L’intolérable mépris de la jeunesse

par Frédéric Alexandroff
jeudi 2 juillet 2009

On le savait déjà, la France est un pays de vieux. Des vieux qui se plaignent, pleurnichent, couinent, grognent, se lamentent. Parfois à raison, souvent à tort, et bien plus encore à travers. Et s’il y a une chose contre laquelle ils devraient arrêter de pleurer, c’est bien le jeunisme dont la société ferait preuve et dont ils seraient les victimes immédiates.

Mais qu’est-ce exactement que le « jeunisme » ? Le dictionnaire Larousse le définit comme une « tendance à exalter la jeunesse, ses valeurs, et à en faire un modèle obligé ». D’une manière générale, l’idée force du jeunisme serait donc, selon Wikipédia, de faire une « place plus importante aux jeunes » et il décrirait, plus précisément s’agissant des questions d’emplois, « les discriminations par l’âge, mais également (...) le remplacement d’employés par de jeunes diplômés ». Arrivés là, ceux qui ne sont pas encore morts de rire, ou que les larmes n’aveuglent pas, me suivront peut-être dans ma réflexion.

La génération "bons plans".

Mercredi 1er juillet au matin, on pouvait trouver sur le site du Monde.fr, un article de Nicole Vulser, intitulé "la crise n’a pas bouleversé les habitudes des 18-25 ans", dans lequel nous sont relatés les résultats d’une étude menée par l’agence Junium. De fait, le papier, plutôt court, se contente de rapporter les questions posées par ce sondage et les réponses apportées par les trois cents "jeunes" interrogés, sans aucun véritable commentaire ni mise en perspective. Dieu sait pourtant qu’ils l’auraient mérité.

Or donc, que nous apprend cette étude ? D’abord que 64 % des jeunes soumis à la question "déclarent ne rien avoir changé dans leur façon de consommer en raison de la crise". Ce qui, très franchement, n’aura étonné personne, dans la mesure où le "pouvoir de consommer" n’était déjà pas entre leurs mains avant ladite crise. "A une nuance près", nous précise tout de même l’auteur, car "les jeunes touchés par le chômage sont les plus affectés". Non, sans blague ? On ne s’en serait jamais douté.

Dans la droite ligne de ces révélations fracassantes, l’article poursuit sur sa lancée en rappelant des chiffres que les médias et l’opinion ont, il est vrai, une fâcheuse tendance à oublier : près de 20% des jeunes de 25 ans sont au chômage, et plus de 35% occupent un emploi précaire, c’est-à-dire, pour s’en tenir, là encore, aux définitions du Larousse, un emploi qui "n’offre nulle garantie de durée, de stabilité, qui peut toujours être remis en cause". Un emploi qui, pour faire simple, ne permet tout simplement pas de vivre. Raison pour laquelle, n’oublie pas de préciser l’auteur de l’article, "70 % des garçons et 45 % des filles vivent encore chez leurs parents".

 Par la suite, le lecteur est amené à se focaliser sur le cœur de l’étude ainsi "analysée", en l’occurrence les habitudes de consommation des 18-25 ans. On y apprend, pêle-mêle, qu’ils achètent et vendent beaucoup sur Internet, privilégient les marques d’hypermarchés ou hard discount, délaissant ainsi les grandes marques "sauf Coca-Cola et Nutella", que pour eux le bio est "louche tellement on en parle" et que "les produits éthiques ne sont pas non plus leur truc".

Et qui sont donc les modèles de ces jeunes ? poursuit l’article. Qui les fait rêver ? "Un membre de leur famille (à 17 %), suivi par un sportif de haut niveau (12 %), un acteur de cinéma ou de télévision (10 %), un chanteur (9 %) et un de leurs copains (6 %)". Un homme politique ? Non ? Même mort, à la rigueur, car c’est encore parmi ceux-là qu’on trouve les plus dignes d’admiration. Pas un de Gaulle, ni un Mendès, voire même un Clémenceau... non ? Tant pis. Un scientifique alors ? Non plus ? Et un grand auteur ? Ah... bon. Gagne pas assez, sans doute. D’ailleurs, nos jeunes ne font pas mystère de leur grande ambition : "fonder une famille" (12 %), avant même d’être "heureux en amour" (11 %). Il n’y a qu’une chose pire que le cynisme, c’est le cynisme bête et heureux.

