L’homme, le meilleur ami de l’homme ?

par Breton8329
lundi 5 mai 2008

Alors que le système de solidarité à la française est menacé et que les Français réagissent mollement, l’utilité de ce système - ultime protection de notre humanité - n’a jamais été aussi déterminante pour l’avenir de notre société. La barbarie rôde et si nous assouplissons notre vigilance, elle pourrait bien frapper encore, comme elle le fit par le passé, devastant tout sur son passage. L’humanité est une bête qu’il faut rassurer et maintenir sous contrôle.

La simple lecture des faits divers qui s’étalent en page d’accueil de google.news devrait achever de convaincre les plus optimistes de la nature foncièrement mauvaise de l’homme. Je ne parle évidemment pas de l’abée Pierre ou de sœur Theresa mais bien de l’homme lambda, le vulgum pecus, celui qui navigue entre sa mauvaise conscience, quelques restes de religion, la morale, le qu’en-dira-t-on et la peur du gendarme pour trouver le comportement adéquat. « Et tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ! » (Baudelaire, 1857). Nous aimerions nous convaincre que nous valons mieux que tous ceux qui pillent, violent, tuent, volent, mentent, torturent et souvent tout cela en même temps, qu’ils sont monstrueux et que nous représentons la norme. Hélas, nous appartenons à la même espèce.

La conviction de ne pas appartenir à la même espèce que la ou les victimes est d’ailleurs le point de départ de la majorité des exactions, je ne dis évidemment pas toutes mais nous y reviendrons. Le procédé n’est pas nouveau et il fonctionne quelle que soit l’échelle à laquelle il est employé. Ainsi, les guerres sont précédées d’une propagande visant à ôter toute dignité, légitimité, humanité à l’ennemi afin d’atténuer à la fois la clairvoyance de l’électeur et la mauvaise conscience du soldat, exécuteur des basses œuvres politiques, au moment où il effectue le sale boulot. Visible comme le nez au milieu d’un visage, cette vieille ficelle n’en demeure pas moins obligatoire pour préserver la santé mentale des enfants que nous envoyons sur tous les fronts, souvent sans le recul nécessaire pour comprendre ce qu’ils y font réellement. Mais parfois, la supercherie est découverte et les conséquences peuvent être désastreuses, aussi bien pour le pouvoir politique que pour ceux qui ont commis des crimes en son nom. C’est ce qui s’est passé durant la guerre du Viêtnam.

Ceux qui ont intérêt à déclencher des guerres n’ont d’ailleurs pas toujours besoin de dévaloriser artificiellement l’ennemi qu’ils souhaitent combattre. Parfois, la croyance populaire s’est déjà chargée de semer la petite graine qui ne demande qu’à grandir pour devenir un casus belli. Le racisme antijuif du troisième Reich n’a fait que prospérer sur un fumier bien plus ancien qui pourrissait l’Europe depuis fort longtemps. Quant à la haine du voisin, qui peut dire aujourd’hui qu’elle ne serait pas ancrée en son cœur s’il avait été allemand en 1933, alors que l’Allemagne meurt de faim et qu’elle doit encore et toujours payer pour la Première Guerre mondiale ? Toutes les graines étaient en place et il ne restait à l’audacieux jardinier qu’à les arroser correctement pour qu’elles se développent et deviennent d’hideux ronciers. Nous incubons parfois inconsciemment de vieilles haines, des idées qui renferment un potentiel de destruction monstrueux et proportionnel à leur diffusion et celui qui sait lire dans le cœur des masses pour capter ces irrationalités et les exploiter peut amener ses semblables à commettre les pires exactions avec entrain, bonne humeur et bonne conscience. Terrifiant !

