La classe moyenne française va-t-elle exploser ou imploser ?
par Constant Pourpier
samedi 24 juillet 2010
Le déclin des classes moyennes est devenu un cliché moderne, qui suscite autant la colère que la résignation des populations concernées. En plein cœur de la crise, le sujet mérite pourtant qu’on s’y penche régulièrement : c’est le cœur de la société qui est touché, le ventre mou du classement diront les plus cyniques, son noyau dur diront les autres.
Un responsable du département "conditions de vie et aspirations des Français" déclare cette semaine à Capital.fr que "les classes moyennes ont du mal à faire le deuil de l’ascenceur social" et affirme que "le tableau est noirci à outrance". Un propos lénifiant en pleine crise économique.
On considère que les -ou la- classe moyenne est cette partie de la population qui se situe entre la classe pauvre et la classe riche. Louis Chauvel la définit comme une population bénéficiant d’un revenu stable, suffisant, d’une protection sociale relativement garantie, capable d’assurer une bonne éducation à ses enfants et pouvant se permettre certains loisirs. Des caractéristiques de plus en plus dégradées, à l’heure où deux tiers à trois quarts des français se perçoivent comme faisant partie de la classe moyenne, selon une étude du Centre d’analyse stratégique. Dans sa définition extensive, la classe moyenne représente plus de 80 % de la population.
Un système de distribution des richesses en "U"
Dans la réalité, les gains économiques les plus importants se trouvent aux deux extrémités du système : on a coutume de dire que les plus riches s’enrichissent, ce qui n’est pas dénué de fondement, mais les plus pauvres bénéficient également d’un transfert de richesse important.
Un colloque tenu au Sénat en 2007 a montré que de façon concrète, la catégorie de population la moins bien lotie est celle dans les revenus s’établissent entre 40% et 100% du revenu moyen, c’est à dire le bas de la classe moyenne, ou « lower middle class ».
Du côté des « pauvres », désignés comme tels jusqu’à 35% du revenu moyen, les ménages bénéficient, grâce aux transferts, d’un surcroît de revenu d’environ 20%. C’est un gain que l’on retrouve à partir de 140% du revenu moyen (soit 2170 euros par mois) et qui continue de croître en fonction du revenu.
Cela donne une forme de distribution des richesses en U, la classe moyenne se situant dans le creux du U.
Le moteur du système économique est fatigué
On voit que le nombre important de personnes pouvant se rattacher à la classe moyenne, et la redistribution exagérée des richesses qu’elle produit, devraient accaparer la plupart des débats politiques, économiques et sociaux.
La réalité est toute autre : la couverture médiatique et les politiques font de plus en plus comme si cette écrasante majorité n’était pas au cœur de leurs agendas, et s’intéresse en priorité à ceux qui pourraient rentrer dans cette classe moyenne, plutôt qu’à ceux qui ont le sentiment d’en sortir.
Un sentiment d’injustice énorme en découle, car à ceux qui pourraient y rentrer on fait miroiter l’illusion d’une prospérité continue et d’un gâteau toujours égal à partager, et à ceux qui en sortent ou craignent d’en sortir, on raconte que la « Crise » n’est que passagère, espérant noyer le poisson par des périphrases et autres rotations autour du pot.
A propos de pot, je ne résiste pas à l’envie de vous livrer ici cette réplique imaginaire de Mazarin, qui n’est pas un hoax mais tirée d’une pièce de théâtre intitulée "Le diable rouge". Le succès relatif de son buzz démontre tout son impact sur la psyché de la classe moyenne.
Mazarin : Colbert, tu raisonnes comme un fromage (comme un pot de chambre sous le derrière d’un malade) ! il y a quantité de gens qui sont entre les deux, ni pauvres, ni riches… Des Français qui travaillent, rêvant d’être riches et redoutant d’être pauvres ! Ce sont ceux-là que nous devons taxer, encore plus, toujours plus ! Ceux là ! Plus tu leur prends, plus ils travaillent pour compenser… C’est un réservoir inépuisable.
Le succès de cette réplique pourrait se traduire par : Travailler plus ? Message reçu... Par une classe moyenne à qui on ne laisse guère le choix.
Entrée et sortie de la classe moyenne
Du côté de la sortie de la classe moyenne, ou de la prolétarisation progressive de sa population, il faut absolument citer le fait que c’est l’essor économique qui a permis son émergence massive, et qu’une crise économique et financière d’ampleur telle que nous la vivons la malmène forcément. Il serait pourtant logique de répartir de façon plus juste l’effort fiscal, car de la « lower middle class » à la pauvreté, il n’y a qu’un pas.
A l’aune de la crise mondiale, on peut également juger que les jeunes issus des classes moyennes qui entrent aujourd’hui sur le marché du travail, sont confrontés à des taux de chômage stratosphériques si on les rapporte à leur niveau de diplôme. Accepter un travail sans relation avec son niveau d’éducation et son diplôme, avec le risque élevé d’y rester toute sa vie, c’est d’abord cela le déclassement.
C’est aussi accepter de travailler toujours plus par peur d’une armée de chômeurs qui pousse derrière, accepter des rythmes infernaux pour atteindre les objectifs, et constater le taux de suicide effrayant dans les entreprises françaises. L’observatoire du stress et des mobilités forcées a émis l’idée que la tendance du suicide en entreprise s’accélère.
Voilà les résultats bien tangibles du déclassement. Et la crise amplifie ces phénomènes convergents de mois en mois. Nos politiques quinquennales nous ont habitué à des décisions de court terme et de courte vue, alors que le problème nécessiterait une vision stratégique, par définition de long terme.
Il faut pour l’instant considérer le déclassement comme un long déclin de la classe moyenne, qui perd par à-coups la possibilité de profiter d’un mode de vie acquis durant les trente glorieuses. Jusqu’à un certain seuil d’acceptation seulement ? La classe moyenne va-t-elle exploser de colère et d’indignation, ou imploser et se déliter morceau par morceau ? C’est à elle de répondre.
Pourpier de Filefi.com