L’Occident se dirige vers la barbarie durable
par Bernard Dugué
jeudi 14 septembre 2017
Le mot « barbare » est employé diversement, avec des significations à géométrie variable. On désigne communément par barbare un individu peu respectueux de l’ordre social et le plus souvent, faisant actes de violence sur les choses et les hommes. Cette facilité sémantique permet de qualifier certains groupes comme barbares et notamment les islamistes qui commettent des attentats, violent les femmes, détruisent les vestiges archéologiques. La désignation du barbare nous rassure sur notre propre identité. Elle nous légitime en nous plaçant du bon côté, celui de la civilisation, alors que le barbare est de l’autre côté, relégué dans un monde qui n’est pas le notre. Néanmoins, une analyse plus serrée des significations historiques de ce mot pourrait bien nous éclairer sur une barbarie occidentale subtilement masquée par les apparences démocratiques de notre Etat de droit.
Le mot barbare a été employé dans l’Antiquité pour désigner l’étranger et plus précisément, un étranger qui ne parle pas la langue des civilisés ou alors ne la parle pas bien. Plus tard, ce mot désigne des pays ou des populations aux pratiques jugées rétrogrades ou archaïques lorsqu’on les mesure aux mœurs et cultures dans les espaces civilisés. La barbarie ne se résume pas à la violence. Elle prend tout son sens lorsqu’elle caractérise l’usage du langage dont l’usage révèle quel type d’homme habite dans une cité ou un pays et quel est son lien avec la culture. L’étude du langage va plus loin car elle permet d’accéder à la manière dont pensent les hommes et quels horizons ils ont en ligne de mire. Pour parler comme Heidegger, le langage est la demeure de l’être. Par approximation, on peut tout aussi bien énoncer que le langage est la demeure de la pensée qu’elle met en sécurité. Ce qui nous rapproche du motif central de ce propos dont le thème central est le lien entre langue et pensée, ce qui laisse supposer qu’un certain usage du langage révèle une absence de pensée ou alors une pensée défectueuse, pour ne pas dire mauvaise.
Ces quelques remarques permettent d’établir un lien remarquable entre l’usage du langage et la manifestation de phénomènes humains épousant quelques caractères de la barbarie. On fera bien la distinction entre la barbarie au moment de l’Antiquité ou du Moyen Age et la barbarie contemporaine. Les deux catégories de barbarie se rejoignent seulement à travers le lien entre pensée et langage. Dans l’Antiquité, les barbares étaient des peuples qui n’avaient pas développé un certain usage civilisé du langage ou alors utilisaient un autre langage les faisant passer pour étrangers aux yeux de populations lettrés différemment. La barbarie rationnelle moderne est tout autre. Elle est due à une mutation du langage traditionnel et élaboré au profit d’une langue qui bannit nombre de mots ou bien utilise les mots restant d’une manière détournée.
La barbarie moderne repose sur une langue formatée au sein d’une idéologie qui impose une finalité précise et scientifiquement évaluée, jaugée. L’exemple édifiant n’étant autre que la novlangue utilisée par les nazis et si bien analysée par Victor Klemperer dans un maître livre. La barbarie moderne est le fruit de la métaphysique occidentale en phase terminale, autrement dit prenant les formes de la cybernétique. Le pouvoir agit en réagit en fonction du stage obtenu dans la réalisation d’une solution finale déterminée par l’idéologie. Ce mécanisme a produit l’élimination de populations par les nazis et les camps. Les koulaks ukrainiens ont été laminés par l’accaparation des terres agricoles par les Soviets, sans oublier l’élimination des opposants par le pouvoir stalinien. L’idéologie soviétiste décidait comment on doit produire et on doit penser, pour autant qu’on ait eu affaire à une pensée. La politique culturelle de Mao fut elle aussi une solution finale d’élimination idéologique, soit physique, soit morale avec les camps de rééducation. Les lettrés qui incarnaient une forme de pensée avec un usage du langage ont été redressés, reformatés pour s’insérer dans la production d’une société communiste déterminée par l’idéologie.
