L’écriture est déjà inclusive

par Orélien Péréol
jeudi 23 novembre 2017

Il n’y a pas de débat contradictoire sur ce qui s’appelle à tort l’écriture inclusive. L’écriture du français est déjà inclusive, le masculin étant aussi le neutre et si cette coïncidence gène ceux qui y voient du sexisme, il serait plus juste du point de vue de l’analyse grammaticale d’appeler le masculin masculin-neutre. Dans il pleut, ou il faut faire ceci, le il n’est pas un masculin, il ne montre pas plus un homme qu’il ne cache une femme (ni le contraire cacher l’homme, montrer la femme), comme les seuls discours publiés le répètent à foison (foison nom féminin sans e).

Le bâti de cette « nécessité », appelée abusivement écriture inclusive, passe une série de points prétendument analytiques, qui ne résistent pas à un examen juste ordinaire. Les deux points principaux sont : le e n’est pas vraiment la marque du féminin, en français ; la grammaire est dans la dimension du symbolique, le sexe dans celui du réel. Mots féminins sans  : maison, raison, nation… les grandes valeurs : liberté, égalité, fraternité… Vous en trouverez d’autres. Mots masculins avec  : homme, lycée, sable, âge… on ne peut pas, en voyant un e final à un mot, dire : c’est un nom féminin. L’autre point : Le genre n’est pas le sexe. Les choses n’ont pas de sexe et les mots qui les disent ont un genre. C’est arbitraire. Une bicyclette, un vélo. La pomme est un fruit. Un homme est une personne. Une femme est un individu. Une girafe peut être un mâle. Une victime peut être un homme… le mannequin aima la sentinelle (sexe et genre sont inversés).

Il y a longtemps qu’on n’apprend pas dans les écoles que le masculin l’emporte sur le féminin. Les enseignants sont des femmes à 80% en primaire, (il faudrait étudier les raisons qui font que personne ne prend en compte ce fait ni ne demande la parité) ; elles enseignent l’arbitraire de cette règle qui va avec l’arbitraire de la langue, d’une manière générale (il n’y a aucune raison pour qu’on dise le raisin et la banane) : il fallait bien faire quelque chose, on accorde au masculin. La pomme et le raisin sont mûrs : comment peut-on nous raconter que ce mode d’accord signifierait l’apprentissage que le masculin a une valeur supérieure au féminin, dans la vie entière des humains, dans la vie sociale ? Comment peut-on proposer comme solution des inégalités sociales entre les sexes d’écrire Le raisin et la pomme sont mûres ? Par la répétition des mêmes exemples bien choisis, par leur répétition insistante et insensible à l’argumentation.

L’orthographe est en perdition. L’idée de l’orthographe s’est largement éventée, car elle demande une concentration sur la forme des phrases, inutile, parasitaire. On passe des milliers d’heures dans les classes à demander d’accorder le verbe et le sujet, d’accorder les adjectifs dans les groupes nominaux et on voudrait créer une nouvelle règle qui nécessite une attention encore plus grande à la forme du discours ? Jamais on ne dira Les hommes et les femmes sont belles par proximité du nom femme avec l’adjectif. Cette proximité n’est pas sensible quand on parle, ou alors, il faut s’écouter parler, s’écouter parler intensément.

Le mode opératoire de celles qui défendent cette idée est fortement marqué par une tonalité farouche qui fait ressentir qu’elles ne cèderont jamais. Partant, pas de débat. Elles répondent à ceux qui sont contre comme s’ils avaient défendu la domination masculine, des horreurs, quoi. (Je suis une horreur, n f qui ne porte de e et je reste un homme dans mon corps). C’est la caractéristique, presqu’une définition de l’idéologie : un discours cohérent en interne, sans lien avec le réel, avec ce qui se passe vraiment, et qui inclut l’impossibilité « morale » d’une opposition et donc, d’opposants. Les contradict(rice)eurs (je m’amuse) sont exclu(e)s avant même d’avoir dit quoi que ce soit. Du point de vue de la logique, c’est un sophisme de grande taille.

Il reste nécessaire de croiser les arguments. Le e est-il la marque du féminin ? Le sexe et le genre sont-ils incommensurables ou dépendants ? L’orthographe peut-elle résoudre des problèmes sociaux (avec tous les problèmes qu’elle a déjà) ? Les relations entre les hommes et les femmes dans les pays dont la langue est genrée autrement, pas genrée du tout… etc. sont-elles différentes de ce qu’elles sont dans les pays francophones ? Non. Celles qui veulent cette « réforme » savent que non. Bref, échanger des idées, résoudre les difficultés par le débat, c’est-à-dire par le langage et le respect de la contradiction et du contradicteur. Nommer le masculin masculin-neutre, ce qu’il est, plutôt que d’imposer par l’inertie, la ténacité et l’absence de doute, une écriture alambiquée et impraticable.


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