La dangereuse promotion culturelle de la PMA et de la GPA

par Anthony Michel
samedi 6 février 2016

Allons, tout d’abord, dans le sens des partisans du droit, pour les cou-ples homosexuels, à avoir un enfant. Les plus égalitaristes, parmi les premiers, peuvent être logiquement amenés à considérer qu’il doit être aussi facile d'avoir un enfant pour un couple homo que pour un couple hétéro par les moyens naturels. Certains sont donc d'avis que la Procréation Médicale Assistée (P.M.A.) doit être ouverte aux couples homos. Or, ces derniers sont seul-ment féminins puisqu'il s'agit de prendre pour mère porteuse une des deux partenaires et que, jusque là, les hommes ne peuvent pas porter un enfant. La précédente logique égalitariste a donc ses limites. Toutefois, la Gestation Pour Autrui (G.P.A.) va constituer, pour elle, le plan B. Car la G.P.A. peut remédier à l’injustice naissant entre les couples homos féminins et ceux masculins devant le droit d’avoir un enfant.

Restons-en, pour l’instant, à la P.M.A. Que signifie-t-elle exactement ? Elle relève de tout processus médical donnant les moyens de rencontre entre un ovule et un spermatozoïde dans l'objectif de – selon les mots de la loi française – « remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité ». Dans notre pays et au moment où j’écris ceci, la P.M.A. est ouverte à tous les couples hétéros concernés par les précédentes problématiques.
Ce qui peut poser problème avec l'ouverture de l'usage éventuel de la P.M.A. au couple homo féminin, c'est, comme je l’ai dit avant, la ségrégation qui se forme entre lui et les couple homo masculin. Le premier, contrairement au second, peut effectivement avoir un enfant sans adopter – en plus que l'une des deux femmes du couple peut rester qualifiée de mère génétique (ou naturelle).
D'où la volonté, chez certains militants, de rendre possible, pour les couples homos masculins, le recours à la G.P.A.

Rappelons maintenant ce qu’est la G.P.A. Elle est, à l’origine, un processus de type P.M.A. pour les couples hétéros lorsque la femme ne peut pas porter d’enfant (en cas d'absence ou de malformation de l'utérus). C'est donc, après que le couple ait fourni ses embryons, une autre femme qui porte l'enfant. Mais, n’ayant pas participé à la fécondation, elle ne fournit pas d'ovule, elle prend « seulement » en charge le développement in utero d’un embryon. Elle n'est donc pas la mère génétique de l'enfant.
Un article du journal Le Monde datant du 3 octobre 2014 fait le point sur les pays autorisant la G.P.A. La G.P.A. est autorisée de fait – absence de toute loi la concernant – dans beaucoup de pays du Monde. Ensuite, elle est autorisée mais encadrée légalement entre autres dans les pays suivants : Royaume-Uni, Ukraine, Inde, Canada, Brésil, Venezuela, Japon, certains Etats des Etats-Unis. Par contre, elle est formellement interdite dans un grand nombre de pays européens comme France, Espagne, Portugal, Italie, Allemagne, Grèce, Bulgarie, Croatie, Slovénie, Autriche, Hongrie, Danemark, Suède, Estonie, Lettonie, Lituanie, Bulgarie, Chypre.
En outre, la G.P.A. est déjà ouverte, dans certains pays, aux couples homos masculins. D’ailleurs, la mère porteuse peut, ou non, fournir un ovule (les ovocytes peuvent encore venir d’une autre femme) ; si oui, on parle alors de procréation pour autrui.

