La chute minime et illusoire des inégalités

par Laurent Herblay
mercredi 23 septembre 2015

Alors que l’on parle toujours de l’augmentation des inégalités, thème cher à Stiglitz ou Piketty, l’INSEE a révélé des chiffres qui montrent que les inégalités auraient baissé en 2013, comme en 2012. Mais faut-il vraiment se réjouir de ces chiffres et traduisent-ils un vrai renversement de tendances ?

 
L’hirondelle ne fait pas le printemps
 
Dans l’absolu, on ne peut que se réjouir de cette baisse des inégalités et de la progression de 1,1% du pouvoir d’achat des 10% des plus bas revenus (à 10 730 euros après impôts) quand les revenus des 10% des plus hauts revenus ont reculé de 1,8% (à 37 200 euros). L’indice de Gini recule donc de 0,305 à 0,291 de 2012 à 2013, le plus bas niveau depuis 2009. En outre, il faut souligner que la France présente un niveau d’inégalités plus faible que dans la majorité des autres pays. Mieux, le taux de pauvreté est passé de 14,3 à 14% en un an. Les raisons de cette évolution sont l’augmentation des impôts des plus riches, les impôts directs qu’ils paient étant passés de 26 à 27,9% du revenu disponible, quand, au contraire, les plus bas revenus ont bénéficié d’une hausse des prestations sociales. 
 
 
Mais cette présentation des choses est insuffisante. En effet, même si les inégalités avaient légèrement baissé en 2012, et que cela constitue donc une deuxième baisse consécutive, il faut noter que le revenu médian (séparant les 50% qui gagnent le plus des 50% qui gagnent le moins), affiche une baisse de 0,1%, ce qui indique a contrario que les revenus moyens ont stagné en 2013, à un niveau de 1667 euros que l’on ne peut pas considérer comme suffisamment élevé. En outre, comme le montre le graphique du Figaro, on constate que le revenu médian tend à baisser légèrement depuis 2008, phénomène inquiétant. Enfin, on peut également voir que si les inégalités reculent, elles le font après une hausse constante de plus de 15 ans, ce qui relativise l’inversion de tendance, encore trop récente.
 
L’arbre qui cache la forêt
 
En outre, l’analyse de l’INSEE est d’autant plus insuffisante qu’elle se concentre surtout sur l’analyse des écarts de revenus entre les 10% les plus riches et les 10% les moins riches. Malheureusement, cela est insuffisant. Stiglitz, Piketty ou Todd ont depuis longtemps montré que l’explosion des inégalités se produit notamment au sommet de la pyramide, au profit du 1%, voir même du 0,1% le plus riche, et qu’agglomérer le sommet de l’élites avec les classes supérieures peut conduire à des analyses erronées. Les travaux d’Emmanuel Saez, comparse de Thomas Piketty, indiquent que de 2009 à 2012, si les revenus ont monté de 6,1% aux Etats-Unis, ceux des 10% les plus riches ont progressé de 15% et du 1% le plus riche, de 31% (quand la hausse atteint 0,4% pour les 99% les moins riches).
 
Des statistiques ont montré que le 1% le plus riche aux Etats-Unis s’accapare plus de 90% de la hausse des revenus depuis 2009 ! Bien sûr, la situation de la France n’est sans doute pas aussi extrême que celle des Etats-Unis, mais néanmoins, les travaux de Thomas Piketty ont bien montré que ne regarder les inégalités qu’à travers la comparaison des 10% les plus riches et des 10% les moins riches est insuffisant, et que cela fait passer à côté de l’envolée des revenus du 1% le plus riche. Pour rappel, le patron de Renault gagnait 150 000 euros par an au début des années 1990 et celui de PSA autour de 300 000, quand Carlos Ghosn émarge à plus de 10 millions quand on cumule les rémunérations qu’il touche pour la présidence Renault et celle de Nissan, une envolée cachée par l’analyse de l’INSEE.
 

Même si on peut se réjouir de cette légère baisse des inégalités, il faut souligner qu’elle est très limitée, et qu’elle vient après une augmentation continue depuis longtemps. Pire, en ne choisissant pas les bonnes bornes, elle contribue à masquer l’envolée des inégalités en haut de la pyramide.

 

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