Le citoyen là-dedans ? Il n’existe pas. Et d’ailleurs tout le monde s’en fout, de la citoyenneté, à commencer par nos fameux "jeunes", s’il faut en croire l’étude menée. Car, après avoir constaté que, pour les 18-25 ans, la crise ne serait qu’un prétexte permettant à la classe politique d’"expliquer tous les maux actuels", une aubaine pour les banques "qui en profitent de façon jugée abusive", ainsi que pour les entreprises "pour justifier des licenciements", et même "un leitmotiv des médias pour plaire à leur public", on apprend également que les élections arrivent tout en bas de la liste des choses qui les intéressent. Ou, plus exactement et pour reprendre la terminologie exacte choisie par l’agence ayant mené l’enquête, des choses qu’ils trouvent "géniales".

 

Une population amorphe et sans conviction.

 Et c’est là que surgit le mépris que j’évoque dans le titre de mon article. Nos trois cents "jeunes", dont on suppose qu’ils constituent ce qu’on appelle un "échantillon représentatif", sont amenés à s’exprimer sur le degré d’intérêt qu’ils ont pour tel ou tel concept, bien matériel, groupe de population ou autre... et ce en répondant par "c’est génial", "c’est bof" ou "c’est nul". Les réponses sont tellement effrayantes qu’elles se passeraient presque de commentaires.

Donc, voici, du plus "génial" au plus "nul" :

-Les journaux gratuits (79 %), sans doute parce que les informations qu’on y trouve sont à peine plus intéressantes que dans les grands quotidiens, et pour pas un kopeck.

-Le développement durable (77 %), sûrement parce que ça fait "cool" d’être écologiste.

-Les organisations humanitaires (73 %), parce que ni la jeunesse ni la précarité qui lui est devenue inhérente ne protège du politiquement correct.

-Les enfants (73 %)... c’est toujours génial, les enfants. Jusqu’au moment où on en a.

-L’argent (64 %), parce qu’il est bien connu que l’être humain désire avant tout ce qu’il n’a pas. Parallèlement, dire de l’argent que c’est "génial", est un puissant révélateur de l’état de délabrement moral de notre société. L’argent, ça n’est jamais rien d’autre que l’argent, c’est-à-dire une monnaie d’échange. On en a, ou on en a pas, mais lui conférer une espèce de valeur morale intrinsèque est d’une perversité extrême.

-Le mariage (60 %)... bon, là, j’avoue mon étonnement. Ou alors, c’est comme les chansons des années 80, ça revient à la mode.

-Les homosexuels (47 %). Donc... soit 47% des jeunes interrogés sont des gays et des lesbiennes, soit il s’agit d’une espèce de jugement moral basé sur des préjugés encore plus idiots que ceux sur lesquels s’appuient la mal-nommée "homophobie".

-Facebook (42%), parce qu’avoir sa tronche sur Internet, et y exposer sa vie, même si on a rien à raconter, c’est très moderne.

-Le téléchargement illégal (42 %). Et vlan pour Hadopi...

-L’Europe (41 %). Hum... rappelez-moi le taux d’abstention des jeunes aux dernières européennes ?

-Les mères porteuses (40 %). Là, je ne vois pas quoi écrire, mis à part : ?????

-La poésie (36 %). Un peu de douceur dans un monde de brutes.

-Le Smartphone (34 %). Je ne sais même pas ce que c’est.

-Les élections (26%). La lanterne rouge du peloton...