Les barbaries modernes sont en règle générale organisées et rationnellement conçues par les sciences mécaniques et les sciences humaines.
La science ne pense pas avait dit Heidegger. Si la science ne pense pas, elle calcule et si elle s’érige en idéologie, elle devient le concept d’une société technicienne présentant les traits de la barbarie.
Mais la barbarie ne signifie plus la même chose. Elle signifie la domination de la technique, de la cybernétique, de l’ajustement face à l’étant, de la manipulation, de la mobilisation de l’homme, de l’affaissement de la pensée, de la production effrénée, de la domination des masses, de la communication de masse, de la gestion scientifique de tous les secteurs de la vie. La science est à la racine du nazisme, du consumérisme, du productivisme, du communisme et de l’écologisme du 21ème siècle.
La question de la barbarie occidentale est l’une des plus essentielles pour comprendre dans quel monde nous sommes arrivés. La barbarie se traduit par un déficit de pensée et se manifeste par une altération du langage. Le grotesque, le vulgaire se substitue à l’authenticité de la langue qui permet à l’homme d’habiter la terre au lieu d’être mobilisé dans la fabrication, le calcul, la consommation, l’action encadrée par les normes. Le politique avec son langage technocratique ne fait qu’accompagner cette barbarie, il la soutient car elle est nécessaire au pouvoir, à la domination des maîtres, à l’envahissement de la technique et aux profits des entreprises. Les médias relaient cette langue sans pensée. Cette langue qui se combine à l’image pour influencer les émotions en visant l’esprit animal en l’homme qui en vérité n’a rien d’un animal mais devient une bête. Et d’ailleurs, le règne de la bêtise est un trait de la barbarie qui s’étend sur le monde.
Cette barbarie, je la vois s’étendre partout et surtout à travers les médias, je l’entends à la radio, avec les humoristes et les publicités débiles, infantilisantes ; je la vois dans la télé réalité avec des jeunes qui ne pensent pas, sur les plateaux des émissions de divertissement, aux infos, pillages, migrants, terrorisme, mais aussi discours idéologies insipides, vides de pensée, avec les technocrates, économistes, journalistes, politiciens, idéologues, écologistes, insoumis, transhumanistes, frontistes, socialiste, marcheurs… sans oublier les rumeurs du Net, les vidéos débiles et les commentaires d’individus décérébrés.
Je vois la civilisation s’éteindre, se retirer, se refuser à éclore, avec le règne de la technologie et de la marchandise, le déversement des hordes de prédateurs et de cannibales dévorant le monde, se consumants en zélés consuméristes sans oublier le gigantisme productiviste. Le monde qui devient barbare m’est étranger. Et cela correspond au sens originel de cette notion, sauf que cette fois, la barbarie me sépare, moi et mes amis civilisés, d’un monde qui n’a plus de sens et ne pense plus, qui s’agite dans tous les sens et ne s’élève plus vers les hauteurs de l’Etre.
Il est bien possible que cette barbarie dont le ressort est la cybernétique avec la technoscience ne finira jamais comme l’avait pressenti Heidegger. Et si elle finit, ce sera de trois manières. Avec l’extinction de l’espèce humaine, ou bien avec une dévastation pire que ce qui s’est déroulé entre 1914 et 1945, ou alors avec une prise de conscience d’une humanité qui parvient à trouver le chemin de la pensée.
Pour l’instant, la tendance est au développement souhaitable et durable du système modérément barbare avec toute la technoscience, les idéologues et les médias se servant d’une humanité domestiquée.
Il serait souhaitable d’écrire un livre sur ce thème. J’étudierai toute proposition de contrat. Pour l’instant, j’ai commencé un texte sur le Dasein et la Trinité du Temps.