L’école et les ignares

par Tristan Valmour
jeudi 8 septembre 2011

Régulièrement fleurissent sur la toile billets et articles attribuant aux pédagogues la responsabilité des maux de l’école. Ce mouvement antipédagogiste emmené par monsieur Brighelli et madame Polony manipule des millions de citoyens avec des propos dignes du café du commerce. Des propos qui ne s’appuient sur aucune étude fiable ni ne reposent sur une compétence particulière de leurs auteurs pour en débattre avec justesse et précision. Malheureusement, un vent mauvais s’est levé en France, qui pousse mes compatriotes de Charybde en Scylla, annihilant tout esprit critique sous un déluge d’informations erronées. Las, le camp de gauche ne produit pas de meilleure analyse ni n’offre d’autre perspective que les habituels appels à davantage de moyens et la condamnation du libéralisme, comme si le problème se situait avant tout là. C’est donc pour rétablir un certain nombre de vérités que j’ai décidé d’écrire ce billet, en empruntant un langage clair et direct.

  1. Intus et in cute
 
« Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur » (Les Confessions, Rousseau). L’entreprise de dire toute la vérité parce que d’une part je n’ai aucun intérêt à la travestir, d’autre part j’ai la prétention de disposer de certaines compétences et connaissances en pédagogie pour en discourir avec justesse et précision.
 
Certes, sur la bio que j’ai bien voulu livrer, on lira ma sympathie pour Dominique de Villepin et pour Nicolas Dupont-Aignan – et je ne vais pas m’en excuser -, mais même si ma sensibilité politique me porte historiquement et fidèlement vers le gaullisme humaniste et social, je ne milite dans aucun parti, aucune association, aucun syndicat, contrairement aux « experts » qui hantent les médias. D’autre part, je suis loin de partager toutes les options de DDV et NDA, et demeure ouvert à la diversité des courants. Enfin, je n’ai rien à vendre ici, aucun livre, aucune prestation et ne suis prisonnier d’aucune ambition politique, d’aucune haine pour tel ou tel parti, religion, pays, système économique, etc. Mieux encore, j’abandonne toute idéologie à la vérité de l’expérience. Là se trouve mon idéologie.
 
 
  1. Derrière la critique du pédagogisme, la critique de la pédagogie
 
Il ne faut pas s’y tromper, derrière la critique du pédagogisme, il y a la critique des pédagogies, au profit d’une seule : un appel au retour du maître qui sait, de l’élève qui ignore, et à une seule méthode de transmission du savoir, le dressage.
 
Malheureusement, le cerveau humain ne fonctionne pas comme un disque dur, et le copier-coller ne produit aucun résultat probant. Les fanas (et fadas) de l’e-learning en sont pour leurs frais ; un savoir cela se construit ; une connaissance, cela s’approprie. Le disque dur ne contient, lui, que des informations.
 
La transmission du savoir à la Brighelli ou à la Polony, bref, les vieilles méthodes qui auraient fonctionné, c’est un conditionnement pavlovien ou skinnérien qui n’apporte au conditionné aucun sens ni connaissance. Pas sûr qu’un mainate ait conscience de ce qu’il répète.
 
 
  1. Brighelli et Polony : aucune compétence particulière pour discourir de pédagogie
 
Monsieur Jean-Paul Brighelli, engagé politique, est agrégé de lettres modernes et auteur prolixe. On ne peut nier ses compétences en lettres et rien ne permet de douter de ses qualités d’enseignant. Mais ce n’est qu’une expérience parmi des milliers d’autres. On n’observe aucune formation en psychologie de l’éducation ni psychopédagogie qui lui donneraient une autorité certaine en pédagogie.
 
Madame Natacha Polony, engagée politique, est agrégée de lettres modernes, diplômée de sciences-Po et journaliste. On ne peut pas davantage nier ses compétences en lettres ni son expérience de pédagogue. Mais ce n’est qu’une expérience parmi des milliers d’autres, et pas plus que monsieur Brighelli, madame Polony ne fait montre de connaissances particulières en pédagogie.
 