Dans tous les cas cependant, pour quelles raisons une femme désirerait être porteuse d'un enfant qu'elle ne garderait pas puisqu’il est destiné à un couple dont elle ne fait pas partie ? Pour des raisons purement philanthropiques sinon financières ? N'existe-t-il pas le risque de considérer son ventre comme une boutique, un commerce ?
Mais déjà, donnons des précisions sur qui soutient l’accès à la G.P.A. pour les couples homos masculins. Marie-Josèphe Bonnet est docteur en histoire, spécialisée dans l'histoire de l'art et des femmes. Elle est également l'une des fondatrices de l'ancien mouvement féministe homosexuel des années 1970 les Gouines rouges. Dans une entrevue pour le journal suisse L’Hebdo datant du 24 juillet 2014, elle nous dit que, les femmes étant « généralement contre les contrats de mères porteuses », le débat sur la G.P.A. est toutefois « complètement verrouillé » par un « lobby gay » qualifiant « d’homophobe tout opposant » à la G.P.A. ainsi qu’au mariage homosexuel. C’est, plus exactement, « une partie du mouvement gay, tendance L.G.B.T. (lesbiennes, gays, bisexuels et trans), qui a pris tout le monde en otage au nom de la lutte contre l’homophobie ».
D’après cette femme, le courage est alors « d’écouter sa conscience et d’aller contre la pensée dominante qui se veut progressiste en matière de procréation et qui est, en fait, ultralibérale ». De mon côté, je valide tout-à-fait les termes utilisés.
De plus, pour elle, une femme accouchant d’un enfant grâce à l’ovocyte d’une autre femme reste la mère « car une grossesse, ça dure neuf mois, il s’y passe des choses  ». En effet, nous ne devons pas négliger les éventuels liens affectifs naissant durant la grossesse et relatifs à elle. D’où l’exemple suivant.
L’article de Courrier international appelé Le business russe des mères porteuses : 12 500 euros le bébé (29 avril 2010) aborde le cas de « Galina Vassilevskaïa, de Dmitrov [à 65 kilomètres au nord de Moscou] » qui a accouché d’une petite fille pour le compte d’un couple. Son témoignage est important : « Sur le coup, je me souviens d’avoir éprouvé des sentiments mêlés. Sur mon lit d’hôpital, j’étais ravie que tout se soit bien passé, que le bébé et moi-même soyons en pleine forme, mais d’un autre côté, j’éprouvais une sensation de vide. La dame du couple est venue me voir, et c’était bien. Elle m’a apporté des yaourts, un bouquet de fleurs. Souvent, sur les sites Internet, on peut lire que, pour nous, ce n’est qu’un boulot comme un autre. Ce n’est pas vrai. Il ne faut pas oublier que, durant ces neuf mois, notre organisme se prépare à la naissance et à l’allaitement, et que nous nous retrouvons soudain sans l’enfant, avec du lait qu’il ne tétera jamais et qui coule sur notre robe de chambre. Mais après, j’ai pensé que je n’allais pas tarder à retrouver mon fils à moi, que j’avais laissé à la maison, et que tout allait rentrer dans l’ordre. Lorsque j’ai quitté la maternité, la première chose que j’ai faite, sur le conseil de mères porteuses qui avaient déjà vécu ça, a été d’aller acheter un chaton, pour avoir un petit être dont m’occuper. Mon mari et moi n’avons jamais dit à nos amis ni à notre famille que j’avais porté un enfant pour quelqu’un d’autre. Nous avons été obligés de raconter que nous avions perdu le bébé. Cela fait un an à présent, et je suis très heureuse de savoir qu’il y a sur cette terre un enfant qui est venu au monde en partie grâce à moi. » Sentiments de culpabilité, de frustration et de honte pour Galina : le lait que l’enfant « ne tétera jamais », le chaton en guise de compensation affective, la vérité cachée auprès des amis et de la famille. Peut-être aussi, au vu des derniers propos de la jeune femme, qu’un jour elle voudra revoir l’enfant en question… Mais sera-t-il souhaitable, possible, autorisé ?

