L’institut Montaigne, un symptôme du déclin de la France

par cyaxarte
lundi 21 février 2011

L’institut Montaigne, un « think tank »[1], vient de sortir une étude intitulée « adapter la formation de nos ingénieurs à la mondialisation  ». En parallèle, faisant écho à cette diatribe, Richard Descoings, dans le Nouvel Observateur, écrit un article intitulé « recherche ingénieurs désespérément  ». Commençons par ce que dit ce dernier.

Il commence par remarquer, ce qui est vrai et connu, que la filière des classes préparatoire n’est plus sélective puisque la quasi-totalité des élèves se présentant aux concours des grandes écoles y trouve une place. Une certaine logique voudrait que l’on se pose alors la question de la qualité et des compétences réelles des ingénieurs formés. Mais Richard Descoings évite bien cette question pour se concentrer sur le soi-disant manque d’ingénieurs en France, citant les grands groupes comme EADS ou EDF qui en manqueraient et voit dans la désaffection pour la filière ingénieurs une des raisons fondamentales du chômage chronique en France. Pour lui, la raison de cette désaffection réside dans le caractère scientifique des études qui devraient se faire, par exemple, comme en Allemagne, via l’apprentissage et non via les mathématiques ou la physique comme en France. Il cite aussi en exemple les Etats-Unis. Bref ! C’est le coup classique du journaliste qui parle de ce qu’il ne connaît pas.

Pour information, un ingénieur américain ou un ingénieur allemand sont très loin du standard français. Par exemple, la France, seule, fait jeu égal en termes de maîtrise technique en aéronautique avec les Etats-Unis depuis 1945 avec des budgets de l’ordre de 1/50 pendant toute cette période. Les problèmes sur certains matériels allemands montrent que ce pays n’est pas à la hauteur. En conséquence, avant de parler, il vaudrait mieux se renseigner ! Par ailleurs, un vrai ingénieur, c’est-à-dire une personne qui fait un vrai travail d’ingénieur, doit nécessairement parfaitement maîtriser les disciplines scientifiques fondamentales que sont les mathématiques, la physique et la chimie, sans quoi, objectivement, ce ne peut être un ingénieur. Malheureusement, dans les entreprises, on confond le titre initial des ingénieurs avec leur métier, car, la carrière évoluant, ces derniers accèdent en général assez rapidement aux postes de management qui sont beaucoup plus rémunérateurs. Le système est comme cela et c’est dommage, mais il ne faut pas confondre la lune et le doigt qui la pointe. Un vrai ingénieur, utile, c’est avant tout un scientifique qui va mettre en œuvre un savoir important de manière efficace ; de la manière la plus efficace possible dans un contexte de compétition mondiale exacerbée. Les parcours de complaisance que propose Richard Descoings, ne feront, s’ils sont mis en place, que détourner les quelques bons éléments ayant encore la vocation en un pays qui préfère récompenser les discoureurs aux assertions peu fondées plutôt que ceux qui font du concret !

Passons à l’étude de l’institut Montaigne et penchons-nous d’abord sur les auteurs de cette étude. Ce sont trois polytechniciens sortis de l’école en 2006. Alors que la mondialisation est un phénomène complexe, qu’elle concerne 6 milliards de personnes, des flux croisés entre pays, un système informe qui s’autoalimente pour partie, etc., ces jeunes blancs becs qui ne peuvent pas avoir le recul nécessaire à quelque discours que ce soit, se retrouvent propulsés sur le devant de la scène par le fameux institut. Nous allons reprendre quelques-uns de leurs arguments en les commentant.

L’avant-propos, écrit par Henri Lachmann commence par remarquer que la France est moins industrialisée que l’Allemagne et que la tendance est à la baisse chez nous ce qui nous place en-dessous de la moyenne européenne. Quand on sait comment est géré le système français, c’est-à-dire pour une bonne partie par les polytechniciens, on peut légitimement penser qu’ils sont en grande partie les fossoyeurs de l’industrie de notre pays et, en conséquence, on est un peu interloqué de voir qu’après ce fiasco qui dure depuis au moins 30 ans, cette caste se permet encore de venir nous donner des leçons…

Je passerai rapidement sur les poncifs qu’il récite ensuite et qui, dans sa bouche, sont contradictoires : le droit du travail serait trop rigide, mais il y aurait trop de CDD[2], notre pays construit des murs étanches entre le public et le privé[3], et la financiarisation empêcherait, selon lui, toute vision à long terme[4]. Et enfin nous aurions une élite trop faible par rapport aux pays de l’OCDE. Un scientifique digne de ce nom devrait se poser la question de savoir si l’écart type intellectuel en France est différent de celui des autres pays auquel cas il faudrait s’inquiéter, mais Henri Lachmann semble bien loin de cette pensée qui ne l’effleure même pas. Peut-être l’élite est-elle caractérisée par autre chose que l’intellect ou certains dons pour M. Lachmann ?

Passons alors à la prestation des jeunes aspirants à la direction du « think tank » institut Montaigne.

Après un court constat déjà commenté sur l’article de Richard Descoings, ils commencent leur étude en faisant un constat supplémentaire : peu de créations de start-up en France et moins de brevets qu’aux USA. Et nos auteurs de dire : Mais que font nos ingénieurs ? Là, c’est déjà un peu fort de café. Ces jeunes pourraient eux-mêmes être à la tête de start-up et pourraient se plaindre des difficultés qu’ils rencontrent si on les avait mal préparés. Mais une rapide recherche avec Google montre qu’ils ne sont pas des patrons de start-up, ils ne sont que la voix du système qui dit « faites ce que je dis, mais pas ce que je fais ». Cela commence mal, si l’on peut dire…

Et ils embrayent de suite en dénonçant le trop grand confort des élèves dans les écoles d’ingénieurs qui ont des carrières toutes tracées. Sans doute parlent-ils des corpsard de l’X qui se partagent allègrement les portefeuilles en vues quelles que soient leurs réelles compétences par ailleurs alors que les autres souffrent bien davantage. Et cela ne les empêche pas de « découvrir le fil à couper le beurre » quand ils disent que l’entrepreneuriat est perçu comme une voie risquée. En 2011 les X viennent de s’en apercevoir ! Il était temps ! Dans le paragraphe suivant ils constatent que Cambridge fait mieux que l’X. Laissons ces gens « entre eux ».

