La Burqa et les réactionnaires
par Damien Perrotin
mardi 23 juin 2009
Quelqu’un a dû jeter une malédiction de trop. Nous vivons une époque intéressante. Nos ressources s’épuisent, le gaz carbonique s’accumule dans l’atmosphère et le monde industriel se débat dans ce qui sera sans doute la dernière crise de son existence. Pendant ce temps-là un quarteron de députés qu’on espère bientôt à la retraite nous pondent un antépénultième débat sur la burqa.
La pratique consistant à enfermer une femme – ou un homme, d’ailleurs – sous une bâche et à ne le laisser accéder au monde extérieur que par le biais d’un carré de tissu grillagé est évidemment aussi barbare que stupide. Tous les progressistes dignes de ce nom doivent s’efforcer de la faire disparaître. Ce n’est pas le problème, cependant, en fait cela ne l’a jamais été. La seule question qui mérite de se poser dans une assemblée c’est de savoir s’il faut l’interdire.
Une telle interdiction n’aurait, bien sûr aucune chance d’être appliquée. Le Conseil Constitutionnel la censurerait immédiatement et s’il ne le faisait pas, la Court Européenne des Droits de l’Homme s’en chargerait. Tout ce que nous en retirerions ce serait l’indignation de tous les démocrates de la planète, ainsi, sans doute, que quelques vociférations villieristo-souverainistes à la Riposte Laïque.
Là encore, cependant, ce n’est pas le problème.
Il y a dans le chœur de ceux qui réclament l’interdiction de la burqa beaucoup de xénophobie crasse et de conservatisme qui ne l’est pas moins. Il n’y a pour s’en convaincre qu’à regarder les contorsions intellectuelles auxquels nombre d’entre eux se livrent pour justifier la non-interdiction des cornettes – qui procèdent pourtant de la même logique que la burqa. Ce qui les gêne ce n’est pas l’offense faite aux femmes, c’est la présence visible de l’Islam dans la société française. Cela relève d’une vision profondément perverse de l’identité qui consiste, littéralement, à la graver dans le marbre et à interdire aux sociétés d’évoluer – exactement ce que font, ou plutôt prétendent faire les islamistes. L’identité d’un peuple, c’est d’abord l’affirmation d’une continuité, affirmation qui peut fort bien s’accommoder de changements culturels profonds. Si la Bretagne se convertissait à l’Islam, elle serait certainement différemment bretonne, mais pas moins. Vouloir interdire à un peuple d’adopter telle ou telle religion, ou telle ou telle pratique sous prétexte qu’elle vient d’ailleurs, c’est le figer dans un moment de son histoire et lui dénier toute maîtrise de son destin culturel.
Il n’y a d’ailleurs rien d’étonnant à ce que intellectuels comme, par exemple Françoise Morvan, se fassent les hérauts de ce genre de discours. Leur vision de la société est fondamentalement conservatrice, même si ce n’est pas le même conservatisme que celui qui anime Sarkozy.
On passera avec indulgence – enfin pas trop, quand même – sur les arguments de ceux qui nous disent que la burqa n’est pas musulmane. C’est certainement vrai puisqu’on ne la porte pas en Albanie. Ce n’est cependant pas aux non-musulmans de décider ce qu’est l’Islam, pas plus que ce n’est aux libéraux de définir ce qu’est le communisme. Nous ne sommes pas obligés de suivre une femme voilée dans son raisonnement mais nous ne pouvons pas nier sa sincérité ni sa conviction que la religion qu’elle suit est effectivement l’Islam, pas plus que nous ne pouvons nier que le mélange bizarre de populisme vigneron et de trotskisme que professe le Parti Ouvrier indépendant soit, à ses yeux, du socialisme.
On peut certainement dire que la burqa est le symbole d’une idéologie détestable et qu’elle doit, en conséquence, être interdite. Le fondamentalisme est indéniablement exécrable, même si ceux qui s’acharnent sur sa version islamique en oubliant ses variantes catholiques ou évangéliques combattent en général tout autre chose. Ceci étant dit, suffit-il qu’une idéologie nous paraissent exécrable pour que nous interdisions ses manifestations ? C’est loin d’être évident. Nous interdisons la propagande fasciste parce qu’elle, par nature, est une apologie de crime contre l’humanité. Il est possible qu’on interdise un jour la propagande productiviste pour des raisons similaires. Cela doit rester des exception cependant, car si les nationaux-laïcards de Riposte Laïque peuvent faire interdire le voile parce qu’il ne correspond pas à leurs valeurs, qu’est ce qui m’empêcherait de demander l’interdiction de Riposte Laïque – ou de n’importe quoi d’autre, d’ailleurs, pour les mêmes raisons ?
La règle doit être qu’il n’y a pas de crime sans victime et que chacun doit être libre de faire ce qu’il veut tant qu’il ne nuit pas aux autres. Or, si les femmes à burqa se nuisent indubitablement à elle-même, on voit mal quelles nuisances elles causent au reste de la population – sauf à considérer comme légitime les vociférations des chrétiens intégristes qui se sentent "agressés" dés que l’on joue du métal un peu trop prés de chez eux.
Il ne manque pas, bien sûr, de bonnes âmes pour invoquer la laïcité, preuve qu’il n’y comprennent pas grand chose ou que dans le fond ce n’est pas cela qu’ils veulent. Que des personnalités aussi éminentes et aussi peu suspectes de sympathies islamistes que Caroline Fourest ou Henry Pena-Ruiz refusent de les suivre sur ce terrain devrait d’ailleurs les interpeller. Être laïque c’est affirmer que la religion ne doit pas structurer la société et que l’Etat doit être, en matière religieuse, d’une neutralité absolue. C’est pour cela que les fonctionnaires, qui représentent l’Etat ne doivent porter, dans le cadre de leurs mission, ni voile, ni croix, ni pentacle. C’est pour cela aussi que les uns comme les autres sont interdis au sein de l’école qui est et doit rester une institution républicaine. Les religions ont, par contre tout à fait le droit de structurer la vie de leurs adeptes, même si cette structure nous déplaît, tant qu’elles ne structurent que la vie de leurs adeptes et qu’elles ne troublent pas l’ordre publique.
Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle inquisition.
En fait, au delà des sophismes et des approximations des croisés de l’anti-burqa, ce à quoi nous sommes confrontés c’est moins à un problème musulman qu’à un problème "républicain" – je mets des guillemets car le mélange nauséabond de nationalisme et d’autoritarisme qui se cache trop souvent derrière ce terme n’a rien à voir avec la vraie république. Le "républicanisme" a certainement représenté un progrès par rapport à l’intolérance au cléricalisme de l’Ancien Régime, mais il ne considère pas plus que lui l’autre comme un individu à part entière, avec son histoire, ses croyances et son projet particulier. Il le réduit à un ectoplasme unidimensionnel qui n’existe que pour et par sa participation à l’Etat et considère toute manifestation d’altérité comme illégitime. En un sens il le chosifie presque autant que le fondamentalisme, même si ce n’est pas sur le même registre.
Ce qu’il faut, au contraire, c’est considérer chaque individu comme un être particulier, digne de respect en tant que tel, et non en tant que futur citoyen-blanc-catholico-laïque ou en tant que sujet d’expérience pour tel ou tel projet de libération involontaire. Cela signifie refuser que l’on voile les femmes de force. Cela signifie aussi refuser qu’on les dévoile d’autorité.