L’Homo economicus contre l’Homo irrationalis

par Prometheus
lundi 29 octobre 2012

La société d'après guerre a créé un être nouveau. Nous avons bati une société où la recherche de la maximisation des profits est constante. Pour ce faire nous avons rationalisé chaque pan de la société. L'état est vu comme une entreprise. Les parents poussent leurs enfants vers des études débouchant sur des métiers rentables. Les couples s'organisent comme des microentreprises où chacun pourvoit aux besoins de l'autre. L'Homo Economicus c'est ce que nous sommes actuellement. Mais niant notre part d'irrationalité, ce concept serait-il voué à l'échec ?

Lorsque vous vous intéressez à l'histoire de l'homme. Vous vous rendez compte à quel point nous sommes mis en mouvement par des idées. Sans prendre en compte l'aspect morale, l'homme c'est cet être capable de batir des pyramides car il a la croyance d'une vie après la mort. Ou bien c'est cet être qui va être omnubilé par l'éradication de la race juive. Etrange personnage que cet humain qui traverse les siècles. S'inventant des religions, des dogmes, des croyances. Il est capable de bâtir des empires sur ses croyances mais également de les balayer.

Aujourd'hui nous sommes capables de percevoir, et de définir notre histoire contemporaine car elle est sur sa fin. Comme après un échec nous nous repassons nos actions, et nous les analysons. Pour comprendre une seule chose : Pourquoi ?

Le Pourquoi ? Voilà une question qui résonne dans nos têtes comme un écho sans fin. Pourquoi sommes nous là ? Pourquoi agissons nous ? Pourquoi nous levons nous le matin ?

Cette réponse impossible à trouver. Et bien nous la définissons nous mêmes quelques soient les époques, les siècles, nous devons la trouver. Aujourd'hui nous sommes en mesure de dire quelle a été la réponse de notre siècle : l'économie.

Vous, moi, vos amis, vos enfants ne recherchont qu'une chose l'enrichissement personnel. En ces temps de crise où le moindre petit pourcentage de chômage est traqué, ou le moindre chiffre de croissance est espéré comme un dieu. Le monde économique est ce qui nous fait vivre.

Cet homme économique n'est pas apparu par magie. Ces racines peuvent venir de ce qu'on appelle la notion de propriété privée ou de la désacralisation de l'objet. Lorsque le commerce est apparu il fallait pouvoir identifier les différents intervenants de l'échange : A qui, et pour qui ? En fait le commerce c'est le transfert de propriété entre agents économiques. Là où l'objet sacré appartient à tous, à Dieu, à la Terre. La propriété privée est échangeable. Induisant nécessairement un rapport quantitatif et qualitatif du monde. Si je veux échanger que vaut cette maison ? Que vaut cette montagne ? Que vaut cet homme ? Cette volonté de chiffrer le monde découle de cette notion de propriété privée.

Ainsi en tant qu'homo economicus ma conception du monde va être défini par trois notions :

- l'ordonnancement de mes choix.

- la recherche de la meilleure utilisation de mes ressources.

- la projection dans le futur pour optimiser cette utilisation.

Par exemple, j'aime les bananes. Je recherche alors des endroits où m'en procurer au meilleur rapport qualité/prix. Et il faut que je m'assure que ce rapport ne varie pas dans le futur.

En outre, cette vision du monde nous pousse à construire des outils et des moyens y participant. Internet comme moyen de communication. La globalisation comme moyen politique. Le monde se transforme en une sphère unique où l'information est instantanée et où l'objet sacré qu'est l'état s'efface pour laisser la liberté aux agents économiques de maximiser leurs profits.

Et dans ce monde, nous nous trouvons dans une compétition. En effet l'entreprise cherche à maximiser sa production en mettant en rivalité ses employés. L'employé lui-même est un entrepreneur qui vient apporter sa capacité de production pour y rechercher un salaire. L'employé n'est donc pas attachée à son entreprise car il peut à loisir migrer d'entreprise en entreprise, de pays en pays à la recherche d'un meilleur salaire. Tout comme l'entreprise peut rechercher une force de production plus rentable. L'homme est vu comme une donnée chiffrable, en terme d'heures de travail, de coût, de salaire. L'entreprise mesure et quantifie la donnée humaine en fonction de ses besoins.