Et puis, il y a ceux qui aiment le mal, qui aiment faire souffrir ou qui n’en tirent eux-mêmes aucune souffrance et qui en profitent pour développer une petite activité, un business, un loisir... Les tueurs à gage appartiennent à cette catégorie : leur absence de remords appuyée par une certaine technicité est à vendre ; les petits délinquants qui saucissonnent les riches bourgeois soit pour le plaisir, soit pour les délester de leurs économies aussi ; les violeurs également. Mais si cette transgression des normes communément admises par l’humanité comporte certains risques, elle apporte également des avantages non négligeables, surtout lorsqu’elle est érigée en système. L’homme s’ouvre des sources de plaisirs et de revenus terrifiants en renonçant aux contraintes morales, juridiques, religieuses qui encadrent sa vie sur terre. Le fonctionnement des mafias et autre bandes organisées relève de cette logique. Il s’agit d’une sorte de guerre asymétrique contre des sociétés qui respectent des règles par des gens qui ne respectent pas ces règles. Les risques sont également terrifiants car vivre dans une société sans règles revient à renoncer au minimum aux deux valeurs fondamentales que sont la liberté et la sécurité. Heureusement, la majorité des personnes considèrent encore ces deux valeurs comme hors de prix.

Mais pour combien de temps encore la liberté et la sécurité seront-elles considérées comme des valeurs abordables ? N’assiste-t-on pas un peu partout en Occident à la destruction du cadre qui maintient le comportement des citoyens dans des limites qui garantissent à la fois prospérité, sécurité et liberté au plus grand nombre ? La sécurité est le fruit de la solidarité, cette solidarité qui nourrit et soigne les indigents ; la liberté est le fruit de la sécurité qui protège les plus faibles et les autorise à exprimer leur point de vue, à se déplacer librement, à vivre comme ils le souhaitent… Cette solidarité est la pointe de la pyramide qui soutient l’ensemble de notre société. Soumis à l’incessante sollicitation de la publicité, à l’arrogance des riches, à la faim, au besoin de reconnaissance et ne possédant ni sécurité, ni liberté, l’homme continuera-t-il longtemps à porter le carcan qui faisait autrefois son bonheur mais qui aujourd’hui l’amène à accepter de crever dans des conditions indignes en regardant des vieillards se goinfrer ?

Cette situation vous rappelle quelque chose et c’est normal puisque c’est la photo de vos dernières vacances en Afrique, en Asie ou en Amérique du Sud. Vous étiez agacé par ce pauvre qui s’agrippait à votre chemise pour vendre un bout de bois sculpté. Vous riez encore dans les soirées avec vos amis de la laideur des tissus qu’il voulait vous vendre. C’était ailleurs mais maintenant, c’est chez nous. Quand le Medef dit qu’il faut supprimer le Smic pour encourager l’emploi en France, que veut-il dire ? Que ceux qui vivent déjà difficilement avec un Smic vivront encore plus difficilement avec un salaire moindre mais que simplement et que corrélativement, ils seront plus nombreux à vivre difficilement. Les naïfs diront que les patrons sont des hommes comme les autres, dotés d’une humanité qui les amènera à rémunérer leurs employés du mieux qu’ils peuvent. Justement, les patrons sont des hommes comme les autres, comme moi qui regardait sans sourciller ces pauvres Africains mourant de faim durant mes vacances, comme ces patrons anglais que décrivait Jack London dans son livre Le Peuple de l’abîme, narration des conditions de vie durant la révolution industrielle en Grande-Bretagne.

Les conditions de vie durant cette révolution industrielle devraient achever de tous nous convaincre que le renoncement à la solidarité est la pire chose qui puisse arriver. La Sécurité sociale est l’incarnation de cette solidarité. Elle n’appartient qu’aux Français et ne doit surtout pas être confiée aux entreprises privées. Elle fut acquise de longue lutte, souvent contre les intérêts des patrons, des bailleurs, des banquiers, des logeurs, des assureurs, des financiers et autres hommes qui, comme nous, regarderont les pauvres crever la bouche ouverte sans le moindre sentiment, en se disant que décidemment ils n’appartiennent pas à la même espèce qu’eux - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ! La Sécurité sociale est notre rempart contre la barbarie, c’est la forteresse de notre humanité. Battons-nous pour la protéger !


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