Comme le dit Bonnet, « le droit français a raison de considérer que la mère est celle qui accouche ». Nous pouvons donc trouver fondamentalement injuste qu’une mère porteuse ne puisse pas garder l’enfant si elle se met à le vouloir malgré le contrat qui le lie aux parents commanditaires. Quant à l’enfant, en distinguant sa mère génétique de sa mère porteuse – et éventuellement de sa mère légale –, il devra psychologiquement s’y retrouver… À moins de lui cacher certaines vérités. Sauf que justement, comme le dit Bonnet, il faut qu’il existe « un devoir de vérité vis-à-vis de l’enfant sur son origine biologique, sinon c’est de la maltraitance ». Elle nous précise d’ailleurs : « On a relevé des cas de couples homosexuels où, par souci d’égalité, les partenaires refusent de dire lequel des deux a donné son sperme à la mère porteuse et où l’enfant porte leurs deux noms. Je trouve ça très grave. L’enfant a besoin de se représenter les personnes qui ont participé à sa conception. »

À juste titre, Bonnet dénonce ainsi une marchandisation de :
la procréation, restant heureusement et très généralement jusqu’ici un « acte gratuit » ;
des bébés eux-mêmes puisqu’on « encourage des mères à abandonner leur enfant, ce dernier devient un produit, une chose » ;
du corps féminin. En effet, les femmes sont elles-mêmes instrumentalisées en raison du service que leur corps peut offrir « au profit d’un néolibéralisme aliénant ».

Disposer librement de notre corps reste un droit fondamental, à défendre d'un point de vue notamment anarchiste. Mais s'en servir pour toucher de l'argent en donnant la vie, c'est aller dans le sens du capitalisme marchand cherchant, par impérialisme, à convertir tous les rapports sociaux – même ceux qui se fondent le plus directement sur la nature – en rapports économiques. D'autant que, combien de femmes, en vérité, s'adonneraient à cette pratique par pur altruisme ? Les potentielles prestataires de ce « service » ne sont-elles pas avant tout les femmes évoluant dans la pauvreté ou/et sans emploi ? La mise en usine de ventres féminins ne risque-t-elle pas de pointer son nez si ce n'est pas déjà le cas dans les pays les plus défavorisés ? Ce phénomène, en vérité, existe déjà : nous avons des « usines à bébés » au Nigeria et en Thaïlande (1). La philosophe Sylviane Agacinski nous fait remarquer la chose suivante : « À chaque fois qu'il y a une utilisation de la vie d'une femme pour porter un enfant, elle est toujours rémunérée, donc socialement c'est insupportable. On sait très bien quelles sont les femmes qui, à ce moment là, sont utilisées ». (Le Parisien, 29 Janvier 2013) En outre, que seraient les modalités idéales de recrutement des mères porteuses ? (2)

Marie-Josèphe Bonnet, toujours dans son entrevue suisse, nous rappelle que le Politiquement correct cache, comme souvent, l’indécente démarche de l’Économiquement correct consistant à inciter « des milliers de femmes pauvres […] à produire des bébés pour des couples riches et à vendre leurs ovocytes après avoir subi une hyperstimulation ovarienne très dangereuse ». D’où « l’émergence » d’un « prolétariat reproductif » et une « lutte des classes mondiale » s’étendant « sur le terrain de la procréation ». Surtout qu’il existe une hypocrisie concernant le fait que seuls certains pays autorisent aujourd’hui la G.P.A.
Bonnet, effectivement, aborde le cas de « jumelles nées d’une mère porteuse aux États-Unis ». La nationalité des filles est donc étasunienne. Or, celle de leurs parents commanditaires est française. Conséquence : L’État français n’a pas reconnu la filiation. Mais « la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France pour ce refus ». L’écrivain féministe regrette alors l’éventuel alignement de la France sur les directives européennes. D’où l’hypocrisie politique et morale qui consiste à dire aux couples : « C’est interdit en France mais, si vous allez acheter un bébé à l’étranger, au retour, le lien de filiation sera enregistré par l’état civil français. Il suffit d’avoir l’argent. »
Parallèlement, Bonnet dénonce la société Extraordinary Con-ceptions, « très active sur les réseaux sociaux » et sponsorisant « l’association Clara, grande avocate de la G.P.A. en France ». Clara a, pour sa part, « été fondée par le couple Mennesson, qui est à l’origine du récent arrêt de la Cour européenne ».

