L’avenir du « capitalisme »...

par lephénix
lundi 28 décembre 2020

 

Le « capitalisme » a donné à la civilisation occidentale sa force – et ses récentes faiblesses... Branko Milanovic, ancien économiste en chef à la Banque mondiale, s’attache à l’analyse de sa dynamique, vue « de l’intérieur ».

Notre modèle de développement actuel, fondé sur le profit maximal et la domination, tant sur la nature que sur les humains, « ne se conçoit pas au repos ». Considéré comme destructeur d’un point de vue « écologique » et social, il attise nos désirs, s’en nourrit, colonise notre imaginaire voire impose la répression par chacun de sa part d’humanité. Le "capitalisme" peut être considéré comme un « processus d’expansion indéfini » tissant sa toile de « mondialisation » et de « marchandisation » sur la planète voire dans l’espace... Branko Milanovic tente de le définir en économiste et convient de la difficulté de l’exercice en raison de ses « continuelles métamorphoses dans le temps et l’espace, dont témoignent de nombreux qualificatifs" : tour à tour, il serait sauvage ou régulé, de marché ou d’Etat, concurrentiel ou monopliste, commercial, managérial ou actionnarial, industriel ou financier, national ou mondial, etc. » Il est admis que l’histoire du « capitalisme » commence à partir du « moment où il investit la sphère de la production  ». Pour produire, « il faut non seulement acquérir des moyens de production matériels, mais aussi mobiliser des travailleurs  ».

Ainsi le rapport salarial devient l’une des institutions majeures du capitalisme. Aujourd’hui, « l’ensemble de la planète suit les mêmes principes économiques – une production tournée vers le profit, utilisant une main d’oeuvre salariée et libre d’un point de vue légal, et un capital majoritairement privé, avec une coordination centralisée ».

Branko Milanovic confronte deux modèles : le capitalisme libéral (américain) et le capitalisme politique (chinois). Le premier dérive vers la ploutocratie, le second vers une « corruption accrue ». L’actuelle opposition sino-étasunienne se résorbera-t-elle dans un « futur chinois » ? La corruption est « autant liée à la mondialisation que la libre circulation du capital et du travail » : « Elle est encouragée par l’idéologie de l’appât du gain qui sous-tend la mondialisation capitaliste, et rendue possible par la mobilité du capital. En outre, le capitalisme politique et la tendance ploutocratique du capitalisme libéral la « normalisent ».

 

Le principe d’incertitude

Le capitalisme aujourd’hui, c’est aussi un climat. Pour le moins un climat d’incertitude : quelles chances et quelle vie laisse-t-il à ceux qu’il met en compétition les uns contre les autres – ou à ses laissés-pour-compte, ses « inutiles » ? C’est aussi une question de balancier entre expansion et contraction, entre gavage et purge, entre booms, bulles et krachs, etc. Mais le balancier ne connaît que la marche en avant : « L’incitation à conquérir le monde est d’autant plus forte que l’accumulation du capital dès lors qu’elle s’accompagne de sa concentration et de sa centralisation, se traduit par l’émergence de très grandes entreprises, dont le pouvoir de marché leur permet d’extraire un surplus croissant. Cette logique est celle de l’impérialisme des grandes pouissances capitalistes, dont la lutte pour le partage des ressources et des marchés à l’extérieur fut l’un des facteurs conduisant à la Première Guerre mondiale. » 

Les oscillations du balancier le mènent-elles vers son effondrement, de « réformes » en changement de « paradigme » et de cycles de « réduction de coûts » en « réinitialisations » ? « Dans la vague de mondialisation que nous connaissons actuellement, un conflit évident est apparu entre l’Etat-providence, dont l’accès est basé sur la citoyenneté, et la libre circulation des travailleurs. Le fait que les avantages liés à l’Etat-providence ne soient accordés qu’aux citoyens et fassent donc partie de la rente de citoyenneté ne peut qu’entrer en tension avec la libre circulation des travailleurs. »

Jacques Ellul (1912-1994) rappellait que « la technique est exactement la limite de la démocratie  » : « Tout ce que la technique gagne, la démocratie la perd »... La désaffection des peuples envers la « chose publique » laisse augurer d’un pilotage technologique de nos démocraties et de la perte de souveraineté des individus sur leur propre vie. Le capitalisme libéral pourrait bien « s’orienter vers le capitalisme politique »... Ni le titre et sous-titre de l’essai ni son contenu ne laissent augurer d’une alternative possible : « La marchandisation de la sphère privée est l’apogée du capitalisme hypermarchandisé. Elle ne présage pas du tout d’une crise du capitalisme. Une telle crise ne pourrait survenir que si la marchandisation de la sphère privée était perçue comme une intrusion dans des espaces que des individus souhaitaient préserver de la commercialisation, et si elle les obligeait à entreprendre des activités contre leur gré. Mais pour la plupart des gens, il n’en est rien : c’est un pas vers l’enrichissement et la liberté. »

Ceux qui entendent refonder le rapport entre souci écologique et exigences de justice sociale voire « réparer le monde » dévasté par la course au profit devront-ils prendre leur mal en patience ? Leur souci de l’humain ou du vivant devra-t-il s’accommoder longtemps encore de la domination d’un ordre capitaliste autophage et tenu pour indépassable puisque présumé consubstantiel à la « nature humaine » ?

Ce système de « production de profits » s’écroulera-t-il sous le poids de ses propres inconséquences, lorsque le « capital de poids mort » n’accomplira plus, après la surexploitation de ses ultimes gisements de profits, sa présumée mission « sociale » ? Aucune dynamique de « génération de profits » n’est inépuisable, compte tenu du tarrissement des « gains de productivité » et des ressources terrestres comme de l’infini présumé contenu dans les désirs humains - ou de la capacité à les attiser sans arrêt et les nourrir.

Albert Einstein (1879-1955) avait, en un aphorisme célèbre, émis un doute légitime quant à l’infini de l’univers. Ce doute est également de mise, s’agissant de « l’illimitation » d’un système qui emprunte tant à l’avenir - jusqu’à l’assécher voire en calciner la possibilité ultime après la dissolution des frontières mentales qui soutenaient la « confiance » en son perpétuel jeu d’équilibre.

Branko Milanovic, Le capitalisme, sans rival, La Découverte, 304 p., 22 €


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