L’Uber-barbarie
par Laurent Herblay
vendredi 16 octobre 2015
Décidément, Uber a un don pour rester à la pointe de l’actualité. Coup sur coup, l’entreprise a annoncé une étonnante baisse de 20% de ses tarifs sur Paris et le lancement d’un service de livraison de repas le midi dans quatre arrondissements. Deux exemples de sa barbarie économique.
Jongle avec les salaires
Sur le fond, l’annonce d’une baisse de 20% des tarifs est assez effarante. Bien sûr, des concurrents de la société avaient annoncé une offensive promotionnelle pour contrer la progression d’Uber, mais sur le fond, cela est assez révoltant. En effet, même si le Monde indique qu’Uber garantit les revenus de ses chauffeurs, et subirait « seule une réduction des recettes, qu’elle espère voir compensée par une hausse mécanique de l’activité », cette déclaration est ambiguë. Uber a-t-il renoncé à ses 20% de marge sur les courses ou part-il du principe que le supplément d’activité compensera la baisse du prix des courses ? En effet, un papier de la Tribune indique clairement que c’est la deuxième solution, ce qui explique les protestations des chauffeurs de la société et la réception des représentants syndicaux.
Le papier de la Tribune parle, lui, de « la baisse de tarifs qu’ils leur ont imposée » et dit qu’Uber « assure que la même mécanique a été fructueuse à New York, où la baisse du prix des courses a engendré une augmentation du volume des trajets, avec au final, un grain pour les chauffeurs » et que « le nombre de trajets sur UberPool était en hausse de 40%, et les revenus horaires des chauffeurs sont restés constants le week-end dernier ». Mais ce faisant, voici une autre preuve de la barbarie de l’économie dite collaborative, où les seigneurs peuvent décider du jour au lendemain de baisser le salaire horaire de leurs chauffeurs de 20%, ce que dénoncent des chauffeurs qui disent gagner le SMIC pour 60 heures de travail par semaine ! Il est beau le progrès apporté par cette nouvelle économie !
Une logique de rapport de force
Ce que montre cet exemple, c’est à quel point cette nouvelle économie accentue tous les rapports de force, jusqu’à l’horreur, puisqu’une entreprise peut décider du jour au lendemain de baisser les salaires de ses chauffeurs de 20%. Les innovations technologiques nous ramènent terriblement en arrière socialement, et permettent une déconstruction de notre modèle social : plus besoin de contrat de travail, plus de droits pour les salariés, et une rémunération qui est la variable d’ajustement de la stratégie de celui qui les paie. Et ici, le seul objectif d’Uber et d’acquérir une position dominante sur le marché, d’écraser et faire disparaître tous ses concurrents, que ce soit par la baisse des prix, ou demain, sans nul doute, par le rachat des entreprises qui auront survécu à cette concurrence totalement déloyale.
D’abord, les taxis, qui se battent les bras dans le dos puisqu’ils doivent régler des taxes qu’Uber n’a pas à payer. Puis, les autres VTC. Cette concurrence est doublement déloyale puisqu’Uber a réalisé un peu plus de 400 millions de pertes pour un peu plus de 400 millions de chiffre d’affaires en 2014, chose permise par le fait que les marchés lui donnent une valeur de 50 milliards, ce qui lui permet de financer sa croissance et son offensive commerciale à pertes. Les investisseurs font le pari qu’Uber finira par tellement dominer son marché qu’elle pourra demain en tirer des profits démesurés, qui justifieront alors les valorisations délirantes actuelles, au regard de ses résultats financiers. C’est parce qu’Uber est le plus fort qu’il peut abuser de sa force, vis-à-vis de ses chauffeurs et de ses concurrents.
Et nul doute que, dans quelques années, quand Uber dominera le marché des transports automobiles, au point que bien des taxis seront passés dans son orbite, les prix seront bien remontés pour nourrir des actionnaires et des dirigeants voraces, au détriment des chauffeurs et des consommateurs…