L’invasion des pères Noël

par Paul Castella
lundi 29 décembre 2014

Ceux qui me connaissent savent que depuis quinze ans, émigré volontaire dans un pays musulman, j'ai échappé avec plaisir à la corvée de ce qu'on appelle ici les « fêtes ». Cette année, les vicissitudes d'un accident de santé m'ont obligé à demeurer en France durant cette période et je découvre avec horreur et stupéfaction quelle mise en scène s'est orchestrée à la place des bondieuseries et cérémonies coutumières qui prévalaient auparavant. Exit le petit jésus et ses crèches désuètes, voici venir le temps des rabatteurs en houppelande et bonnet rouge à pompon blanc pour inciter le peuple à se prosterner devant les étalages garnis de marchandises. Partout prolifèrent les « pères Noël » dont les bonimenteurs des médias de masse annoncent la venue à des foules d'incroyants qui n'ont pas le choix de répondre aux apôtres des fausses fraternités : il n'existe ni père Noël ni joyeuseté des fêtes. Que des adultes supposés sains d'esprit continuent de faire croire à leurs enfants en l'existence d'un vieux père barbu qui viendrait distribuer gratuitement les cadeaux inutiles qu'ils se sont pourtant échinés eux-mêmes à acheter dans les galeries marchandes devrait déjà scandaliser tous ceux qui pensent que c'est lâcheté de la part des « grandes personnes » de profiter de leur préséance dans l'âge pour berner les plus jeunes. Mais que ces mêmes adultes se complaisent dans la puérilité d'un jeu débile, sans religion ni culture, faisant comme si les agents déguisés et grimés de la marchandise étaient officiellement les nouveaux prêtres d'un cérémonial dont le seul but est en fait de faire cracher les clients au bassinet, dépasse l'entendement. Télévision, radio, internet, tous les moyens d'abrutissement résonnent de faux souhaits de bonheur et de feints sentiments d'altruisme entre des parodies d'humains qui n'ont désormais d'égalité durable que devant les tiroir-caisses des magasins. C'est la victoire du consumérisme, petit frère du productivisme. Vive la progression du PIB et que coule la planète terre sous l'abondance des dommages collatéraux de la guerre commerciale. Les nouveaux camarades du social-libéralisme triomphant sont tellement abrutis qu'ils ont troqué le knout du petit père des peuples contre la hotte de pères noël clonés à l'infini. Reste le « Père », bien sûr, puisque son nom s'accole désormais à celui de « Noël » (jadis fête du Soleil Invaincu et des saturnales du solstice d'hiver) comme on dit « père Machin » à un curé célibataire et abstinent, pour lui dire sans doute : « bénissez-moi, mon père (Noël), car j'ai beaucoup consommé ». La bêtise, disait Einstein, n'a pas de limite : surtout quand il s'agit de faire soi-même son malheur. Tout cela, certes, n'est que mise-en-scène et, malgré l'opacité du spectacle, on devine que, au-delà des coulisses, continue à vivre malgré tout, la petite ou grande foule de ceux qui se fichent bien que Noël tombe cette année un 25 décembre et qu'il faille aux comptables du temps changer bientôt de calendrier.


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