La division du travail entre les femmes et les hommes

par Orélien Péréol
jeudi 22 février 2018

La division du travail est un concept-clé de la lutte contre les inégalités (salariales et donc sociales). Dans le marxisme courant qui nous reste en fond de discours, ce serait le capitalisme qui créerait cette division du travail, liée à sa grande division en classes : les têtes pensantes et les petites mains, les propriétaires du capital et ceux qui n'ont que leur force de travail. Il est subodoré que d’autres organisations seraient possibles, soit qu’elles organisent une alternance des personnes sur les postes de travail par exemple, soit d’autres divisions du travail, moins pyramidales, plus latérales, des postes qui divisent le travail de façon plus égalitaire, soit en luttant, en compensant la division du pouvoir qui nait de la division du travail par d’autres dispositions, soit qu’elles renoncent à la division du travail, ce qui serait l’idéal marxiste d'une société sans classe. Autrement dit, division du travail et inégalités sociales et politiques sont quasiment des synonymes, qui créent dominés et dominants. La division du travail est la matrice principale de ces inégalités.

Pourtant, la division du travail est dans la nature, dans le réel et on connait la fable Les membres et l’estomac de La Fontaine : Les membres font grève, lassés de nourrir l’estomac qui prend tout (a l’air de tout prendre). Après quoi, privés eux-mêmes de nourriture, ils cessent, montrant ainsi que nous sommes interdépendants.

La procréation est un autre exemple, sur lequel nous ne pouvons rien, de grande et même de très grande inégalité. Les femmes et les hommes sont égaux dans la conception et nous sommes tous nés d’une femme et d’un homme. Dans la gestation, les hommes ne jouent aucun rôle, ils peuvent accompagner, nourrir la femme, lui alléger sa vie… ou s’en aller. Si la femme meurt d'accident par exemple, l'enfant meurt aussi, si le père meurt l'enfant naît comme si de rien n'était. Rien dans la nature n'oblige les hommes à prendre en compte leur procréation ou leur progéniture comme on veut. Il faut faire avec cette grande inégalité qui appartient au réel et sur laquelle personne ne peut rien. Ce n’est pas complot des hommes (des mâles) contre les femmes dans le but de les dominer. Faire avec, c’est le travail de la culture. Et il y a des milliers de cultures différentes.

Dans la bande annonce du film récent La villa de Guédiguian, un des fils, dit avec une certaine colère que leur père, cuisinier de son état, a piqué toutes ses recettes à leur mère. Dans le film, l’autre fils répond que la mère n’a jamais planté un clou. Et le premier fils de conclure avec amertume : « Ah ! la division du travail entre les femmes et les hommes prolétaires » (ils font leur malheur eux-mêmes, tout imprégnés qu'ils sont des conditions du capitalisme). A ceci près que la division du travail ne sort pas du capitalisme, elle est là bien avant, elle incontournable. D’où il ressort d’une part que pour faire venir des gens à son film, il vaut mieux dire du mal d’un homme et suggérer qu’il est coupable d’un vol dissimulé que de montrer le film lui-même, qui est plus juste : le film présente bien une division du travail au sein du couple, fonctionnelle et efficace, et assez équilibrée (il n'y en a pas un qui fait tout pendant que l'autre ne fait rien).

En ce moment, il y a trois cultures dominantes pour gérer cette affaire de division sexuelle, qui se combattent sans le dire, sans doute sans s’en apercevoir. L’une découle le plus directement de la condition humaine : les enfants sortent du corps de la femme, elle les allaite, cela définit sa place et s’en séparer serait contre-nature. Cette vision est parfois, pour celles et ceux qui la partagent, une injonction divine (on ne va pas débattre avec dieu). Une autre vision voit une injuste, illégitime, presqu’incompréhensible domination masculine. Le « crime » profitant évidemment aux hommes, ce sont les hommes qui l’ont fomenté. Il convient de modérer cet état de choses par l’exercice de la justice, par la condamnation morale permanente et juridique chaque fois qu’il se peut. Cette vision tente de délégitimer les origines naturelles de ce triste état de choses et de valoriser l’idée que la nature est égalitaire et que ce sont les gagnants des inégalités qui les ont créées dans le but de gagner justement. « Il faut anéantir l’idée d’un désir masculin irrépressible » disait Françoise Héritier. Pure invention selon elle. On se demande de quoi les hommes ont tiré leur position infâme, et pourquoi, s’il n’y a pas d’antécédent dans les corps, on ne trouve pas sur terre à parts égales des cultures avec domination masculine et d’autres avec domination féminine et enfin des sociétés égalitaires.

La démarche scientifique consiste à être continument en liens corrects avec le réel, ce qui est vraiment, ce qui se passe vraiment. Ce n’est pas le cas dans cette parole de Françoise Héritier.

La division du travail dans la procréation telle qu’elle s’impose aux humains des deux sexes ne peut pas n’avoir aucun retentissement comportemental, et partant institutionnel. Ce phénomène ne peut se limiter à lui-même. Trois histoires sont en circulation plus que dominante, impériale : les femmes sous le boisseau, les hommes coupables, les différences inventées ou exagérées.

Il serait temps de partir de notre vie réelle pour réfléchir à nos unions et désunions sexuées.

Photo Orélien Péréol
Le remplacement des vieilles lunes de la politique par la vieille lune des différences sexuelles. A l’amour, citoyennes et citoyens !

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