Même si, bien entendu, sur le « marché de la procréation », les clients restent très majoritairement des couples hétérosexuels :


– « le danger de déni des origines biologiques est le même », nous dit Bonnet qui prend ensuite l’exemple de la stérilité dont elle ne comprend pas qu’elle soit « devenue si insupportable ». Il est fort dommage, en effet, de la vivre comme une malédiction. L’historienne nous invite alors à accepter nos limites. Toute personne, à cause de certaines caractéristiques naturelles de son individualité, n’a pas à prétendre à tous les mêmes droits qu’une autre dès lors que l’application de ces droits remettent en cause une part de socialité, une conception commune de ce qui est raisonnable et de ce qui ne l’est pas, un certain bien commun à l’abri jusque là de toute logique comportementale et économique égoïste ;
– ce n’est pas pour autant qu’il faut, d’après moi, accepter la G.P.A. (qui resterait une pratique marginale) et être indifférent vis-à-vis des dérives de la P.M.A. Notamment par l’existence de la procréation pour autrui, ce « marché de la procréation » peut s’appuyer sur un slogan doublement scandaleux qui est : « Le droit à l’enfant pour tous. » En effet, le « à » et le « pour tous » sous-entendent, selon moi, deux idées attaquables.

Dans le journal Le Figaro le 16 Décembre 2012, l’homme d’affaires, mécène et accessoirement patron d’un autre journal connu (Le Monde) Pierre Bergé affirme : « Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la P.M.A., la G.P.A. ou l'adoption. Moi je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant. »
J’évoque l’adoption plus loin. Mais être « pour toutes les libertés » – comme le dit cet homme – revient à être pour la licence. Ce qui, en fait, est destructeur de liberté. Car, autrement, soit tous les individus sont simultanément et équitablement dans un processus d'émancipation matérielle et spirituelle – ce qui n'est pas le cas et ne l'a jamais été –, soit il existe – même chez un anarchiste individualiste forcené – un sens des limites se forgeant en raison de l'existence de l’autre et donc de sa propre aspiration à la liberté (sociale et intérieure). À condition, bien sûr, de reconnaître le droit d'autrui à la liberté. Mais, quoi qu’il en soit, l'autre est une composante de ma limite. Il peut se rebeller contre moi si je ne reconnais pas ce précédent droit, si je le traite tel un moins que rien, si je me comporte avec lui sans un minimum de courtoisie. L’autre me rappelle son aspiration à être libre et ainsi, plutôt naturellement, certaines limites comportementales à ne pas dépasser tout en m’éclairant sur mes propres liberté sociale et liberté intérieure – autrement dit, ma spiritualité – démunies de sens sans moralité.
Quant à la licence, elle perd tout son sens si elle est pour tous les individus. Ou bien, il est question de défendre la licence pour certains d’entre eux uniquement – autrement dit, une li-cence limitée en nombre de bénéficiaires donc, dans l’absolu, une fausse licence. Ce qui conduit à prôner l’injustice, honorer l'égoïsme et va, bien sûr, à l'encontre des libertés fondamentales ne favorisant pas, sur le papier, tel individu plutôt qu’un autre. Ainsi, être pour toutes les libertés, c’est ne pas l’être pour tous les hommes. C’est être pour des pseudo-libertés qui vont à l’encontre de la dignité de certains individus. Des pseudo-libertés effectivement. Car, en définitive, c'est ne pas être réellement pour la liberté…

Et puis si la femme a le droit de louer son ventre, pourquoi ne pas – dans le cadre d’une procréation pour autrui la plus naturelle possible – autoriser une prostitution procréative ? Un homme pourrait, pour sa part, vendre ses services au lit pour aider un couple dont le mari est stérile. En même temps, je parle au conditionnel mais il faut savoir qu’aux Pays-Bas (3) il existe un homme qui est aujourd’hui papa génétique de 92 enfants (article Le Parisien, 6 mai 2013). En fait, il propose aussi bien l'insémination artificielle que naturelle. Un grand nombre de ses clientes choisissent la seconde option, puisque la plus rapide et la moins contraignante administrativement. En vérité, ce monsieur n'a-t-il pas trouvé une bonne façon de s'organiser des plans sexe, avec consentement du mari qui attend, dans le couloir, que sa partenaire finisse de coucher avec le « philanthrope » en question ? Que dire, aussi, si ces enfants se rencontrent un jour et procréent entre eux ? Que les techniques utilisées soient plus ou moins artificielles ou totalement naturelles, la dénonciation de la marchandisation de la procréation et des déviances psychologiques qu’elle entraîne doit être de la même intensité.

