L’égalité femmes-hommes : le bluff de la « grande cause nationale »

par Comité Carnot
mercredi 8 novembre 2017

Le gouvernement avait annoncé qu'il ferait de l'égalité hommes-femmes une grande cause pour le quinquennat. Mais les premiers pas accomplis en ce domaine laissent sceptiques. encore une instrumentalisation de la cause des femmes ? 

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Le mouvement sans précèdent de témoignages de harcèlements sexuels sur les réseaux sociaux et relayés par les médias depuis quelques semaines atteste d’un malaise collectif et de faits et expériences trop souvent étouffés et gardés pour soi

 

Ce combat n’est pas restreint aux milieux militants et engagés, il est désormais mis en lumière par les médias : une telle exposition oblige le gouvernement à prendre position.

 

On ne peut que souligner cet élan positif et les bénéfices pour la cause de l’égalité femmes-hommes, malgré les potentielles dérives dénoncées par certains. Emmanuel Macron a réaffirmé le mois dernier qu’il considérait l’égalité femmes-hommes comme la cause nationale de son quinquennat. Or, il faut craindre que cette déclaration soit en décalage avec l’engagement réel du gouvernement sur ce terrain.

 

Dès le début de sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron a affiché sa volonté de faire de l’égalité femmes-hommes une des missions de l’Etat. Pour ce faire, son programme détaillait deux objectifs : aider les femmes à concilier vie professionnelle et vie familiale d’une part, lutter contre le harcèlement et les agressions dont les femmes sont victimes, d’autre part. Durant l’entre-deux-tours, le candidat avait fait savoir par un tweet qu’il souhaitait la création d’un « ministère plein et entier des Droits des femmes », laissant ainsi penser que l’égalité femmes-hommes serait une politique publique à part entière du gouvernement. Cependant, le 17 mai 2017, l’annonce de la composition du gouvernement d’Edouard Philippe marque un premier recul pour la cause. En effet, c’est une secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes qui est nommée, placée auprès du Premier Ministre.

 

Ainsi, la mission de l’Egalité entre les femmes et les hommes ne se voit pas attribuer un ministère de plein-exercice. Au-delà du symbole, le secrétaire d’Etat dispose de moyens d’action plus limité. Or, comme le recommande le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes [1] (HCE) dans un rapport publié le 27 juillet dernier, une politique d’égalité réussie nécessite une action transversale et donc interministérielle.

C’est ensuite à peine un mois et demi plus tard que la mission publique de l’Egalité femmes-hommes est de nouveau restreinte, et cette fois-ci matériellement. Dans un contexte actuel de finances publiques dégradées, et un gouvernement contraint de respecter un déficit public en dessous de 3% du PIB, c’est le « programme 137 : Egalité entre les femmes et les hommes » (dénommé ainsi dans le projet de loi de finances) qui voit son budget diminuer (comme par ailleurs, l’armée, la Justice, les collectivités). Ce sont donc 7, 5 millions qui sont retirés par un décret du ministère de l’Action et des Comptes publics. Ce que l’on doit souligner ici c’est que ces 7, 5 millions d’euros représentent 25% du budget du programme- une somme non négligeable- mais surtout que ledit budget ne représente que 0,007% des dépenses totales de l’Etat- une somme dérisoire- au regard des autres dépenses. Alors que le budget alloué à la cause de l’Egalité pèse peu dans les finances publiques, c’est lui qui est mis à contribution. Moins de trente millions d’euros pour promouvoir l’Egalité et lutter contre les violences semble insuffisant lorsqu’on compare la France à l’Espagne- qui elle dépense trois fois plus- ou encore le Canada quatorze fois plus, proportionnellement au nombre d’habitant.

 

Or, Le HCE, toujours dans le même rapport mentionné ci-dessus alerte sur l’urgence à la mise en œuvre effective des lois déjà votées. Les normes existent déjà, il faut désormais les faire appliquer, et donc dédier les moyens humains et financiers pour mener une réelle politique publique dans ce sens.

 

 

En témoigne les différences de salaires dans les entreprises, où malgré un dispositif législatif concernant l’égalité de rémunération, la majorité des structures ne sont pas en règle. Ainsi, les inégalités entre les femmes et les hommes perdurent et leur résorption n’en est que ralentie.