Si je suis loin d’avoir lu toutes les interventions de ces estimés auteurs – je préfère me référer à l’International Review of Education et à quelques autres publications anglo-saxonnes de qualité -, je n’y ai guère décelé de références scientifiques, d’études statistiques. Point de groupe de contrôle, d’études longitudinales, de distinction entre étude randomisée et non randomisée. Pas davantage de collaboration avec tel ou tel laboratoire en psychologie, ni même de référence aux travaux des chercheurs qui font autorité en la matière. Et bien entendu, une méconnaissance totale du système nerveux central.
 
Que l’on me comprenne bien, je ne dénie nullement à ces deux auteurs de qualité le droit de discourir d’éducation, je m’interroge seulement sur l’engouement qu’ils suscitent auprès du public et des médias en l’absence de toute référence scientifique sérieuse.
 
Et même si le personnage de Philippe Meirieu, leur cible privilégiée, peut être passablement irritant, même si les IUFM sont à mon avis un échec, au moins partiel, cet homme est quand même l’auteur d’ouvrages remarquables et connaît son sujet. 
 
 
  1. Les sciences de l’éducation ne sont-elles pas une science ?
 
Le courant néoconservateur accuse les sciences de l’éducation de ne pas être une science. En cela, il a parfaitement raison. Les sciences de l’éducation sont un patchwork de plusieurs disciplines, allant de l’histoire à la philosophie de l’éducation en passant par un peu de psychologie. Trop peu.
 
Mais d’autres disciplines portent pompeusement la dénomination de « science ». Je pense en premier lieu à la science économique et à la science politique. Science-Po n’est d’ailleurs qu’une fac d’histoire, de droit ou d’économie où l’on pratique davantage la méthodologie qu’ailleurs. La médecine est un art, pas une science, et les mathématiques sont une discipline hypothético-déductive.
 
Bref, le monde nous offre très peu de vérité scientifique. Quel que soit notre degré de savoir, nous sommes tous profondément ignorants. Comme le dirait un ami très cher, grand neurologue américain, « la vérité est dans mon Chardonnay ».
 
 
  1. Le « référentiel bondissant », un mythe
 
Pour se moquer des pédagogistes, et au-delà, des pédagogues, les partisans du dressage d’animaux attribuent à leurs adversaires l’emploi d’une langue absconse au travers d’expressions comme le « référentiel bondissant » qui désignerait le ballon.
 
Je me permets donc de briser le mythe et de décevoir les ufologues : jamais un ballon n’a été appelé « référentiel bondissant » par les pédagogues ou pédagogistes. C’est un hoax, un mythe, une légende.
 
En revanche, il est vrai que certains termes pompeux sont malheureusement employés et ne participent nullement à la clarté du débat. Mais, encore une fois, toute discipline est prisonnière de ce travers : je pense avant tout au droit et aux sciences économiques. Cela a pour objectif d’écarter les non spécialistes de tout débat, et c’est regrettable.
 
J’observe que les publications anglophones ne tombent pas (ou très peu) dans ces abus de langage. Au contraire, il y a une exigence de clarté et de rigueur dans la langue, sans effet de style ni poésie. On est pragmatique, on va à l’essentiel.
 
 
  1. L’élève au centre du système, un mythe
 
Les antipédagogistes critiquent le système éducatif actuel et surtout le fait d’avoir placé l’élève au centre des pratiques pédagogiques au détriment du savoir. Avec comme présupposé stupide que l’un exclut l’autre alors que l’un comprend l’autre en un ensemble indéfectiblement lié.
 
D’autre part, j’observe que les pratiques pédagogiques n’ont guère changé au fil des ans. Il y a certes eu des réformes régulières du programme, la grande réforme du collège unique (et encore, tout le monde sait bien qu’il y a dans nombre d’établissements des classes de niveau avec une orientation décidée), mais pas de bouleversement dans l’art d’enseigner.
 
Le programme est toujours national et s’impose aux établissements publics et privés sous contrat.
 
Les enseignants sont toujours libres de leurs pratiques pédagogiques.
 
Le programme est toujours découpé en parties qu’on appelle séquences, et chaque séquence s’inscrit dans l’ensemble du programme tout en constituant une unité autonome.
 
Certains profs présentent le plan des séquences, d’autres non.
 
La plupart des profs interrogent les élèves sur les notions essentielles abordées lors du cours précédent.
 