Et puis, au nom de l'égalité des sexes ainsi que des chances d'avoir un enfant entre les couples homos et hétéros, pourquoi ne pas défendre le droit de l'homme à pouvoir être « enceint » ? Dans ce cas, nous jouons la carte « recherche médico-scientifique » à fond étant donnée l’artificialité de la disposition procréative. Or, on aura compris que les moyens importent peu, seule compte la fin.
Après les Pays-Bas, allons en Allemagne, où existe une femme qui, depuis des années, prend des hormones dans le but de devenir un homme (on appelle ceci un homme transgenre) mais qui a conservé ses organes reproductifs féminins – affaire relayée par Le Figaro dans un article du 13 septembre 2013.
En 2013 justement, cette personne a mis au monde un enfant. Ce n'est pas le premier cas d'homme transgenre à avoir des enfants (devons-nous parler de « père porteur » ?). Il existe celui de l’Étasunien Thomas Beatie (né en 1974) qui a eu trois enfants par insémination artificielle avec sa femme. Ce qui n'a pas empêché ce couple « à la pointe de la modernité » de se séparer quelques temps plus tard.
Concernant l’Allemande, elle désire être officiellement non pas la mère mais le père de l'enfant. Ne pouvons-nous pas émettre raisonnablement l’hypothèse que cette femme – ou cet homme – est mal dans sa peau, a un certain problème psychologique pour désirer ce qu’elle désire en termes de modifications sur son corps et dans la loi ?
Injustice in every turn est le nom d’une étude réalisée en 2011 par deux associations étasuniennes appelées National Gay Lesbian Task Force et le National Center for Transgender Equality. 6 450 personnes transsexuelles – résidant sur l’ensemble du territoire étasunien mais aussi à Porto Rico, Guam et aux Iles vierges américaines – ont été interrogées au sujet des injustices qu’elles peuvent rencontrer dans la vie quotidienne après leur changement de sexe. Dans cette enquête, Walt Heyer – ancien transsexuel et créateur du site internet sexchange-regret.com – relève, chez les précédentes personnes et à partir des statistiques de l’étude, une pauvreté extrême, leur consommation abusive de drogues et d’alcool, un revenu quatre fois moins élevé que les personnes non transsexuelles, un taux de chômage deux fois plus élevé que le taux moyen national étasunien. De plus, parmi les personnes interrogées, 2 % sont sans domicile fixe – taux, lui aussi, deux fois plus élevé que le taux moyen national étasunien – et 41 % ont déjà fait une tentative de suicide. Si l’étude cherche à démontrer les discriminations subies par les personnes transsexuelles, Heyer s’appuie sur ces chiffres afin de prouver que changer de sexe n’améliore aucunement la qualité de vie, bien au contraire.
Ne pas manquer de respect vis-à-vis de la personne transsexuelle ou transgenre, et même vouloir l’aider psychologiquement, n’empêchera pas d’être taxé de moralisateur (entre autres !) par ceux qui sont pour « toutes les libertés ». Mais ceux-là ne sont-ils pas, à leur façon, des moralisateurs ? Des moralisateurs dogmatiques qui – s’asseyant sur tout entretien philosophique, toute volonté de fournir une vérité vraiment commune c’est-à-dire honnêtement partagée donc recherchée collectivement – montrent du doigt l’esprit qui ne s’est pas encore aligné à la Pensée correcte. Ces personnages sont, par ailleurs, faussement tolérants (4) – d’où la critique pasolinienne. Parce que, pour ne pas que leur progressisme soit bousculé, ils se passeront bien de compter les pots cassés. En d’autres termes, ils contourneront, occulteront, mépriseront, les vrais maux de ceux qu’ils prétendent défendre pour entretenir leur néo-sophisme et le déverser dans les assemblées ou les médias. Jusqu’à ce que les gens faussement défendus découvrent le pot aux roses ; du moins, il faut l’espérer malgré le lavage de cerveau dont ils peuvent être victimes. Avec tout cela, nous sommes amenés à penser que ce qui est dit – culturellement, politiquement, économiquement – « correct » l’est dans un sens non pas moral et sincère mais purement idéologique. Est donc correct ce qui est simplement en conformité avec le système économique et politique dominant.