 

Conscient peut-être de l’erreur de communication d’une telle restriction budgétaire, le gouvernement a annoncé en septembre dernier une augmentation de 450 000 euros supplémentaires pour le programme 137.

 

Une augmentation symbolique, à l’image de ce que semble être la mission d’intérêt général de l’Egalité entre les femmes et les hommes pour le gouvernement, ce dernier en faisant une « grande cause nationale ». En effet, il s’agit de rappeler ce que signifie une « grande cause nationale ». C’est en réalité un label gouvernemental (datant de 1977) qui est attribué chaque année à une campagne d’intérêt public, autour d’un thème. En pratique, il était d’usage que le Premier ministre choisisse une cause, et les associations concernées envoyaient leur candidature à la direction du développement des médias, une antenne des services du Premier ministre. Ainsi, le label permettait aux organismes choisis d'obtenir des diffusions gratuites de messages sur les radios et télévisions publiques. Ainsi on l’aura compris, le but est simple : que la cause défendue bénéficie d’un traitement médiatique favorable. L’initiative peut être louable. En revanche, on peut ne s’empêcher de constater l’ironie de la situation actuelle. Le déferlement médiatique par vagues de ce qu’on pourrait qualifier de « libération de la parole » au regard du harcèlement sexuel s’est propagé sans l’aide de diffusions gratuites et campagnes de communication. L’élan de ce mouvement, on l’a dit, a émergé hors des cercles militants. Il est venu de toutes les femmes, de tous les milieux, il est venu des lieux de vie, des lieux de travail, des lieux publics. Maintenant que la prise de conscience semble s’amorcer et que l’affirmation de ce problème sur la place publique ne semble pas se tarir, il est indéniable que l’égalité femmes-hommes mérite désormais mieux qu’un simple label, davantage une réelle institutionnalisation au niveau des missions d’intérêt général dont est en charge l’Etat. La mobilisation l’atteste, il y a désormais une urgence à en faire une véritable politique publique. La médiatisation n’est pas venue des institutions, en revanche l’action doit émerger de celles-ci pour que le combat soit mené.

 

Certes, le gouvernement entend « impulser et coordonner » - à travers le programme 137 - « les actions relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie professionnelle, économique, politique et sociale, à la promotion des droits et à la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes », ce qui se traduit concrètement par un projet de loi en 2018 « contre les violences sexistes et sexuelles » prévoyant : l’allongement des délais de prescription des violences sexuelles faites aux mineures ; la fixation d’un âge minimal en dessous duquel le viol est constitué de fait ; la verbalisation du harcèlement de rue. En parallèle a été lancé en octobre dernier un « Tour de France de l’égalité » qui permettra de recueillir les besoins et souhaits des femmes et des hommes et de partager les pratiques observables sur le territoire.

 

Cependant, le mouvement de libération de la parole sur le harcèlement sexuel semble appeler à davantage d’actions encore. En effet, le phénomène marque certainement un tournant. C’est d’abord l’Affaire de Pontoise en avril 2017 - une fillette de 11 ans a porté plainte pour viol contre un homme de 28 ans, le parquet a considéré qu’elle était consentante et a requalifié les faits « d’atteinte sexuelle » - qui semble amorcer une prise de conscience de l’opinion publique face aux carences dans la répression des affaires de viol. Puis, c’est « l’Affaire Weinstein » et l’apparition des hashtags qui cristallisent véritablement le mouvement. A titre indicatif, entre le 13 et le 18 octobre, 335 300 messages ont été publiés sur Twitter avec #balancetonporc, dont 17 000 témoignages d’agression et de harcèlement. Il s’ensuit ensuite de nombreuses dénonciations, plaintes et témoignages publics allant de l’humiliation au viol, et des dérives ordinaires aux faits considérés par la justice comme des délits ou des crimes, à l’encontre d’hommes de tous milieux, célèbres ou non.

 

Ces mots et paroles brandis ne sont malheureusement qu’une preuve - qu’on souhaiterait ultime - des violences sexistes. Ils semblent surtout, par leurs flots, outrageusement crier la nécessité de faire de l’égalité femmes-hommes, une politique publique portée au plus niveau. 

 

Sarah Hermann

[1] http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_avis_orga_pol_ddf_2017_07_25.pdf


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