Certains profs font découvrir la règle en commençant par des exercices ou des exemples et applications pratiques, d’autres exposent la règle puis font faire des exercices et passent ensuite aux exemples et applications pratiques. Démarche inductive ou déductive.
 
Les profs donnent des devoirs à la maison, des interros surprise en classe, des contrôles, font passer des bacs et des brevets blancs, etc.
 
Certains profs ont passé des concours pour enseigner, d’autres pas. A ce sujet, il faut savoir que les dizaines de milliers de maîtres auxiliaires et vacataires ont été mis en situation professionnelle sans aucune formation pédagogique. Personne ne s’en est vraiment ému alors, et les élèves n’ont pas toujours vu de différence entre un vacataire, un agrégé ou un certifié.
 
En fait, comme je l’ai écrit, et comme vous pouvez le constater, les pratiques pédagogiques n’ont connu aucun bouleversement. Les profs passent juste un peu plus de temps, en début de cours, à interroger les élèves sur l’état de leurs supposées « connaissances ». Et on appelle cela faussement « la méthode constructiviste ».
 
Pas de bouleversement, et pour cause. Plus une organisation est importante et centralisée, moins elle est réactive. Le temps que le message du général parvienne au soldat, le premier a cédé sa place à un collègue.
 
Aucun ministre de l’éducation nationale n’a ainsi pu voir ses réformes appliquées suffisamment longtemps pour porter leur fruit ; pire, aucune n’a été évaluée.
 
De même, il n’y a aucune caméra dans les salles de classe pour vérifier que le professeur, ancien étudiant d’IUFM ait appliqué ce qu’il a appris. Le soldat est libre de choisir son arme.
 
Enfin, si le prof s’aperçoit que ce qu’il a appris (ou a mal appris, mal exploité) ne fonctionne pas, sa classe le lui fait immédiatement savoir, et il change alors d’approche. C’est aussi simple que cela et signifie donc qu’on ne peut incriminer les maux de l’école à une approche pédagogique particulière. C’est l’expérience qui commande l’approche, pas l’inverse ! Lorsqu’on a un outil inapproprié à la situation, on en change. Tout le monde procède ainsi, quel que soit la profession exercée. Les enseignants ne font pas exception.
 
On ne peut donc pas évaluer, sur des critères scientifiques, si l’enseignement dispensé dans les IUFM a eu un impact sur les pratiques pédagogiques des enseignants, et si ceux-ci sont la cause des malheurs de l’enseignement primaire, secondaire, supérieur. Personne n’en sait rien.
 
 
  1. Méthode globale, méthode syllabique, un mythe
 
On accuse la méthode globale d’être à l’origine des problèmes en orthographe. Il suffit de consulter les vieux manuels scolaires pour s’apercevoir qu’elle a rapidement été abandonnée.
 
D’autre part, qui a lu les études qui critiqueraient ou encenseraient l’une ou l’autre des méthodes ?
 
Voici un résumé (mais j’ai quelques autres docs sur le sujet) tiré d’un colloque international qui eut lieu aux Pays Bas et qui donna naissance à un ouvrage collectif : Explorations in Learning and the Brain (ed. Springer).
 
« Selon une étude méta-analytique (Ehri et al., 2001 notamment) : il y a de grands écarts d’un enseignant à l’autre dans l’efficacité de la méthode globale ou syllabique, pour les élèves dans le premier degré. On n’observe plus aucun écart à la fin du 3è degré. 
 
La méthode syllabique est bonne pour les classes moyennes et populaires, pour ceux qui lisent tôt, pour ceux qui ont des problèmes de lecture.
 
Ehri et ses collègues concluent qu’il faudrait employer la méthode globale associée à une approche phonique.
 
Pour rappel, les chinois n’emploient que la méthode globale, la méthode syllabique est tout simplement impossible. Il faut 3 ans pour apprendre les 4000 caractères chinois de base, ce qui demande beaucoup d’efforts. Il semble cependant que les asiatiques aient un QI supérieur aux autres.
 
Je pose donc une question (en fait je crois avoir la réponse) : et si la méthode globale faisait travailler davantage la mémoire de travail (du coup, ceux qui ont une mémoire de travail faible se trouveraient handicapés à court terme), à une époque de la vie (lorsqu’on apprend à lire), où les lobes pariétaux se développent beaucoup ? On gagnerait à long terme ce qu’on perdrait à court terme.
 
