L’honneur perdu de Maurice Papon

par Henry Moreigne
mercredi 21 février 2007

Maurice Papon sera enterré avec sa croix de commandeur de la Légion d’honneur aujourd’hui mercredi 21 février à Gretz-Armainvilliers. Le port de cette décoration, reçue en 1962 des mains du Général de Gaulle, lui a été interdit par décret en 1999, en raison de sa condamnation à dix ans de réclusion pour complicité de crimes contre l’humanité. Robert Badinter à l’image de beaucoup de Français a jugé la polémique sans « aucun intérêt ». Derrière les apparences de l’honneur, restent l’orgueil et la vanité d’un ex-haut fonctionnaire, condamné pour complicité de crime contre l’humanité.

Jusqu’au bout, Maurice Papon n’aura rien regretté ni renié. Il était en train de finir de corriger ses mémoires La Mort dans l’âme sous-titrés Mémoires d’un reclus, ouvrage dans lequel il ne renie rien, quand il est décédé à l’âge de 96 ans samedi 17 février. Au fil des pages, l’ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde persistait à clamer son innocence dans la déportation des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, et à certifier que le police parisienne, dont il fut le Préfet, n’a aucune responsabilité dans la mort de très nombreux Algériens après la manifestation du 17 octobre 1961.

"Papon Maurice. Profession retraité". C’est sous ces mots que l’ancien haut fonctionnaire s’est présenté à la barre de la Cour d’assises de Bordeaux en 1997. Dans ce dossier symbolique d’une période sombre de l’histoire de France, les mots ont leur importance. Haut fonctionnaire, Maurice Papon n’était pas une petite main de l’administration. En 1943, il était secrétaire général de la préfecture de Gironde, chargé des questions juives. Autrement dit, le numéro 3 d’une préfecture de région créée par Vichy dont les deux missions essentielles étaient le ravitaillement et la police, dont la question juive. Si l’impulsion meurtrière est venue des nazis qui demandaient des contingents de juifs négociés avec Vichy, l’administration du Maréchal a mis un point d’honneur à leur répondre avec efficacité. Maurice Papon en tête. Sous ces années de plomb le jeune homme fait preuve d’un zèle remarqué. A trente-deux ans, le fonctionnaire assiste le préfet dans la réalisation de toutes ses missions. Sa signature, par délégation, s’appose au bas des documents : "Pour le préfet régional, le secrétaire général". C’est donc de sa main et de son nom qu’il a signé des actes de collaboration avec l’occupant nazi, visant à livrer des juifs. Il ne sert pas alors la République mais une dictature, le régime de Vichy, qui repose sur une administration forte, tout autant au service de l’Etat que de la personne du maréchal Pétain. Avec près de cent hauts fonctionnaires, Maurice Papon a prêté " selon les lois de l’honneur et de la probité" serment de fidélité à la personne du Maréchal.

Pour des raisons complexes, essentiellement d’amnésie de circonstances, Maurice Papon traverse comme beaucoup d’autres, sans souci, "les filtres" de l’épuration et se trouve nommé préfet des Landes en 1944 à la libération de Bordeaux. Ce certificat de virginité lui permettra de continuer sans encombre son parcours de fonctionnaire jusqu’au sommet de la carrière préfectorale. Serviteur de maîtres plus que de l’Etat, reconnu comme un grand technicien du maintien de l’ordre, il restera également dans l’histoire comme le préfet de Police de Paris en poste lors de la répression sanglante de la manifestation des sympathisants du FLN dans la capitale le 17 octobre 1961.

Sa vie publique ne s’arrête pas avec sa retraite. Propulsé par la suite PDG de Sud-Aviation, l’homme se reconvertit alors en politique. Au lendemain de mai 1968, il est élu député du Cher, président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, puis rapporteur de cette même commission, à la demande du président Georges Pompidou. En mai 1978 : Valéry Giscard d’Estaing, président de la République, et Raymond Barre, premier ministre, en font à 68 ans un ministre de la République. Cette entrée en politique va signer le début de ses ennuis.

En mai 1981, entre les deux tours de l’élection présidentielle, Le Canard enchaîné révèle ses activités, pendant la guerre, comme responsable du service des questions juives, à Bordeaux. Maurice Papon crie à la "manoeuvre électorale". Il proteste de son innocence et demande qu’un jury d’honneur, composé de figures de la Résistance, se prononce. Le jugement rendu est à la Pyrrhus. Le jury reconnaît tout à la fois à Maurice Papon ses titres de résistant et "des actes apparemment contraires à la conception que le jury se fait de l’honneur" qui auraient dû le conduire à démissionner de son poste. En décembre 1981, 1’affaire glisse sur le terrain judiciaire avec les premiers dépôts de plaintes.

En septembre 1996, l’ancien ministre est renvoyé devant la cour d’assises. Le 2 avril 1998, il est condamné à dix ans de réclusion criminelle pour "complicité d’arrestations illégales et de séquestrations arbitraires" dans la déportation, ordonnée par les Allemands, de quatre des douze convois de juifs, qui seront organisés, entre 1942 et 1944, de Bordeaux vers Drancy. Ces crimes revêtent, imprescriptibles, le caractère de "crimes contre l’humanité". Près de 1600 juifs, durant cette période, dont 130 enfants de moins de treize ans, ont été déportés. Les débats révèlent l’indifférence et la compromission du fonctionnaire d’alors, et sa mue opportune et précautionneuse à l’automne 1943 lorsqu’il refuse une promotion (préfet du Lot) et prend contact avec la Résistance.

Le reste n’est que l’histoire d’un vieil homme qui n’aura jamais demandé pardon, incarcéré pendant trois ans (puis libéré pour raisons de santé) mais surtout enfermé dans son passé. Au bout du compte, l’affaire Papon souligne la force du concept juridique de crimes contre l’humanité qui, par son caractère imprescriptible, ne permet plus au temps de conférer le sentiment d’impunité.


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