font partie des 32 jeunes internes du centre, auxquels s’ajoutent 31 jeunes dont l’autisme est à un stade moins avancé, qui rentrent chaque soir à la maison.

Sortir se promener durant deux heures avec une quinzaine d’entre eux et deux de leurs éducateurs n’est pas un parcours de santé. Traverser la rue, ne pas marcher sur la chaussée, courir moins vite sur la passerelle, ne pas sauter les marches, laisser passer les gens. Incapables de penser, il faut prévenir, attendre, rassurer, encadrer.

Les langues se délient. « Tu sais, Victorine, moi je sais bien que les gens savent que je ne suis pas normal. Parfois, ils me regardent bizarrement. Mais il faut juste les ignorer, je crois, non ? ». Parler des frères et sœurs, dont on connait le prénom mais pas l’âge, « pourquoi le retenir, il change à chaque année ! ».

Moment délicat où l’un d’entre eux s’adresse à un jeune sur un banc : « Eh, toi ! Ouais toi ! T’es un beau gosse ! ». On sent son visage se figer, comme incapable de réagir : une demi-seconde plus tard, et un grand sourire éclairci son visage, lorsqu’il répond avec bienveillance « Nan, c’est toi le beau gosse, mon pote ! ». La catastrophe est évitée. Evitée, parce qu’une réaction est imprévisible. La spontanéité a du bon, lorsqu’elle ne tourne pas en accès de colère.

Les cinq minutes après les avoir laissés sont les plus bouleversantes. Toutes les émotions qu’on a retenues, car branchées en pilotes automatiques tout au long de la sortie, surviennent alors, et les larmes montent aux yeux. Le constat est assez simple : venus pour leur apporter quelque chose, ils nous ont offert vingt fois plus. La condescendance n’a sa place nulle part, à l’IME. Un sacré paquet de sentiments emmêlés, depuis la nervosité du début, jusqu’à la surprise de les voir triste de notre départ.

« Mais, Sabine, elles partent où les petites filles ? Elles nous laissent ? »

 

 

*Les noms ont été changés, dans un soucis d'anonymas. 

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