La Belgique lave plus blanc
par Henry Moreigne
jeudi 30 novembre 2006
Charleroi. La première ville de Wallonie (200 000 habitants) et 3e de Belgique est agitée depuis 2005 par de nombreuses affaires judiciaires qui mettent en cause des personnalités de l’administration communale. Méthode originale, pour voir plus clair, un audit externe a été commandé à des consultants privés (Ernst & Young), officiellement remis mardi 28 novembre. Même limitée dans le temps (2004 à 2006) et l’espace, l’évaluation est jugée édifiante.
Depuis quelques années, la ville de Charleroi vit au rythme des rebondissements judiciaires qui frappent les gestionnaires de la cité, fonctionnaires et élus. Marchés truqués, faux, usages de faux, détournement par fonctionnaire public sont des termes que les habitants ont appris à connaître avec, au bout du compte, un bourgmestre contraint de démissionner.
Ainsi, selon le parquet de Charleroi, depuis au moins dix ans de nombreux marchés publics sont truqués par l’hôtel de ville. Autant dire que les conclusions de l’audit étaient attendues. Le délai laissé pour mener à bien celui-ci était particulièrement court, un petit mois. L’audit, bien que truffé de réserves, dresse un inventaire des anomalies à la Prévert. Même si celui-ci ne contenait pas d’éléments nouveaux, matière à d’autres poursuites, un exemplaire sera remis au procureur du Roi de Charleroi, complété de tous les noms cités. De manière générale, les auditeurs relèvent : “un environnement de contrôle insuffisant, voire inexistant”, “les manuels de procédures n’existent pas ; le contrôle a posteriori des opérations est inexistant ; au niveau du cycle des achats, une confusion des rôles entre la personne qui commande, celle qui contrôle et celle qui paie ; des frais de voyages et de réception pris en charge sans justificatif ; un manque de contrôle flagrant sur ce qui était fait des budgets... ”
Sont donc notamment épinglés les crédits réservés, à savoir sans imputation précise, en principe non autorisés, qui avaient atteint jusqu’à 1,7 million d’euros en 2005 et d’importantes notes de frais qui suscitent bien des interrogations. Mais, l’essentiel des reproches porte comme on s’y attendait sur les nombreux petits marchés passés par série sans publicité ou sur simple facture, identiques, et fréquemment attribués aux mêmes. Leur volume est si important que l’on peut “présumer une pratique délibérée, dans certains services, de scission artificielle des marchés”. L’audit s’étonne du nombre peu élevé de plaintes des soumissionnaires évincés, puis relève qu’à leur très grande majorité, les décisions du conseil relatives aux marchés sont prises à l’unanimité et sans demande d’explications.
Le comité d’audit a toutefois tenu à assortir son rapport de recommandations que la nouvelle majorité municipale appliquera. Elles rejoindront celles qui figurent déjà dans le Livre blanc sur la bonne gouvernance adopté par les partis démocratiques de Charleroi en septembre, dont la mise en place d’un comité d’audit interne à la Ville, chargé de vérifier les opérations financières.“Le gouvernement wallon, à la lumière du travail des auditeurs, va prendre plusieurs mesures. Nous allons mettre sur pied une équipe de contrôleurs pour réaliser des audits externes des grandes villes et, au sein de la tutelle, nous allons élargir la cellule des marchés publics pour lui confier une mission de conseil. Enfin, nous imposerons, au moment du vote du budget communal, de présenter les budgets des entités appartenant au périmètre de consolidation de la ville”, a également annoncé Elio Di Rupo le ministre-président du gouvernement wallon.
La société belge serait-elle plus délitée que sa voisine française ? Sans doute pas. Les contrôles des chambres régionales des comptes (CRC) ont dans notre pays depuis longtemps démontré l’étendue de leurs limites. Des opérations similaires à celle menée à Charleroi pourraient être révélatrices de beaucoup de surprises. La faiblesse organisée des oppositions dans les collectivités locales, leur absence de pouvoir de contrôle et d’investigation contribuent au développement de dérives de toutes sortes, que le cumul des mandats dans le temps amplifie. L’absence de sanction par les électeurs des comportements déviants avérés (Balkany, Médecin...) doit nous inviter à présenter un profil bas par rapport aux événements belges. Pour une fois, ne donnons pas de leçon, prenons-en.