L’inceste dans la loi
par Duralex
samedi 2 mai 2009
Brèves observations critiques sur le projet de loi « sur l’inceste » adopté par l’Assemblée Nationale avant son examen par le Sénat.
"Le code pénal est ainsi modifié :
1° Après l’article 222-22, il est inséré un article 222-22-1 ainsi rédigé :
« Art. 222-22-1. – La contrainte prévue par le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale résulte en particulier de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime, notamment en cas d’inceste. » ;"
Pour comprendre la portée de ce texte il faut savoir que l’article 222-22 du Code pénal définit les agressions sexuelles, parmi lesquelles le viol, comme "toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise".
Notons que l’inceste n’est visé que parmi d’autres situations : "notamment en cas d’inceste". Notamment, cela veut dire pas seulement.
La nouveauté consiste en ce que la contrainte, qui est un élément constitutif du viol, ou de l’atteinte sexuelle, n’a plus à être prouvée lorsque l’un des protagonistes est mineur et que l’autre
- est majeur
- et exerce une autorité de droit ou de fait sur le mineur dont il s’agit.
Dans ce cas le mineur, quand bien même aurait-il 18 ans moins une semaine, ne peut pas être consentant. La nouveauté est là.
Il y a longtemps, il y a prés de 40 ans, Gabrielle Russier, professeur de lettres à Marseille, se suicidait aprés avoir été condamnée à un an de prison (avec sursis je crois) pour détournement de mineur au motif qu’elle avait eu une liaison amoureuse passionnée avec un lycéen qui était son élève.
C’est à son sujet que le Président Pompidou avait cité les vers de Paul Eluard : « Moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d’enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés." (voir l’article sur Gabrielle Russier sur Wikipedia)
Dorénavant les Gabrielle Russier ne seront plus poursuivies en correctionnelle pour détournement de mineur, incrimination qui a d’ailleurs disparu du Code pénal. Elles seront poursuivies en Cour d’Assises pour viol. Elles ne prendront plus 1 ans avec sursis, mais 10 ans fermes. Et il sera interdit à quiconque de prétendre que le lycéen était consentant ni, a fortiori, qu’il était tout aussi amoureux qu’elle.
Grand progrès !
2°) Ensuite la nouvelle loi rentre dans le vif du sujet et définit ce qui constitue l’inceste punissable. C’est le paragraphe 2 de l’article 1 :
" 2° Après le paragraphe 2 de la section 3 du chapitre II du titre II du livre II, il est inséré un paragraphe 2 bis ainsi rédigé :
« Paragraphe 2 bis -« De l’inceste
« Art. 222-32-1. – Les viols et les agressions sexuelles définis aux paragraphes 1 et 2 de la présente section constituent des incestes lorsqu’ils sont commis sur un mineur par :
« 1° Son ascendant ;
« 2° Son oncle ou sa tante ;
« 3° Son frère ou sa sœur ;
« 4° Sa nièce ou son neveu ;
« 5° Le conjoint ou le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° à 4° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une de ces personnes. » ;
Et là nous entrons dans la casuistique fatale.
Sous prétexte de sanctionner l’inceste commis sur un mineur, l’on exclut de la définition le viol commis par le père sur sa fille majeure : c’est certes toujours un viol passible des assises, mais c’est un viol ordinaire : ce n’est pas de l’inceste !
Par contre le viol commis par le concubin de la nièce sur la tante mineure (ça peut arriver dans une famille où existe une différence d’âge importante entre frères et soeurs), c’est de l’inceste !
L’absurdité de la loi apparait de façon flagrante en ce qu’elle exclut du domaine de l’inceste des situations qui sont bel et bien incestueuses pour le sens commun, mais aussi en ce qu’elle qualifie d’inceste d’autres situations qui n’ont rien d’incestueuses pour le commun des mortels. Enfin voyons, un concubin de hasard fait-il vraiment partie de la famille ?
Tout le monde comprend qu’en réalité le législateur visait l’hypothèse du père violant son enfant, conformément à la volonté des associations de victimes qui se multiplient depuis quelques années. Mais comment faire du neuf alors que le Code pénal réprime déjà trés lourdement ce crime sous la qualification de viol commis avec une double circonstance aggravante :
- sur mineur
- par ascendant ou personne ayant autorité.
Or le législateur de 2009, qui est un grand réformateur, veut absolument faire du neuf ! Il ajoute donc la notion, ou en tous cas le mot d’"inceste", car c’est trés réparateur pour les victimes.
Seulement voilà, parlant de l’inceste l’on ne peut s’arrêter au crime du père sur son fils ou sa fille car chacun sait que l’inceste ne se limite pas à ça. Je puis en parler, moi qui suis hanté par ce mot depuis les temps immémoriaux où je lorgne sur l’une de mes cousines germaines !
Bref, si l’on veut punir l’inceste, ou même, sans le punir en tant que tel, en faire une circonstance aggravante du viol et des autres infractions sexuelles, il faut définir ce qu’est l’inceste. Or cela la loi ne peut pas et ne doit pas le faire.
En le faisant la loi qualifie d’inceste ce qui n’en est pas, du moins pour la plupart d’entre nous, et en revanche, elle en exclut ce qui en est bel et bien.
Je crois que le député qui a eu l’idée de cette loi parlait de "briser le tabou de l’inceste". Il aurait fallu lui expliquer que le tabou de l’inceste, ce n’est pas seulement ce qui interdit d’en parler, c’est aussi ce qui interdit de le faire.