 
  1. Alors, qu’est ce qui a changé ?
 
Beaucoup comparent la situation actuelle avec une image magnifiée (et fausse) d’un passé plus ou moins lointain, pour en conclure que les maux de l’école (primaire, secondaire) relèvent des pratiques pédagogiques, de la responsabilité de Meirieu, d’une faute professionnelle des enseignants.
 
En l’absence de tout bouleversement, il n’en est rien. Alors, qu’est-ce qui a changé ?
 
 
L’omniprésence de l’écran
 
Depuis 1983, une enquête internationale sous le patronage de l’OMS évalue la santé des élèves de plusieurs pays tous les 4 ans : Health Behaviour in School-aged Children (HBSC). Les données de l’étude 2010 ne sont pas encore disponibles, nous devons donc nous référer à celles de 2006.
 
En 2006, l’étude a porté sur 7154 élèves français de 11, 13, et 15 ans, soit une population suffisamment importante pour valider les données recueillies.
 
Cette étude nous apprend que :
 
- les garçons de 11, 13 et 15 ans ont passé respectivement en moyenne 5,42 ; 6,71 et 6,23 heures par jour devant un écran (télévision, jeux vidéo, ordinateur). Par jour !!!
- les filles de 11, 13 et 15 ans ont passé en moyenne 4,32 ; 5,29 et 5,09 heures par jour devant un écran. Par jour !!!
 
Médiamétrie nous apprend pour sa part que dès 4 ans, les enfants passent en moyenne 2 heures par jour devant la télévision. Je ne dispose pas de données pour les jeux vidéo ou l’ordinateur.
 
Je pose donc une question simple : comment peut-on encore étudier ni même trouver du goût pour les études quand on passe en moyenne, de 4 à 7 heures par jour devant un écran ? Par jour !!! Cette étude n’a même pas comptabilisé l’utilisation du téléphone portable.
 
Je pose donc une autre question simple : où se trouve la responsabilité des pédagogistes, des pédagogues ou des enseignants dans cette cause n°1 du naufrage des élèves ? Ces activités chronophages entrent en concurrence avec le temps personnel de travail qui seul permet d’assimiler ce qui a été vu en classe. La mémoire a besoin d’être régulièrement réactivée, le savoir a besoin de faire sens (des exercices, la relation entre ce qui est appris à l’école et ce qu’on peut en faire au quotidien, la métacognition) pour être assimilé et devenir connaissance. Cela ne peut se produire que lors de la phase de travail personnel.
 
D’autre part, les effets insidieux des écrans sont multiples :
 
- Les élèves apprennent qu’il est normal d’être violent. Au mieux, ils deviennent insensibles à la violence via le processus d’habituation (terme de psychologie qui signifie : diminution de la réponse à un stimulus), au pire ils imitent les scènes, une conséquence de leurs neurones miroirs.
- Les élèves sont conditionnés par les jeux vidéo pour fournir une réponse parmi des possibilités programmées, ce qui leur enlève toute possibilité d’analyse fine. Ils deviennent donc incapables de percevoir la subtilité dans les énoncés. Ils sont conditionnés à ne percevoir et comprendre que des situations grossières (choix entre bouton 1 et bouton 2, j’obtiens 1000 points si je « tue » le monstre). Allez comprendre un texte de Victor Hugo après ça !
- Dans les films et séries, on présente une succession d’images rapides. Un policier entre dans une pièce, répond à un appel téléphonique, puis entre un autre personnage avec lequel il échange deux mots, puis un troisième surgit et il faut sortir. On enchaîne alors avec une autre scène. Bref, on présente une succession d’informations avec de nombreuses ellipses, et comme le cerveau n’aime pas le vide, il reconstitue les pièces manquantes pour comprendre la scène et anticiper la suivante. Il se produit alors une surcharge cognitive (la mémoire de travail, une mémoire temporaire qui retient entre 5 et 9 items, ne peut plus traiter les informations) qui favorise l’émergence de troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité.
- Cette succession d’images rapides, présentes dans les jeux vidéo et les films, conditionne les jeunes cerveaux à répondre rapidement à leur environnement, sans réflexion. Toute activité qui demande du temps et de la patience est donc jugée comme insatisfaisante.
- En conséquence du processus d’habituation, les stimuli nouveaux doivent être toujours plus grossiers, plus choquants pour satisfaire la volonté de découverte propre à chacun. On se demande : existe-t-il quelque chose de plus « hot » ? Une satisfaction qui ne peut qu’être temporaire et ne dure que jusqu’à ce que ces nouvelles situations grossières et choquantes soient associées aux situations anciennes présentes en mémoire. Il s’ensuit alors un processus de relativisation où ces situations grossières et choquantes sont normalisées et le sujet se met alors en quête de sensations encore plus fortes. L’habituation participe pleinement de l’apprentissage, et on s’habitue à tout.
- Les images en 2 dimensions habituent le cerveau à traiter les images en 2 dimensions et empêchent le développement commun des 15 zones de la vision. Exposer un bébé ou un enfant de moins de 6 ans aux écrans, c’est lui interdire de comprendre les notions physiques telles que la taille ou le poids. Il ne peut exister de programme télévisé pour ces enfants pour des raisons neurologiques. Les Oui-Oui et autres télétubbies ne sont pas plus indiqués qu’un autre programme.
 