Alors, à présent, si l’on s’en tient à ce qui est énoncé plus haut, on en conclut la chose suivante : la jeunesse est un ramassis de crétins lobotomisés, cyniques, conscients de vivre dans une société pourrie mais disposés à ne rien y changer du moment que, eux, réussissent à s’y faire une place, et ayant substitué à l’addiction de la religion comme opium du peuple une polytoxicomanie de sexe, de programmes télévisuels débilitants, de bouffe infecte, de Coca-Cola et de Nutella. Un petit peuple avili, à genoux devant le Veau d’Or de l’argent facile et de ses grands prêtres, joueurs de football ou acteurs, amassant en un mois des centaines d’années de SMIC, avec pour seule contrepartie le simili-rêve et en bonus l’exemple pitoyable qu’ils offrent à leurs supporters et fans.

Car c’est très exactement l’image qui est donnée de la jeunesse. Le seul choix des mots du questionnaire, ce "c’est génial, c’est bof, c’est nul ?", exprime à lui seul toute la suffisance, tout le mépris que notre société porte à ses jeunes, et la vision de "post-adolescents", accrochés aux basques de leurs parents jusqu’à la trentaine, et au-delà, comme si c’était un choix de vie délibéré et non la conséquence d’une situation imposée par d’autres. Les politiques, d’abord, qui n’ont qu’un faible intérêt pour le destin des jeunes, dont la part dans la population totale, et donc le poids électoral, sont appelés à décroître. Les chefs d’entreprises -ou recruteurs, ensuite, dont le comportement est généralement dégradant et avilissant, tout spécialement lorsqu’ils se retrouvent face aux plus diplômés, qu’ils soupçonnent à l’occasion d’être drôlement plus malins qu’eux.

Et en matière de mépris, politiques et entrepreneurs sont sur la même longueur d’onde. Je me souviens même d’une émission de télévision, durant la campagne présidentielle de 2007, au cours de laquelle François Bayrou, pourtant "chouchou" des plus diplômés, renvoyait dans les cordes un jeune qui sortait de l’université, en lui faisant comprendre qu’il était plus ou moins normal d’être au chômage lorsqu’on avait suivi des études "trop spécialisées" voire "exotiques"... les étudiants en droit apprécieront tout particulièrement. Justification du chômage par la compétence supposée insuffisante ou peu efficiente, jusqu’à pousser ces jeunes aux confins du grotesque (CV anonymes, profils en ligne ou autres gadgets du même tonneau), voire plus loin encore lorsque l’un d’eux se met en vente sur Internet. Une façon de mettre en lumière la situation des diplômés, initiative qui aurait pu être intelligente si elle n’avait pas tournée en eau de boudin à la minute où le bon Martin Hirsch vient le rencontrer pour lui proposer... un CDD de trois mois pour réfléchir au "problème". Problème dont on nous fait ainsi comprendre qu’il n’existe pas, puisque trois mois peuvent suffire à plancher dessus.

Quoi qu’il en soit, la situation de quasi-trentenaires coincés dans des stages, de l’intérim, ou tout simplement condamnés au RMI/RSA, sans grand espoir d’avenir, en dit long sur le peu de cas que ce pays fait de toute une génération. Elle mériterait pourtant davantage.

Car, la jeunesse, ce n’est pas cette cohorte de parasites drogués au hamburger-TF1, ni cette apathie, aussi bien individuelle que collective, ni cette idiotie assumée et encore moins cet égoïsme serein. Du moins on l’espère. Car l’article fait figurer une autre statistique, et à bien y réfléchir il s’agit peut-être de la plus effrayante : sur nos trois cents jeunes, 89 % se sont déclarés "heureux" contre 10 % "plutôt malheureux" et 1 % "très malheureux". La question étant alors de savoir dans quelle mesure ce "bonheur" les conduit à l’acceptation de leur propre situation, pourtant inacceptable. La Bible n’avait pas tort : "Heureux les simples d’esprit".

Mais pour conclure, je voudrais dire ceci : très franchement, au sondeur qui vous demande de répondre à une question par "c’est génial, c’est bof, c’est nul ?", la seule réponse qui tienne, c’est "Va te faire...". Que chacun complète selon ses préférences.
 

Frédéric Alexandroff


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