L’évaluation des enseignants-chercheurs en question

par Michel Servin
lundi 2 février 2009

L’évaluation des enseignants-chercheurs (EC) est un des points d’achoppement de la réforme universitaire voulue par le gouvernement. Cette évaluation entre dans le projet de décret portant sur le statut des enseignants-chercheurs. Que le lecteur ne se méprenne donc pas, cet article ne concerne que l’évaluation des EC, il n’a pas vocation à débattre de l’ensemble du projet de décret, et encore moins la LRU toute entière.

L’évaluation des enseignants-chercheurs (EC) est une nécessité que nulle personne un tant soit peu honnête ne peut nier. Il convient cependant de prendre la mesure réelle de cette activité avant d’en réformer le statut par un décret qui s’avèrerait inadapté et dont les conséquences pourraient être contre-productives, si l’on considère que la réforme dite LRU vise dans son ensemble l’amélioration du système d’enseignement et de recherche.

Les deux revers de la médaille
Enseignant-chercheur est, comme son nom l’indique, un double métier, avec une double exigence, et le risque d’en faire deux fois plus ou moins que les autres, c’est selon. Les enseignants-chercheurs vous le diront, ils vivent le cul entre deux chaises : considérés comme des touristes par les enseignants (à cause des colloques à l’étranger), et comme des dilettantes par les chercheurs purs et durs, ils voudraient bien contenter tout le monde, à commencer par eux-mêmes, mais ne peuvent y parvenir : d’un côté faire autant d’heures de cours que les enseignants, et de l’autre publier autant d’articles que les chercheurs, c’est mission impossible.
En outre, il faut rappeler que les enseignants chercheurs sont par ailleurs : directeurs de formation, présidents de jurys (recrutement, VAE, VES, Bac, de diplôme), directeurs ou tuteurs de recherche, tuteurs de stages, responsables de projets tuteurés, conférenciers, chefs de projets (création de formation, appels d’offres), responsables administratifs, membres des conseils (administration, scientifique, vie universitaire), la liste s’allonge au fils des ans...
Pour accéder à cette fonction, ils doivent obtenir un doctorat (bac+8), éventuellement servir comme attachés temporaires d’enseignement et de recherche, être qualifiés par le conseil des universités (examen de dossier), avant de pouvoir candidater à un recrutement par concours au sein d’une université (dossier et entretien avec un jury). Le tout pour 1900 euros nets en début de carrière, avec un avancement tous les deux ans et dix mois (compter 200 euros nets pour chaque accès au grade supérieur).
Des intentions louables mais…
En toute logique, l’évaluation d’un EC doit porter autant sur ses activités d’enseignant, de chercheur et de responsable administratif. C’est d’ailleurs ce que répète sans cesse Mme Pécresse dans ses discours. Las ! Passé le préambule du décret, ça se gâte, puisqu’après avoir fixé pour moitié le temps consacré à la recherche et celui lié à l’enseignement, il manque celui consacré à l’activité administrative. De surcroît, le temps d’enseignement ne tient pas compte du temps de préparation des cours, sans parler de la correction des copies (entre 50 et 300 copies par cours…) Or les cours d’un enseignant chercheur sont le reflet de ses recherches, ce qui signifie qu’ils évoluent d’année en année, et c’est d’ailleurs ce qui fait leur intérêt. L’EC doit-il prendre sur ses vacances pour combler cette lacune ?
Laissant aux présidents d’université le soin d’évaluer leur personnel, sans directives précises quant aux modalités de l’évaluation, le décret de Mme Pécresse passe ensuite directement à la partie sanction. Ainsi, un EC qui n’aurait pas atteint les résultats de publication fixés des instances nationales non explicitement désignées, pourra se voir infliger par le président de l’université, et à la quasi discrétion de ce dernier, une augmentation de ses heures d’enseignement. A l’inverse, le bon (enseignant) chercheur pourra se voir accorder dans les mêmes conditions discrétionnaires, une réduction de ses heures de cours au profit de la recherche, évidemment prises à somme nulle sur celles de son présumé fainéant de collègue. On imagine au passage le pouvoir du président d’université sur ses pairs, et les dérives qui vont avec, mais ceci est un autre problème que pose la LRU…
Revoir la copie
Ce que l’on retient finalement, c’est que le mot enseignant est mis entre parenthèses puisque seule compte l’évaluation de la recherche. Paradoxalement, dès lors qu’il ne donnera pas satisfaction, l’(enseignant) chercheur se verra infliger plus d’heures de cours, qui peuvent dès lors être considérées comme une punition. De fait, on voit mal comment un EC qui doublerait ses heures de cours pourrait ainsi chargé, combler son retard en tant que chercheur, ses vacances étant déjà occupées, rappelons-le, à préparer ses cours et corriger les copies…
Précisons également, qu’à l’heure où le décret est sur le point d’être signé, nul n’a reçu les règles explicites d’évaluation, ni par qui elles seront fixées, ni même à partir de quand elles seront effectivement appliquées. Il n’y a donc rien d’étonnant à voir les enseignants chercheurs refuser les termes de ce décret. Nul besoin d’être un « trotskiste-anticapitaliste-ultragauche » pour conclure que cette copie mérite un examen de rattrapage…

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