Les enfants les plus jeunes doivent toucher et manipuler des objets. Ils doivent se mouvoir pour stimuler le système vestibulaire, pour comprendre les relations logiques. Ils doivent jouer aux puzzles pour développer les compétences visuo-spatiales (que l’on retrouve ensuite en géométrie par exemple), au jeu des 7 différences, etc.
 
D’anciens collègues me racontent avec désolation que les élèves envoient des sms en cours, qu’ils sont scotchés à leur téléphone portable dans les cours de récréation.
 
Comment l’austérité de l’école et les efforts à déployer pour apprendre, sans qu’il y ait de récompense immédiate, peuvent rivaliser avec l’attraction des écrans et la facilité pour les employer ? Dans l’histoire du développement du cerveau humain, le principe du plaisir est plus ancien que le principe de la crainte.
 
Un sportif qui ne s’entraîne pas avec assiduité ne peut réussir dans son sport. Quel que soit l’entraîneur, quel que soit la méthode d’entraînement.
 
Il est donc urgent de limiter drastiquement la consommation d’écran : télévision, ordinateur, jeux vidéo, téléphone portable. Pas plus de 2 heures par semaine.
 
Que se produira-t-il ? D’abord un conflit entre les enfants et leurs parents, qu’il ne faut pas éviter. Après tout, ce sont les parents qui décident, et les enfants qui obéissent. Puis des plaintes (« mais je m’ennuie, je n’ai rien à faire »), puis une période de sevrage (acceptation du sort), puis la naissance de l’intérêt pour d’autres loisirs et pour les études. Les résultats scolaires décolleront alors, sans avoir besoin de dépenser des centaines de dollars pour des cours particuliers.
 
Le mode de vie de nos enfants est incompatible avec les études, les enfants sont des drogués. Des drogués de l’écran, mais nombre d’entre eux fument et boivent, s’alimentent mal, et ne dorment pas assez.
 
Adopter une bonne hygiène de vie ne nécessite aucun investissement particulier, c’est à la portée de tous ; il n’y a aucune excuse à trouver. Il faut être très clair sur ce point. Et si c’était cela, le secret de la réussite des enfants de prof ?
 
La surinformation
 
Les enfants (terme générique qui inclut les adolescents) sont aujourd’hui en prise directe avec les informations. Une surabondance d’informations. Ils participent aux discussions des parents, regardent les informations télévisées pendant le repas, des films, des documentaires, etc. Ils accumulent ainsi une quantité impressionnante d’informations, dont beaucoup de fausses, d’autres sans explication. En plus, ils sont attirés, comme tout le monde, par ce qui est sensationnel, et donnent à un événement unique une portée générale.
 
Quelle est l’influence de cette exposition à l’information sur les apprentissages ? Cette abondance d’informations constitue un stock de représentations du monde qui entre en conflit avec les savoirs scolaires qui sont bien souvent contre-intuitifs et nécessitent une mise en contexte.
 