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Les Alternatifs sont un mouvement de gauche autogestionnaire, écologiste et féministe faisant partie de ceux qui prouvent qu'en s'inscrivant dans le logiciel de gauche (même si, pour moi, « gauche » et « droite » sont des anti-concepts insidieux) il reste possible d'effectuer une double critique sociale-sociétale, et non pas une critique à la carte, du néolibéralisme. Ainsi, les Alternatifs sont cohérents dans leur opposition à la G.P.A. en voyant en elle « une nouvelle opportunité de gagner de l’argent » (c’est leur texte officiel sur la question que je cite ici tout le long). Ils dénoncent ainsi la commercialisation de « la naissance des enfants ». Comme « une maison louée pour « les vacances », l’utérus serait loué pour fabriquer l’enfant désiré ». D'autant que, dans les pays où la P.M.A. est autorisée, nous voyons déjà l'ouverture d’ « agences de location » ou le développement de la publicité relatif à ce nouveau commerce. « Le corps des femmes n’est pas une marchandise et l’enfant ne saurait être considéré comme un objet qu’on convoite et qu’on achète. » Le texte nous rappelle la lourde responsabilité de ceux qui sont pour la G.P.A. envers la psychologie de la femme et de l'enfant : « Des traumatismes irréversibles peuvent survenir au cours de la grossesse et après l’accouchement chez la mère comme chez le bébé. » Et ce, même dans le cas où mère porteuse et mère destinatrice s'apprécient (en raison de liens amicaux ou familiaux).
Les Alternatifs nous font remarquer l'émergence possible de problèmes tels le « refus de l’enfant à la naissance (qui ne serait pas comme souhaité) » ou bien le « refus du don au dernier moment », ou encore un « procès intenté contre la mère (par exemple, pour une maladie ultérieure de l’enfant qu’on pourrait lui imputer à cause de sa conduite jugée inconséquente pendant la grossesse ou d’une maladie génétique tenue cachée) ».
Les Alternatifs évoquent ensuite le cas des philanthropes qui seraient prêtes à offrir gratuitement « un enfant à celle, ou à celui, qui ne peut pas en avoir ». Sauf que nous pouvons estimer ces cas rares (« qui accepterait de porter un enfant pour un(e) inconnu(e), sans être rétribuée d’une manière ou d’une autre » ?) et n'empêchant quand même pas « les problèmes de santé physique et psychique et/ou d’exploitation des femmes » de perdurer. Le texte évoque même le cas du « harcèlement pratiqué envers celles qui pourtant reconnues amies décevraient la communauté « bien pensante » par leur refus de se prêter à ce don ».
Il s'agit raisonnablement de défendre le droit de l'enfant plutôt que le droit à l'enfant. Par conséquent, il existe un droit capital : celui pour un enfant d'avoir des parents. Pas n'importe lesquels bien sûr : idéalement, ses parents naturels, devant être fiables et aimants. Mais il existe tous ces enfants orphelins.
C'est pourquoi je suis également d'accord avec les Alternatifs à propos de la mise en avant de l'adoption dont l'accès doit être facilité sous certains aspects. Car les orphelins restent généralement des « enfants de la nature » – qui, autrement dit, ne sont pas « ceux (supposés génétiquement plus « parfaits ») de la science et des nouvelles technologies » et/ou dont la naissance n’est pas la conséquence d’une négociation commerciale.
En même temps, gardons bien à l’esprit que « la dynamique aveugle du marché ne possède aucun principe interne de limitation » et qu’ainsi « ce n’est que du dehors qu’elle pourra être remise à sa place ».
Ces trois dernières expressions entre guillemets sont de Jean-Claude Michéa, tirées d’une entrevue réalisée par l’historien Claude Rochet datant du 19 mai 2013. Dans mon dossier Rousseau contre les Lumières, j’écris sinon : « Le néolibéralisme, au nom de la liberté individuelle à laquelle il est fort attaché, peut, pourquoi pas, laisser entendre qu'un individu est libre d'exploiter un groupe d'individus serviles. En effet, le libéralisme, avec pour raison lui-même, peut inviter à infiniment imaginer et étendre cette liberté sans contrepartie qui maintiendrait un minimum de sens commun. Tel un scorpion qui se mord la queue, il finit tellement par ignorer le déterminisme naturel et animal de l'homme, au profit du concept de liberté individuelle devenu sacro-saint, qu'il laisse ce dernier retourner totalement à ce déterminisme. » En d’autres termes, il semblerait qu’à un moment donné la mise en pratique des principes de l’orthodoxie libérale détruit ces principes mêmes. Nous pouvons penser que, même s’il y en a des plus visionnaires que d’autres, les défenseurs historiques de ces principes n’avaient pas forcément imaginé toutes leurs conséquences pratiques, surtout si, finalement, elles vont à l’encontre des aspirations premières.


