L’homosexualité, une maladie occidentale ?

par Sylvain Rakotoarison
samedi 31 mai 2008

Malgré les tabous et les idées reçues que peut inspirer l’homosexualité, la réponse est évidemment : ni maladie ni occidentale. Pourtant, de nombreux Africains l’ignorent encore…

Le sentiment homophobe est très répandu en Afrique noire, en raison de nombreuses idées fausses dont celle qui veut que l’homosexualité soit une "maladie" qui aurait été apportée par les anciens colonisateurs.


Ignorance, simplismes et amalgames

Sentiment qui est exacerbé par un manichéisme qui oblige l’interlocuteur à prendre position pour ou contre. Et donc, contre.

L’homosexualité est devenue dans ces pays un véritable bouc émissaire dans une période où les valeurs morales font de plus en plus défaut et les amalgames sont rapides entre homosexualité, pédérastie, pédophilie, franc-maçonnerie, prostitution, tourisme sexuel, sado-masochisme, etc.

Un journal du Cameroun, Continental, fait le point ce mois-ci sur cette dérive et met les points sur les i.

Le principal argument laisse entendre que l’homosexualité serait une pratique sexuelle contraire aux traditions africaines et qui proviendrait des Européens.

Les premiers missionnaires avaient affirmé, sur la foi de leur seule observation, mais sans véritable étude, qu’il n’y avait pas d’homosexualité en Afrique, mais considéraient cependant les pratiques sexuelles africaines comme dépravées.

Depuis un siècle, on sait que l’homosexualité a existé depuis toujours autant en Afrique qu’ailleurs.

Mais cette croyance fausse a été également encouragée par les deux principales religions monothéistes présentes en Afrique noire, à savoir l’islam et le christianisme, paradoxalement introduites par les mêmes Occidentaux, et aussi par l’héritage du Code Napoléon qui interdisait l’homosexualité (dans certains pays, l’homosexualité est encore passible de la peine de mort, voir la carte en fin d’article).


L’homosexualité, aussi d’origine africaine

Charles Gueboguo a rédigé un livre (cf. à la fin de l’article) où justement, il remarque que si la perception de l’homosexualité a évolué en Afrique noire, elle a toujours existé par un enracinement très profond dans certaines traditions africaines et, en particulier, à travers quatre "piliers".

1. L’homosexualité liée aux classes d’âge et aux jeux érotiques


Au sud du Cameroun, chez les Bafia, les garçons devaient franchir trois étapes pour devenir des hommes, et la première étape consistait, pour des garçons de 6 à 15 ans, à vivre entre eux, à l’écart des jeunes filles. La puberté et la promiscuité aidant, certains adolescents avaient alors des relations sexuelles avec les plus jeunes.

2. L’homosexualité liée aux rites initiatiques

Certaines pratiques avaient pour but de souder les personnes à préparer une guerre ou à atteindre l’âge adulte. Ainsi, au sud et au centre du Cameroun, chez les Beti et chez les Bassa, certains rites comportaient des attouchements à caractère homosexuel entre femmes. Souvent appliqué quand la situation était difficile (mauvaise récolte, absence de gibier), ce type de rite pouvait aussi signifier le contraire chez les Fang du Gabon, Cameroun et Guinée équatoriale, à savoir être porteur de richesses futures.

3. L’homosexualité liée à l’absence de personnes d’un autre sexe

Par exemple, chez les Azande, dans le sud-ouest du Soudan, les femmes avaient parfois des relations sexuelles entre elles au sein d’un même foyer polygame. Pareillement chez les femmes nkundo en République démocratique du Congo et chez les femmes herero en Afrique australe, souvent parce qu’elles n’obtenaient pas satisfaction auprès de leur mari.

4. L’homosexualité identitaire

Certaines personnes avaient la préférence pour des personnes du même sexe qu’elles. Notamment dans le sud de la Zambie où elles étaient appelées "mwaami" dans la langue ila.


Tabou, intolérance et interdiction

Croire que l’homosexualité n’existait pas en Afrique avant l’arrivée des Occidentaux relève donc d’un mythe trompeur, mais qui pourrit la vie actuelle des homosexuels qui sont obligés de se cacher (souvent sous la couverture d’une famille classique, comme il y a quelques décennies en France, par exemple) et qui songent à s’expatrier sous des cieux moins hostiles.

L’interdiction pénale de l’homosexualité encore très répandue en Afrique noire n’est d’ailleurs pas l’aboutissement d’une quelconque tradition africaine, mais bien de l’héritage juridique des anciens colonisateurs.

Certains pays continuent encore en effet à pourchasser les homosexuels, comme la Gambie dont le président, Yahya Jammeh, a ordonné le 18 mai 2008 aux homosexuels de quitter le pays avant vingt-quatre heures en prévoyant de lourdes sanctions aux "complices" : « Tout hôtel qui héberge ce type d’individus sera fermé, car leur comportement est illégal. Nous sommes un pays musulman, et je n’accepterai jamais de tels individus dans ce pays ».


Retard de l’Afrique ?

L’Afrique serait-elle en retard question mœurs sexuelles et tolérance des autres ? L’Occident a mis aussi très longtemps à atteindre cet équilibre finalement très récent pour faire cohabiter pacifiquement et dans l’indifférence les différentes "populations sexuelles".

Mais ce qui est sûr, c’est que l’ignorance est toujours le vecteur de l’intolérance.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (28 mai 2008)


Pour aller plus loin :

Degré d’acceptation de l’homosexualité.

Évolution des mentalités en France sur l’homosexualité.

L’homosexualité, entre tabou et idées fausses, de Christian Éboulé (Continental).

La Question homosexuelle en Afrique de Charles Gueboguo, éd. Harmattan (2006).

Interview de Charles Gueboguo.






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