Au contraire, tout ce qui est présenté dans les médias de masse doit être simplifié pour des raisons d’audience.
 
Enfin, la surabondance d’informations empêche toute réflexion parce qu’elles sollicitent les cortex associatifs. Il faudrait les critiquer, les synthétiser, les vérifier dans différents contextes pour assurer un équilibre et solliciter ainsi les fonctions exécutives. Tout neurologue, tout psychologue sait parfaitement cela. Mais ce ne sont pas eux que l’on entend : ce sont les Brighelli et les Polony !
 
Des effectifs hétérogènes
 
Les établissements primaires et secondaires accueillent de nombreux élèves allophones provenant de pays étrangers. Ces élèves sont d’abord très respectueux parce qu’ils proviennent de pays (pays arabes, d’Afrique noire, d’Europe de l’Est) où le respect des parents, du professeur, de l’adulte est érigé en règle première.
 
Mais comme une grande partie d’entre eux vivra, pour des raisons économiques, dans un environnement de violence, ils se fondront dans cet environnement. Vous et moi ne sommes que ce que produit notre environnement.
 
D’autre part, les rares structures publiques où l’on enseigne le FLE ou le FLS (cours de français pour élèves qui ne parlent pas ou pas assez bien le français) sont surchargés, alors de nombreux élèves allophones sont intégrés dans des classes normales. Le prof qui a la charge de faire cours à tous ses élèves se trouve ainsi ralenti parce qu’il faut expliquer et réexpliquer. Et lorsqu’on ne comprend pas une situation, que ce soit pour des raisons linguistiques ou autres, notre système nerveux central nous envoie un signal de danger qui entraîne la fuite ou l’agressivité. Cela vaut pour tous les êtres humains ; ce n’est nullement lié à une culture, une religion, encore moins à une couleur de peau.
 
D’une manière générale, ne pas disposer d’un vocabulaire suffisant pour communiquer avec les mots conduit à communiquer avec les poings – que l’on soit francophone ou allophone - ou à ne pas communiquer du tout.
 
400 – 600 heures de français de moins
 
L’apprentissage de la langue est en effet fondamental pour étudier l’ensemble des disciplines proposées aux élèves du primaire, du secondaire, et du supérieur. Or, le lycéen de 2002 s’est vu dispenser de 400 à 600 heures de français de moins que ses aînés de 1972.
 
Connaître la langue d’étude permet non seulement de mieux comprendre ce qu’on apprend, mais aussi de mieux réussir ses devoirs. Parce qu’il faut lire et interpréter un énoncé, mais aussi démontrer. Donner un résultat exact ne signifie pas qu’on a compris.
 
Dans l’une de ses brillantes études, l’immense professeur de psychologie Alain Lieury (qui mérite vraiment ces qualificatifs laudatifs) a démontré que les collégiens aux moyennes générales les plus faibles avaient acquis 1000 mots nouveaux par an, lorsque leurs camarades à la moyenne la plus élevée en avaient acquis 4000. Pour rappel, l’étude entreprise par Alain Lieury et ses étudiants avait répertorié dans les manuels scolaires (toutes disciplines confondues), 6317 mots nouveaux en 6è, 9679 en 5è et 18073 en 4è. Words matter !
 
Comme il est impossible de supprimer l’informatique ou d’autres nouvelles disciplines au profit du français, une solution consisterait à augmenter la durée de la scolarité obligatoire. Après tout, ce serait un bon moyen d’utiliser l’allongement de l’espérance de vie, plutôt que d’employer cet argument pour faire travailler les gens plus longtemps.
 
Quoi qu’il en soit, ce qui n’est pas fait à l’école est comblé par les familles, or celles où l’on parle bien et où on parle de culture offrent à leurs éléments les plus jeunes de meilleures chances de réussite scolaire.
 
No futur
 
L’école n’est pas une fin en soi pour la majorité des élèves. C’est un passage obligé qui devrait déboucher sur une situation professionnelle, or il n’en est rien. Les jeunes ne sont pas dupes, et le tonton qui a son doctorat est aujourd’hui « caissier au prisu ». Il ne peut plus être érigé en modèle de réussite. Même les étudiants qui sortent d’HEC, de science-po ou d’autres formations prestigieuses ne sont plus assurés d’avoir un emploi stable, ce, malgré l’annuaire des anciens élèves. Les filières « inutiles » comme psycho ou philo ne sont pas les seules concernées.
 
