L’enfant-roi, l’individualiste intégriste de demain ?

par BUOT-BOUTTIER
vendredi 2 février 2007

Nos gamins sont mal éduqués. Ils ont le nez qui coule, ne disent pas bonjour à la dame et boivent du Coca-Cola américain à longueur de journées. Face à ce constat désolant, point de demi-mesure, il faut rétablir l’ordre républicain.

Travail, Famille, Patrie. Un remède simple qui cloue le bec à toutes les préconisations psychologisantes de ce début de siècle. Le mal ne peut plus proliférer ainsi, il est urgent de l’éradiquer. Le port de la blouse, le retour à la non-mixité, La Marseillaise dès la première heure de cours, le bonnet d’âne et la règle qui cingle les doigts des malotrus sont les premières mesures qu’il faut prestement rétablir dans les écoles de nos petites têtes brûlées. Pour leurs aînés, le retour au service militaire, pour apprendre l’allégeance à leur patrie nourricière. Quant aux plus récalcitrants, le bagne n’a-t-il pas fait ses preuves en son temps ?

Voici une sorte de mise en bouche d’un programme que pourrait peut-être nous offrir notre parti national d’extrême droite face au problème de société que représente l’enfant-roi.

Un problème qui glisse entre les doigts car le chimilimilblik enfant-roi n’a pas d’odeur, pas de couleur, pas d’âge, ni d’origine. Toutefois, et fort heureusement, il a une particularité qui permet de le reconnaître au milieu de ses semblables. Il crie volontiers, tape des pieds, exige, est impatient, intransigeant, égoïste, boudeur, moqueur et souvent, au fil du temps, manipulateur. L’enfant-roi est un petit d’homme intelligent qui ne manque pas d’apprendre la vie à ses parents.

Si l’on estime que son comportement est un problème dont le protagoniste et son environnement souffrent. Si l’on constate, en y réfléchissant bien, que l’on en croise de plus en plus souvent, en faisant ses courses, peinard, dans son petit supermarché de quartier. Si l’on prend conscience de cela, alors, ne serait-il pas temps de reconnaître que nous sommes face à un vrai problème de société ?

Dans la mesure où la théorie des gènes du mal est une pantalonnade sur laquelle il serait perte de temps de s’attarder, quelles pourraient être les causes d’un tel comportement ? Un travail éducatif de terrain permet de repérer un environnement propice à la genèse de cette problématique. Une mère souvent isolée, dépassée, un père absent physiquement et/ou psychiquement et un enfant qui joue son rôle, celui de tester l’adulte pour se confronter aux limites de la relation et plus globalement à celles du monde. Des limites qui représentent un cadre dont le gamin a besoin pour se rassurer face à l’infini et pour se construire. Or, si le parent est fragilisé, s’il doute, s’il confond l’éducation qu’il a reçue avec celle qu’il doit donner, s’il ne peut s’empêcher de voir, en son gamin, celui qu’il a été, s’il croit que l’amour suffit pour éduquer, il peut céder à la tentation de dire plus souvent oui que non. L’adulte tente ainsi d’être en paix (ce qui est un leurre) et se rassure en pensant que de cette manière, il prouve à son enfant combien il l’aime. Le parent pourra d’autant réagir de cette manière s’il a souffert de privations durant sa propre enfance. Une sorte de compétition affective entre les deux parents, notamment lorsqu’ils sont séparés, peut être également un enjeu dans ce contexte. Enfant et parents, englués dans un « jeu » pernicieux, seront, dès lors, pris dans les tourments d’un cercle vicieux puisque le gamin ayant nécessairement besoin de repères clairs et de limites, continuera à pousser le parent dans ses retranchements. Des enfants en arrivent ainsi à commettre des délits et à prendre le chemin de la délinquance, juste pour continuer à tester les limites du monde adulte auxquelles il ne parviennent pas à se confronter. Nombre de jeunes des quartiers sont pris dans les filets de cette problématique.

Le phénomène semble particulièrement toucher les familles monoparentales, mais pas seulement. Le lien entre toutes les familles qui vivent ces situations reste l’absence, l’incohérence ou l’insuffisance d’un cadre éducatif, de repères, d’interdits, soit de frustration. Un rôle qui, de manière symbolique et concrète, est dévolu au père, ou au beau-père, sans toutefois exclure la mère de ce positionnement. Un rôle dévolu à « l’autre » qui vient faire tiers dans la relation entre la mère et l’enfant. Un « autre » qui saura, quand cela est nécessaire, jouer le mauvais rôle de la frustration. En effet, dire non, poser des limites, c’est prendre le risque, durant quelque temps, de ne pas être aimé, voire d’être détesté par l’enfant. Il est préférable de ne pas avoir subi soi-même trop de carences affectives pour pouvoir accepter et supporter l’attitude réactive de l’enfant - une situation dans laquelle se retrouvent souvent les éducateurs. Rien de valorisant ! Or, si le parent (tout comme l’éducateur) vit de manière difficile cette colère reçue de l’enfant, ce dernier le ressentira et mettra alors en doute la légitimité de cette frustration. En termes plus clairs, le parent, père, mère ou l’éducateur qui pose un interdit, doit être convaincu de l’aspect bénéfique et constructif du message qu’il adresse à cet instant à l’enfant. Un gamin n’accepte et n’intègre que ce qui est juste et perçu comme tel par l’adulte qui pose l’acte.

Bien sûr, l’idée n’est pas de poser des interdits à chaque instant de la vie de l’enfant. Certains parents ayant subi cette forme d’éducation « à la dure » pensent qu’il est bon d’en faire autant avec leur enfant. Les conséquences sont tout aussi désastreuses. Le gamin vit un sentiment intérieur d’injustice et de révolte qu’il peut retourner contre lui ou qui le pousse à agir contre autrui. Une certaine souplesse, une grande cohérence et une bonne mesure sont donc les maîtres-mots. Plus facile à dire qu’à faire, bien entendu ! Mais l’idée est que l’enfant sache qu’il est des choses avec lesquelles le parent ne négociera pas, et que c’est bien parce qu’il aime son enfant que les choses sont ainsi. Il est également important de mettre des mots sur les raisons de l’interdit. Il faut que la frustration ressentie par l’enfant ait un sens.

Tout ceci fait partie du travail de socialisation de l’enfant, il s’agit de lui apprendre à « faire société ». Et c’est sur ce point que se niche la difficulté de l’enfant-roi, faire société, aller vers, échanger, partager, accepter les limites et les oppositions de l’autre. Le gamin-roi, centré sur son plaisir qu’il estime devoir être satisfait selon ses exigences, ne se soucie pas de son environnement, qu’il n’a d’ailleurs guère envie d’aller découvrir.

Un enfant, adolescent, puis adulte qui, si l’on n’y prend garde, sera le prototype de l’individualiste intégriste de demain.

Isabelle Buot-Bouttier.

Référence bibliographique :

Pourquoi l’amour ne suffit pas, Claude Halmos, Editions Nil.


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