NOTES (1) Exemples d ’« usines à bébés » au Nigéria et en Thaïlande

Lire l’article du journal Libération nommé Une « usine à bébés » démantelée au Nigéria (27 juin 2014). http://www.liberation.fr/planete/2014/06/27/une-usine-a-bebes-demantelee-au-nigeria_1052464

Lire l’article de France Culture intitulé G.P.A. : la Thaïlande veut fermer son « usine à bébés » (20 août 2014). http://www.franceculture.fr/emissions/revue-de-presse-internationale-14-15/gpa-la-thailande-veut-fermer-son-usine-bebes

Un universitaire chinois cité dans l’article nous dit « il y a un besoin de G.P.A. dans la société. Et quand il y a un besoin, il y a un marché ». Bonne remarque de ce jeune homme confondant, de façon révélatrice, désir et besoin – mais oser remettre le questionnement à ce niveau-là relèvera sans doute d’un esprit arriéré ?! – et sous-entendant – volontairement ou involontairement, je l’ignore – que la Loi du Marché se passe bien de tout sens éthique des limites.

(2) Les modalités de recrutement des mères porteuses : l’exemple russe

Au passage, nous pouvons nous demander ce que la mère, alors enceinte pour autrui, peut fournir comme explications à ses enfants encore en bas âge. D’où ce dialogue, entre une maman et sa petite fille, tiré d’une bande dessinée de l’illustrateur Luc Tesson. Tandis que nous voyons l’enfant s’interroger sur le ven-tre arrondi de sa maman, celle-ci informe :
— Je fais de la gestation pour autrui ;
— Alors ce n’est pas mon petit frère ? demande la fillette. Tu le portes dans ton ventre mais pas dans ton cœur ?

Lire l’article du journal Courrier international appelé Le business russe des mères porteuses : 12 500 euros le bébé (29 avril 2010). http://www.courrierinternational.com/article/2010/04/29/12-500-euros-le-bebe

(3) La mode de la multiparentalité

Restons aux Pays-Bas. Lire l’article de Vice appelé Trois hommes, deux femmes et un couffin (11 août 2015). Vous relèverez notamment le grotesque des témoignages dans la fin de l’article sur les moyens mis en place pour concevoir techniquement l'enfant.