Or, sans avenir professionnel pour couronner des études, il ne peut y avoir de motivation.
 
La motivation n’est pas un processus qui se décide. Elle naît d’un besoin de se transformer, de s’adapter et d’anticiper. On est motivé par la lecture d’un livre si on peut anticiper.
 
L’anticipation qui n’est autre qu’un contrôle du futur est le premier facteur explicatif de l’addiction aux jeux vidéo.
 
Etudier ne permet plus d’anticiper, pourquoi donc étudier ?
 
Résultat immédiat, résultat différé
 
Nous vivons dans une société où l’on s’est habitué (on dirait plus volontiers conditionné) à un résultat immédiat. Tout est simple : j’appuie sur un bouton, je compose un numéro, et j’obtiens ce que je souhaite.
 
Etudier est un peu plus complexe ; c’est une activité solitaire et éprouvante où l’on peut déployer beaucoup d’efforts sans obtenir de résultat immédiat. Cela entre en complète opposition avec l’image de la facilité que nous vantent les publicités.
 
 
  1. Tout le monde peut transmettre
 
Transmettre n’est ni une affaire de pédagogie unique qui s’imposerait à toute situation, ni une affaire de spécialiste. Tout le monde peut transmettre, et comme dans toute activité, rien n’est plus important que l’expérience qui a besoin de temps pour se former. Quand on sort d’une école, on ne sait rien.
 
Les universités américaines et les charter schools (écoles « privées ») font d’ailleurs de plus en plus souvent appel à des professionnels (ingénieurs, médecins et autres employés dans divers secteurs) pour aider les enseignants. Cela offre l’avantage inestimable de concrétiser les enseignements, d’effectuer des liens entre le monde scolaire, théorétique ou propositionnel, et le monde du travail. L’élève ou l’étudiant comprend ainsi mieux le sens de telle ou telle formule mathématique parce qu’on lui explique ses implications concrètes. L’apprentissage fait alors sens.
 
Voilà de quoi le système éducatif français devrait s’inspirer.
 
 
  1. Mais enseigner n’est pas transmettre et apprendre n’est pas mémoriser
 
Enseigner n’est pas transmettre, c’est conduire l’élève à accéder au stade de la connaissance en modifiant ses représentations, c'est-à-dire ce qu’il croit être vrai, ses préjugés.
 
Tout être humain vient au monde avec des représentations qui lui sont personnelles et qu’il a construites dans son environnement. Ce qui fait que chaque être humain est unique et interprète toute situation à laquelle il est exposé en fonction de ses acquis. On ne lit ni n’écoute : on interprète, on reconstruit. L’être humain considère que ce qu’il sait est vrai tant qu’il n’a pas fait l’expérience des limites de son savoir. Par exemple, quand un nuage noir passe au-dessus de sa tête, il pleut.
 
On aura beau lui transmettre (selon les orientations pédagogiques de Brighelli et Polony) l’information qu’il y a des nuages noirs qui ne donnent pas de pluie, ou qu’il peut pleuvoir sans nuage noir, il n’intègrera pas le concept, juste les mots employés pour l’énoncer. Il pourra donc répondre correctement à une interrogation orale ou écrite, mais il n’aura pas modifié ses représentations.
 
Toute pédagogie qui consiste à dire « les choses sont comme ça, les choses sont comme si » ne fonctionne pas. C’est du dressage qui ne modifie en rien les représentations des élèves. Voilà pourquoi ils confondent toujours Martin Luther King avec Martin Luther ou placent la première République en 1789.
 
Un dernier exemple, simple. Lorsque vous apprenez une combinaison de mouvements dans des activités sportives (qui, parce qu’ils sollicitent le cervelet, s’apprennent et se retiennent plus facilement que les activités abstraites), votre coach vous montre les mouvements à exécuter (et/ou il les explique), et parce que vous disposez de neurones miroirs, vous êtes capables de les enregistrer. Mais lorsque vous devez pratiquer ces mouvements, vous n’imitez pas votre moniteur, vous personnalisez les mouvements, vous développez un style personnel. Vous avez reconstruit les informations transmises pour les adapter puis vous leur avez donné un sens en les exécutant : c’est cela la connaissance.
 
