L’esclavage sera le genre humain

par Bernard Dugué
vendredi 27 janvier 2012

Parfois, une phrase, vraie ou fausse, détonne de toute sa révélation sur une vérité du système qu’on avait pressentie sans en avoir une claire idée, ou qu’on avait occultée parce qu’elle n’est pas bonne à entendre. Sur le plateau de ce soir ou jamais, l’économiste Nicolas Baverez est intervenu sur la question de la crise financière et nous a gratifié d’un cas d’école en matière de raisonnement. Commençons par le contexte idéologique largement consensuel en matière de science économique. Beaucoup de pays sont affectés par une dette souveraine conséquente, pour ne pas dire colossale. Au tableau d’honneur ne figurent que quatre pays de la zone euro alors que des nations de taille respectable comme l’Espagne ou l’Italie sont dans le collimateur des agences de notation, la France étant pour l’instant un bon élève dont le niveau a légèrement baissé, ce qui inquiète cependant les analystes car la dette française se chiffre à plus de 80% du PIB et la récession nous guette. Ainsi, la plupart des économistes et politiciens ont placé la dette comme problème numéro un à solutionner. Un détail à observer, ce n’est pas le montant de la dette qui conditionne la notation. Pour preuve, avec un endettement équivalent, le Canada bénéficie de la meilleure note, la France est juste en dessous et le Portugal est classé dans la catégorie à risque. Le Japon est noté comme la France malgré un endettement de 225 % alors que l’Irlande, avec 94%, est placée deux crans en dessous sur cette échelle simplifiée qui en compte 6. L’endettement ne fait pas la note. Bien d’autres facteurs sont pris en compte et notamment les perspectives de croissance.

C’est sur ce point qu’est intervenu Baverez en évoquant la situation des pays développés et endettés qui, comme la France, ont une croissance modérée pour ne pas dire faible, alors que d’autres pays dits émergent se caractérisent par un endettement modéré et une croissance forte. Conclusion de notre économiste disciple de Aron, l’endettement explique la croissance faible alors qu’une politique vertueuse favorise la croissance. Et donc, il faut réduire nos déficits et notre dette. Et si on inversait les causalités. C’est plutôt la croissance élevée qui expliquerait le faible endettement des pays émergents, enfin, disons ceux qui entrent dans le cadre de la démonstration de Baverez. Ainsi, la Chine a un endettement assez faible, comparé aux autres pays industrialisés. Néanmoins, une croissance forte ne produit pas forcément une dette souveraine élevée, alors qu’une croissance faible est tout à fait compatible avec un endettement modeste. Tout dépend de deux paramètres, d’abord la durée. Les dettes sont le résultat d’une accumulation des emprunts obligataires contractés dans le passé. La durée des emprunts est variable, pouvant s’échelonner sur du court, moyen ou long terme. Quant à la dette d’un moment présent, elle a aussi une structure, étant composée d’obligations aux taux et durées variables. Comparer des dettes n’a finalement pas une grande signification d’autant plus que des pays comme le Japon ont leur dette entre les mains des nationaux si bien qu’un défaut de paiement aurait des conséquences systémique à travers l’économie alors qu’un défaut de paiement de la Grèce se répercuterait directement sur les établissements financiers. Mais l’essentiel, c’est de ne pas tomber dans le piège intellectuel de Baverez et tant d’autres et de croire que la dette est un problème qui doit être résolu pour relancer l’économie.  

La seule certitude, c’est que les Etats mondiaux dont la dette peut être chiffrée sont tous endettés. De plus, si l’on considère les premières puissances économiques, celles du G-8 ou du G-20, on s’aperçoit que l’endettement souverain est très important, dépassant souvent les deux tiers du PIB, excepté quelques pays dotés de spécificités comme la Russie ou la Chine. La dette totale des pays du G-8 a été évaluée pour 2010 à 33 000 milliards de dollars. La seule question qui vaille : comment en est-on arrivé là ? La réponse est simple, elle tient à deux facteurs, la technique et l’homme contemporain devenu amoral, cupide, stupide. En fait, l’endettement est lié aux établissements financiers qui prêtent et aux Etats pris d’un souci de dispenser des services, de moderniser à marche forcée, bref, l’Etat est à l’image de l’individu, il tend à surconsommer. Et les finances n’hésitent pas à jouer sur le surendettement des Etats, comme ils l’ont fait pour les ménages. Le citoyen veut plus de services publics, plus de pouvoir d’achat pour consommer des choses inutiles produites par le système industriel technologique. Les investisseurs veulent plus de profits, les élites économiques plus de revenus, le tout pour consommer mais dans le luxe et le standing, grâce à un secteur spécial du système industriel technologique (berline de luxe, relais et châteaux, gastronomie étoilée, yacht, jet…)


La solution proposée par les dirigeants, c’est travailler plus. Non pas pour l’élévation du niveau de vie moyen mais pour entretenir ce système. Les investisseurs ont épuisé les possibilités du capitalisme financier (subprimes, Madoff etc.). Ils reviennent aux fondamentaux. Les travailleurs servent aussi à faire du profit. Alors les Etats mettent les populations à contribution pour satisfaire les créanciers et réduire l’endettement. L’exploitation sera le genre humain. Et maintenant, le fond de ma pensée exposée avec désinvolture. Si ces sentences vous dérangent, prenez-les pour des idées régulatrices kantiennes. 


Ce que je pense, c’est que la plupart croient que nous sommes au 21ème siècle alors que nous régressons peu ou prou vers le 19ème siècle. Néanmoins, les hommes du 21ème siècle sont parmi nous. 


Ce que je crois, c’est que l’homme peut être éduqué pour prendre le chemin de la liberté, la vertu, la raison, mais que l’éducation a été un fiasco. Et les médias complices car il est plus facile de faire du profit en flattant l’idiotie et la bêtise qu’en proposant l’effort vers l’intelligence. Mais l’intelligence résiste. 


Ce que je crois, c’est que les élites dirigeantes n’ont eu aucun effort à déployer pour faire de l’humain un esclave du système et de sa technologie. L’industrie a produit les pièges et artifices dans lequel les hommes sont tombés. Mais il en est qui ne plongent pas dans le précipice. 


Ce que je pense, c’est que la théorie du genre devrait s’intéresser maintenant à la fabrication non pas d’une identité sexuelle mais de l’identité morale. Comment est produit le « genre esclave » ? Mais il y a aussi le « genre affranchi » qui sans doute, échappera à ces sociologues du genre car la liberté ne s’explique pas, elle advient. 


Ce dont je suis convaincu, c’est que la voie ne peut être tracée par les politiques et les puissants et qu’il existe une alternative qui ne peut advenir que si les hommes trouvent le chemin de la liberté, ce qui suppose un accès à la connaissance.


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