La danse des faux-culs autour de l’Aquarius
par Pale Rider
mercredi 13 juin 2018
« Le monde entier est un théâtre, et les hommes et les femmes n’y sont que des acteurs ; ils y ont leurs entrées et leurs sorties, et un homme dans sa vie joue plusieurs rôles. » Cette citation de Shakespeare illustre admirablement la pitoyable comédie qui se joue autour de l’Aquarius.
L’Italie, cette fois, a décidé de mettre un coup d’arrêt –en réalité, ce ne pourra être qu’un coup de frein– à l’arrivée de migrants depuis l’Afrique. Sait-on que ce pays compte 5 millions d’étrangers pour 60 millions d’habitants, dont 690 000 ayant débarqué des côtes africaines depuis 2013, et 500 000 étrangers en situation irrégulière ? La Grèce est dans une situation analogue. Et ailleurs, on fait semblant de s’étonner que l’extrême-droite s’approche du pouvoir ou s’en empare, notamment dans des pays qui sont en première ligne pour encaisser le choc migratoire. La désignation d’« extrême-droite » ou de « populiste » tient lieu d’argumentation. Observons l’attitude de chacun autour des 629 malheureux qui se trimballent en Méditerranée sur le désormais célèbre Aquarius (Libération l’a comparé à l’Exodus qui, en 1947, avait été bloqué par les Anglais au large de la Palestine avec son chargement de Juifs rescapés des camps, qui fuyaient… l’Allemagne, et qu’on y a renvoyés !).
Jeu de rôles pas drôle
- L’Italie : excédée par l’afflux de migrants, elle refuse que l’Aquarius débarque ses 629 migrants sur son territoire.
- L’Espagne : le tout nouveau gouvernement socialiste de Pedro Sánchez prend une initiative inaugurale en se portant volontaire pour accueillir le bateau. On peut saluer le geste, qui aura peut-être le mérite de l’efficacité ; mais l’Espagne, comme tout le monde, procède à des reflux de migrants, notamment dans ses enclaves anachroniques d’Afrique du Nord à Ceuta et Melilla.
- Les nationalistes corses : se portent volontaires pour accueillir l’Aquarius. Oublient qu’ils ne sont pas indépendants de la France et n’ont aucun pouvoir décisionnaire. Oublient que la Corse n’étant pas capable de se sustenter elle-même économiquement, il y a quelque incongruité à faire les généreux. S’attirent la juste réplique de Richard Ferrand, pour une fois bien inspiré : il ne suffit pas de recevoir des migrants et de les parquer quelque part sans pouvoir assurer le travail de suite. J’ajouterai que les nationalistes pourraient veiller à faire d’abord effacer les graffiti « Arabi fora » qu’on trouve un peu partout sur l’île.
- L’Allemagne : extrêmement divisée, entre la générosité d’Angela Merkel dont on se demande si elle n’est pas porteuse de tensions ethniques à l’avenir, et l’esprit de fermeture d’une partie de son opposition, tout cela sur fond de déficit démographique teutonique.
- L’Europe : assez silencieuse sur le sujet.
- La France, enfin : après un silence suspect, le président Macron traite les Italiens de cyniques et d’irresponsables. Cela mérite un commentaire plus détaillé.
Cynisme à la française
D’une part, on se demande pourquoi le sieur Macron n’a pas proposé d’ouvrir à ces migrants le port de Marseille, celui de Toulon ou, pourquoi pas, celui de Nice.
Ensuite, la France est un pays qui punit ses citoyens pour délit de solidarité. Celui-ci ne s’applique pourtant pas lorsque la solidarité s’exerce à titre gratuit. (1)
La France refoule en Italie les migrants qui essayent de s’introduire en France par la frontière transalpine. Sa police a même violé cette frontière en allant pourchasser des migrants jusque sur le territoire italien, ce qui l’a contrainte à présenter de lamentables excuses. L’Italie affirme que sur les 9000 migrants qu’elle s’était engagée à recevoir de l’Italie, la France n’en a accueilli que 600. On comprend donc que l’accusation de cynisme et d’irresponsabilité revienne comme un boomerang dans la face d’Emmanuel Macron, qu’on a connu plus subtil dans ses propos.
Personne ne sait quoi faire
La réalité, c’est que personne ne sait quoi faire de ces vagues de migrants qui fuient la misère et/ ou la persécution, s’imaginant de surcroît que l’Europe est un havre de prospérité pour tous. Les spécialistes s’accordent sur le fait que la pression va s’accroître dans les années qui viennent. Ce n’est évidemment pas tenable, chacun sachant bien qu’on ne peut pas assimiler trop d’immigrants en trop peu de temps : il y a un temps de « digestion », ralenti de surcroît par des écarts de civilisation et de religion qui étaient évidemment moins grands avec l’immigration polonaise, italienne, portugaise ou espagnole. Rien à voir avec de la xénophobie dans ce constat : c’est une observation de simple bon sens. Si là aussi on veut faire l’autruche, le retour de manivelle sera d’autant plus brutal.
La seule solution consiste à tarir le flux en amont, et donc à faire ce qu’on peut pour que ces personnes ne prennent plus des risques insensés pour fuir des contrées invivables. Hélas, les enjeux géostratégiques font que les potentats sont protégés par nos pays d’une manière éhontée, qu’une forte proportion des aides aboutit dans les poches de dictateurs qui achètent de luxueux hôtels avenue Foch ou stockent leurs fortunes dans des paradis fiscaux (dont certains sont européens). Il ne s’agit pas de prétendre que corriger ces habitudes malsaines suffirait à tout résoudre. Mais à force d’attendre que « les autres » fassent le premier pas, on risque d’attendre très longtemps. Il faut bien commencer quelque part.
Dans l’immédiat, je ne sais personnellement pas où est la solution, et je m’interdis toute leçon de morale tant que je ne serai pas capable de loger chez moi au moins un migrant ou de lui trouver un emploi stable. J’ajoute que les donneurs de leçons ne sont pas ceux qui vivent dans des quartiers difficiles, ceux que les élus de la République, habitant dans des quartiers protégés (hormis quelques communistes), ne connaissent pas et abandonnent presque complètement (le phénomène gagne les campagnes aussi, y compris sur le plan migratoire). Il est trop facile de jouer au généreux en se débarrassant sur l’abstraction de la collectivité d’un problème grave pour lequel on ne sacrifie rien personnellement.
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