http://www.vice.com/fr/read/cinq-amis-vont-elever-un-bebe-ensemble-pays-bas-278

(4) Vraie tolérance et fausse tolérance

Rappelons que tolérer signifie supporter, accepter chez l'autre ce qu'on n'accepterait pas pour soi, ou encore ne pas réprimer certains abus. Donc, au fond, nous désapprouvons ce que nous tolérons.
Une fausse tolérance s’inscrit dans un double discours dissimulant une éventuelle attaque postérieure envers ce que les tenants de ce dernier parviennent à supporter jusqu’ici et qu’on chercherait à leur imposer.
Cette posture est adoptée par nos élites libérales lorsqu’elles sentent leur pouvoir menacé. Y a-t-il, en effet, plus insupportable que ce qui nous menace ? Il s’agit donc, pour elles, de chasser leurs opposants, qu’elles qualifieront éventuellement de terroristes en cas d’action insurrectionnelle, qu’elles chercheront ainsi à rendre illégitimes et/ou dangereuses aux yeux de la majorité populaire, afin de paraître encore tolérantes auprès de cel-le-ci. C’est le propre du libéralisme moderne et consumériste de se vouloir séducteur, de paraître sympathique et bienfaisant, de préférer avoir, à la télé, des agents (de sa pensée) femmes et en tailleur, ou même en petite tenue, plutôt que des agents hommes et en képi militaire. Et ceci parce que – selon les mots de Jean-Claude Michéa dans son entrevue pour la revue À contretemps de juillet 2008 – « le dressage capitaliste des classes populaires ne repose plus, prioritairement, sur l’action de la police ou de l’armée (sinon pourquoi la droite aurait-elle pris la peine de supprimer le service militaire ?) ». Les capacités de contrôle des industries « combinées du divertissement, de la publicité et du mensonge médiatique » sur le « temps de cerveau humain disponible » sont aujourd’hui « autrement plus redoutables que celles du policier, du prêtre ou de l’adjudant ».
De son côté, l’acteur Fabrice Luchini affirme dans une entrevue pour Le Figaro (24 juillet 2015) : « On nous parle [...] d'une société qui serait moins brutale, moins cruelle. Je remarque qu'une idéologie festive, bienveillante, collective, solidaire imprègne l'atmosphère. Et dans ce même monde règne l'agression contre la promenade, la gratuité, la conversation, la délicatesse. ».
La contradiction en question est à son comble quand, par exemple, Nathalie Saint-Cricq, responsable du service public de France 2, déclare au journal télé de cette chaîne le 13 janvier 2015 qu’il faut « repérer, traiter, intégrer ou réintégrer […] ceux qui ne sont pas Charlie, ceux qui dans certains établissements scolaires ont refusé la minute de silence, ceux qui balancent sur les réseaux sociaux, et ceux qui ne voient pas en quoi ce combat est le leur ». Ces propos succèdent aux tristement célèbres attentats de Charlie Hebdo, qui concernent la tuerie de plusieurs membres de la rédaction de ce magazine satirique par des terroristes islamiques. Charlie Hebdo, ces dernières années, a plusieurs fois caricaturé l’islam et son prophète. Qu’on tolère, par conséquent, les choix de ce magazine est une chose – même dans le cas où l’on n’aime vraiment pas son travail. Mais alors, selon la précédente femme, il ne faudrait pas tolérer ceux qui ne sont pas dans la tristesse découlant de ce drame ? Il faudrait même organiser une traque ? Je pense que nous pouvons dénoncer, dans ce cas, l’officialisation d’une tolérance à deux vitesses aux conséquences totalitaires. Car, jusque là, ne pas publiquement manifester sa peine, ne pas soutenir tel ou tel journal, ne relève pas d’un délit. Ne pas se contenter de condamner ce que nous faisons, finir par condamner nos sentiments ou nos émotions, oui c’est totalitaire !

Un dernier mot là-dessus. Si la société ne se compose pas d’opposants au pouvoir politique engendrant la posture expliquée précédemment, il est toujours facile, pour nos élites de prôner telle tolérance particulière à partir du moment où, par définition, il ne s'agit pas d'accepter pour elle-même ce qu'elle tolère (c’est cette tolérance « d’en haut », ou celle des fiers représentants de la Pensée correcte).
En conséquence, seul le peuple peut faire réellement preuve de tolérance à l'égard de tel ou tel comportement, de telle ou telle coutume, car seul le peuple cohabite vraiment avec ce qu'il tolère. Autrement dit, seul le peuple est en mesure réellement de donner le la de la tolérance authentique, partie intégrante de la Décence ordinaire et partagée.


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