Enseigner, c’est :
- partir des représentations des élèves (ce qu’ils savent ou croient savoir) ;
- montrer les limites de leurs représentations en les exposant à des situations qu’ils n’ont pas encore vécues afin de créer un conflit cognitif ;
- démontrer (par l’expérimentation, par le raisonnement…) qu’il existe des représentations plus appropriées ;
- s’assurer qu’ils ont bien compris en leur proposant des exercices mais aussi en sollicitant leur créativité afin qu’ils utilisent leurs informations dans des situations inédites, si possible concrètes, pour accéder au stade de la connaissance et s’extraire de l’information mémorisée.
 
Un prof n’est pas un journaliste qui transmet une information ; c’est un agent transformateur qui permet à l’élève d’accéder au stade de la connaissance afin de faire sens.
 
Il y a différents types d’apprenant et aucune pédagogie n’est correctement adaptée à tous ; c’est le problème de l’enseignement de masse.
 
Malgré tout, voici ce qui donne les moins mauvais résultats en enseignement de masse d’un point de vue « rapport coût/bénéfice » :
- Pour les écoles élémentaires et le collège : la pédagogie explicite (projet Follow Through) ;
- Pour le lycée : pédagogie explicite pour les élèves faibles et dont le niveau de culture est insuffisant ; pédagogies constructivistes pour les autres.
 
Attention : j’ai bien écrit « les moins mauvais résultats… ». En réalité, il faudrait s’adapter à chaque élève, ce qui aurait un coût prohibitif pour les Etats.
 
 
  1. Et Pisa dans tout ça ?
 
On me dira alors « Tristan, c’est bien beau ce que tu racontes, mais la France est mal classée à Pisa. C’est donc la faute aux pédagos. »
 
Je leur répondrai alors :
 
- lisez mes articles sur les évaluations, vous comprendrez combien Pisa est biaisé. Pas plus qu’un autre test, certes. Tout test ne mesure que l’aptitude à passer un test.
 
- Pour pisa, si vous ne répondez pas correctement aux items à 15 ans, il y a peu de chance que vous vous intégriez à la société une fois adulte. J’invite donc les adultes à passer les items proposés pour mesurer s’ils sont eux-mêmes intégrés. Certains ministres qui ne savent pas faire une règle de trois nous surprendront.
 
- Qui connaît la méthode de sélection des établissements scolaires participant à Pisa ? Savez-vous que certains pays se sont désistés (comme le UK) lors de certains rounds parce qu’ils ne s’estimaient pas prêts ?
 
- Observez les premiers (Shangai, Singapour, Hong Kong, Corée du sud, Finlande, Japon) : leurs élèves de 15 ans fréquentent des établissements scolaires urbains ! En France, à cause du redoublement, on a une chance sur 2 d’être dans un collège, or il y a de nombreux collèges en campagne. Les critères démographiques, sociologiques et géographiques ont leur importance et faussent toute comparaison. De plus, l’emploi de langues différentes implique automatiquement un biais important.
 
- Observez les premiers : les élèves appartiennent à des pays formatés pour les concours. Aux Etats-Unis, les asiatiques et les Juifs trustent les concours, pour des raisons culturelles : il y a un profond respect pour les enseignants, une valorisation des études. Ils se donnent à fond dans tout type de concours. Les élèves français qui passent Pisa se disent qu’ils n’ont rien à gagner, alors ils ne sont aucunement motivés à passer ces tests. C’est ce qu’ils ont répondu à une question dans les annexes.
 
- Observez les items : on y montre des plans de métro, des mails, et on demande aux élèves de résoudre des situations pratiques très éloignées de l’enseignement humaniste à la française.
 
- Pisa est un instrument politique d’harmonisation des politiques éducatives dans l’objectif de proposer une éducation de masse où chacun serait capable de lire un plan de métro. Cela ne va pas au-delà. Comprendre le plan de métro ou le remettre en question n’est pas à l’ordre du jour.
 
Points de suspension !

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