De plus cette représentation mentale ne s'arrête pas au monde économique, et glisse dans tous les rapports humains. Entre parents et enfants, entre hommes et femmes, entre frères et soeurs.

Par exemple, l'enfant d'aujourd'hui ne choisit pas ses études en fonction de ses envies mais des débouchés du marché du travail. L'école privée est préférée à l'école public non pas que l'éducation y soit meilleure mais plutôt qu'il est possible aux cerveaux rationnels des parents de quantifier l'investissement mis à la réussite de leurs enfants. Cette logique d'investissement scolaire pousse certains parents à dépenser plus de 30 000 euros pour leurs enfants dès la maternelle.

Néanmoins tous nos choix sont-ils rationnels ?

Laurie Santos, psychologue, est partie d'un constat simple. Nous sommes intelligents, l'espèce la plus intelligente de cette planète pourtant nos réalisations, nos créations nous explosent à la figure. L'homme par conséquent a une part d'irrationel qui le pousse à commettre les mêmes erreurs encore, et encore. Pour mettre en évidence cette part d'irrationel, elle a étudié un être qu'elle décrit elle même comme primaire c'est-à-dire sans les idées préconçues humaines : le singe. Son étude a commencé lors de la crise des subprimes, elle a donc voulu savoir si les singes font le même genre d'erreurs que nous avec l'argent.

Son premier problème était de faire apprendre aux singes la valeur de l'argent ? Elle a donc eu l'idée d'associer un matériau sans valeur de forme ronde, un jeton en plastique à du raisin. Chaque fois que les singes voulaient du raisin, ils devaient prendre un jeton et le donner à l'expérimentateur.

Une fois que les singes avaient associé le jeton au raisin. L'objectif était de savoir si ils avaient intégré la notion d'argent. Si ils étaient capables d'épargner leur argent, de faire les bons choix avec, de comparer tout comme les humains le font. Elle a donc créé le premier Monkey Marketplace de l'histoire.

Cet endroit permettait aux singes de recevoir des jetons et ensuite d'aller les échanger auprès de deux vendeurs (des étudiants de son labo) qui proposaient différentes choses. L'un proposait un raisin, l'autre en proposait deux. Les singes avaient donc le choix de gagner grâce à leur jeton un ou deux raisins. Bien sûr, ils allaient toujours donner leurs jetons au vendeur qui en proposait deux. Les singes se comportaient donc pour le moment de manière rationnelle.

Une fois cette phase terminée, il était nécessaire d'étudier l'économie simiesque sous un angle différent. Les singes étaient-ils capables de répondre à des défis économiques complexes toujours en terme de rationalité ?

Elle les a donc mis dans deux situations différentes pour les évaluer.

Dans le premier cas les singes avaient deux choix :

- Un vendeur qui leur proposait un raisin, et si ils le choisissaient, rajoutait systématiquement un autre raisin. Le gain était donc de deux raisins.

- Et un deuxième vendeur qui leur proposait un raisin, et si ils le choisissaient, rajoutait une fois sur deux, zéro raisin ou deux raisins. Le gain était donc de un, ou de trois raisins.

Le choix était donc simple soit ils choisissaient la sécurité et ils gagnaient deux raisins de manière systématique. Soit ils prenaient un risque et ils pouvaient en gagner soit trois soit juste un raisin. Les singes prenaient toujours l'option de sécurité, et allaient vers le vendeur qui rajoutait systématiquement un raisin.

Et alors ? Ca parait toujours rationnel comme choix. Ils avaient peut-être peur du risque. Sauf qu'après elle posa ce problème de manière différente avec toujours une option sécuritaire, et une option risquée.

Les singes avaient toujours deux choix :

- Cette fois un vendeur leur proposait trois raisins, et si les singe le choisissaient, le vendeur retirait un raisin systématiquement. Le gain était donc toujours de deux raisins.

- Et un deuxième vendeur qui leur proposait aussi trois raisins, et si les singes le choisissaient, retirait une fois sur deux, zéro raisin ou deux raisins. Le gain était donc toujours de un, ou de trois raisins.