Sautons allègrement une succession de poncifs supplémentaires et arrivons-en à leur suggestion de créer dans les écoles des départements d’entrepreneuriat. Décidément, nos 3 jeunes sont mûrs pour la fonction publique. L’entrepreneuriat, c’est un état d’esprit, ce n’est pas un apprentissage en dilettante qui va faire quoi que ce soit en la matière. Et finissons ce rapide commentaire en reprenant brièvement leur proposition qui vise à créer des incubateurs de créativité dans chaque école… Qui va pondre les œufs qu’il faudra incuber ?

Vient ensuite, encore une fois, une série de poncifs, sur les docteurs, sur le fait que nos sociétés sont basées sur l’innovation et les ruptures technologiques[5], sur le fait qu’il faut favoriser les démarches collaboratives, qu’il faut des échanges entre étudiants et entreprises et nous passons au chapitre 2 sur les « soft skills »[6]. Là, les cabinets de recrutement, étrangers bien sûr, trouvent nos jeunes faibles en management. Oui, mais le sujet, c’est bien les ingénieurs, non ? A moins que nos jeunes ne parlent exclusivement de la carrière des polytechniciens qui « naissent » directeur et n’occupent jamais d’autres postes que ceux-là…

Reconnaissons une bonne idée du rapport, la seule, celle de créer des centres expérimentaux qui, effectivement, manquent dans les écoles.

Vient ensuite, malheureusement, une perle de bêtise ! Pour sélectionner les candidats aux écoles, il faudrait des tests de personnalité ! Diantre ! Et si tout le monde fait pareil, que fera-t-on des 10%, 20% ou plus de la population qui n’auront pas été sélectionnés ? Barrer quelqu’un sur sa personnalité est-ce seulement un argument décent ? Cerner la personnalité de quelqu’un, cela relève-t-il de la science ? Fermons le banc d’une mesure qui ressemble, sous bien des points, à du pur eugénisme !

Passons au chapitre 3, peut-être le plus « gratiné ». Nos auteurs y vantent les doubles cursus, etc., bref, ce que l’on appelle couramment l’ouverture au monde. Ils semblent oublier que dans la pratique cette ouverture au monde se traduit, très schématiquement, comme suit : une délocalisation dans les pays à bas coûts avec des conditions de travail moyenâgeuses, une importation dans les pays à forts coûts de main d’œuvre où les produits sont vendus quasiment au même prix que si on les avait fabriqués sur place et où l’on crée des cohortes durables de chômeurs et de vies brisées, et tout cela au profit de la finance internationale qui joue au casino toute la journée. La belle affaire ! Et il faudrait que l’Etat supporte un tel état d’esprit en monnaie sonnante et trébuchante ?

Le point culminant du chapitre 3 réside dans la demande des 3 anciens de l’X de faire les cours en anglais. Par manque de place, je ne vais pas développer cette dernière critique, car elle a déjà été faite par d’autres, mais nos lascars montrent là leur inculture totale : non seulement on n’apprend pas le français à l’X, mais en plus on n’y est pas cultivé ! De plus, en termes industriels, nous sommes en concurrence mondiale avec les chinois sur la maîtrise de l’anglais, c’est bien connu !

On passe ensuite à Paritech et autres illusions du moment, problème térébrant ces temps-ci, le classement de Shanghai nous ayant relégués en fond de classement. Là, c’est un syndrome français bien connu depuis des siècles, rendu populaire par La Fontaine sous le nom de syndrome de la grenouille. Rappelons que la première vocation d’une école, d’ingénieurs ou non, c’est d’instruire ses élèves, ce n’est pas d’être première au classement de Shanghai.

Bien entendu, il faut attirer dans ces écoles, nous disent nos polytechniciens, des talents, sous-entendu de l’étranger. Que fera-t-on alors de nos petits français qui auront été recalés pour laisser une place aux étrangers ? Comment pourra-t-on leur expliquer qu’il faut payer des impôts pour soutenir un système dont ils ne pourront pas profiter ?

Enfin, cerise sur le gâteau, on joue un petit coup de pipeau sur la diversité sociale qui serait une fin en soi. Rappelons que si l’on se concentre sur les vrais outils de l’ingénierie, voie dont on ne devrait se laisser distraire, à savoir, mathématiques, physique et chimie (biologie pour ceux qui sont dans cette voie), la seule diversité souhaitable est celle de l’excellence, le reste c’est de la politicaillerie délétère !

Vous vous demandiez pourquoi la France est en déclin ? Avec ce texte, l’institut Montaigne vous montre pourquoi, il suffit de lire ce qui écrit ! Tant que des « think tanks » comme celui-ci feront la loi, notre pays ira à la décadence.



[1] On remarquera la « modestie » qui accompagne ce vocable…

[2] Le CDD n’est-il pas, justement, une flexibilité ?

[3] Franchement, avec toutes les « affaires », ne vaut-il pas mieux que chacun reste à sa place ?

[4] Ses successeurs en herbe disent exactement le contraire un peu plus bas concernant les USA !

[5] Aucun risque que cela vienne des 3 auteurs.

[6] Eh oui ! On n’apprend plus le français à l’X !


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