Les singes avaient donc toujours une option sécuritaire où ils savaient qu'ils pouvaient avoir deux raisins à chaque fois, et une option risquée où il pouvaient avoir trois raisins ou juste un.

Et quel était le constat cette fois ? Les singes ne choisissaient pas l'option sécuritaire de gagner deux raisins mais préféraient prendre le risque de perdre deux raisins. 

Pourquoi ? Et bien cela s'expliquait par deux choses :

Même si dans l'absolu avec l'option sécuritaire ils obtenaient la même chose, deux raisins. Le cas 1 mettait en jeu le fait de gagner quelque chose, le cas 2 celui de perdre quelque chose. Bien que le résultat soit le même, l'action de départ ne l'était pas.

Ensuite les singes constataient dans le deuxième cas qu'ils perdaient systématiquement des raisins. Cette vision pouvait les rendre furieux de voir qu'à chaque échange on leur enlevait un raisin. Le sentiment de perdre était plus fort que leur raison. Ils étaient donc prêts à prendre des risques pour ne rien perdre.

Par conséquent cette expérience a démontré que le choix des singes étaient irrationels car dans les deux cas ils ont la possibilité d'obtenir le même gain. La raison voudrait qu'ils aient choisis l'option sécuritaire à chaque fois mais ça a été l'impression de gagner, et la peur de perdre qui les guidèrent dans leur choix.

Après avoir réalisé ses expériences à plusieurs reprises, et compilé ses données. Laurie Santos a ensuite demandé à vérifier ses statistiques avec des outils d'établissements financiers sur le même propos. Qu'a-t'elle constaté ? Ses statistiques sont en tout point identiques à celles faites sur les humains. A tel point qu'il est impossible de faire la différence entre les statistiques des humains, et celles des singes !

En conséquence les choix humains en terme économique sont irrationnels.

Ceci est une révolution !

L'homo economicus n'est en réalité qu'un mythe. Nous sommes des homo irrationalis.

La question est alors de savoir qu'est-ce qui nous motive dans nos choix ?

Je propose un début de réponse. Laurie Santos parle, en conclusion, d'une erreur à rectifier, un peu comme si notre irrationalité était une myopie qu'il faudrait corriger à l'aide de lentilles. Ou même d'une erreur biologique héritée de notre nature animale ce qui expliquerait que nous le partagions avec les singes. Mais pour moi, cette irrationalité ce sont nos émotions, nos sentiments, et la valeur que l'on met dans nos actions. Une émotion n'est pas maitrisable, ajustable, elle est là c'est tout. La voie à suivre est peut-être d'apprendre qui nous sommes vraiment, quelle est notre nature profonde, et ce qui nous relie les uns aux autres.

Ceci est donc une révolution car elle remet en cause l'organisation de l'entreprise par exemple. Le travailleur et l'entreprise sont indissociables dans le processus créatif humain. On ne peut pas concevoir l'homme comme une donnée de l'entreprise car c'est lui l'entreprise. C'est son engagement, sa passion, et son coeur qui permettent à l'entreprise de réaliser des profits. Là où la rationalité tend à dissocier pour mieux analyser, l'émotion tend à regrouper pour mieux ressentir. Les rapports humains sont également bouleversés par cette révélation. Nous ne sommes pas juste des gens intéressés mais des gens ayant une émotion à faire partager. Ce n'est pas notre tête qui nous pousse à faire les choses mais notre coeur.

Le 21ème siècle verra donc l'apparition d'un homme nouveau, d'une économie nouvelle, et de structures nouvelles. Ce concept est au-dessus du libéralisme, du communisme, du nationalisme. Il permet aux hommes de se redéfinir. Non nous ne sommes pas mus que par notre cerveau. Il est donc nécessaire de prendre conscience de cette part d'irrationnel et de réussir à l'inclure dans nos vies.

 

http://www.france24.com/fr/20120914-daniel-cohen-auteur-de-homo-economicus

http://www.homo-rationalis.com/

http://sciencetonnante.wordpress.com/2011/07/11/le-singe-un-homo-economicus-irrationnel-comme-les-autres/


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