La France chaos debout et totale confusion
par Bernard Dugué
jeudi 3 décembre 2015
Après le 13 novembre, je suis comme beaucoup de Français un peu désorienté, sans pour autant être atterré par la terreur que veut nous imposer une mouvance totalitaire qui a changé de stratégie en pratiquant le tir groupé plutôt que la bombe qui explose. L’objectif, faire le plus de victimes et semer la terreur avec plus d’efficacité. Du coup, la parole s’est un peu libérée, mais pas comme en mai 68. C’est peut-être ce qui rassure tout en étant inquiétant. Rassurant parce que des voix s’expriment avec des opinions tranchées. Inquiétant parce que le sentiment de cohésion et de clarté n’y est pas. De plus, la parole n’est pas forcément libérée dans la société. De là à penser à un mai 68 inversé et tragique, il y a un pas que je ne franchirai pas. Car mai 68 était le résultat d’une lame de fond sociale, juvénile, culturelle, avec un côté festif malgré les barricades. C’était « notre insurrection ». Le 13 novembre, le choc est arrivé en dehors de la société française, même si quelques terroristes sont issus de notre pays.
C’est dans les médias que des voix discordantes se font entendre, qu’une parole se libère, que les langues se délient. Ces actes terroristes sont une pro-vocation. Pour nous, ces actes barbares résonnent comme un appel. Auquel diverses réponses furent proposées juste après ce tragique 13 novembre. Sarkozy en président bis frustré s’est énervé en perdant son sang froid. D’autres politiciens de droite ont cabotiné à l’Assemblée lors des questions au gouvernement. Et puis un détail chargé de sens, la présence sur les plateaux de télévision de nombreux spécialistes des questions gravitant autour des actions terroristes du 13 novembre. Ce sont eux que l’on a fait venir, plutôt que les bretteurs habituels du show politicien et intellectuel.
On a entendu en effet beaucoup d’analyses précises accompagnées de confidences géopolitiques avec un langage direct tranchant avec les enrobages que les médias nous on servi depuis des années. Gilles Kepel, Pierre Servant, Marc Trévidic et bien d’autres ont tenté d’expliquer les causes du terrorisme et de la monté en puissance de cet Etat islamique. Sans hésiter à critiquer les inconséquences de la politique intérieure depuis deux décennies, les incohérences de la diplomatie française, les jeux troubles et duplices de la Turquie et des monarchie du golfe. Bref, des choses qui étaient sues dans les cercles de réflexion mais tues dans les médias de masse. Une chose semble acquise, la France est un peu moins dans le déni de réalité, même si les politiciens sont encore aveuglés par on ne sait quelles lubies et obsessions.
Le résultat de toute cette agitation intellectuelle et éditoriale, c’est que les citoyens sont de plus en plus désorientés. Ce désarroi des consciences remonte à assez loin. Déjà en 1983 le retour au réel après la parenthèse Maurois. Puis la chute du mur. Les crises économiques à répétition, la peur de la globalisation, la crise financière de 2008, les peurs sanitaires, génétiques, économiques, climatiques, nanotechnologiques, et maintenant les menaces djihadistes. Et dans ces différents secteurs, que d’analyses divergentes. Au final, le devenir du monde et l’horizon de nos sociétés devient incertain, imprévisible, ce qui trouble évidemment des consciences en attente d’une vision claire de l’avenir.
La France chaos debout, c’est une France qui tient bon, notamment avec son Etat, mais c’est aussi une France qui ne sait plus où elle va et dont les âmes sont dans un état de confusion avérée, sans que des paroles venant d’autorités morales et intellectuelles puissent éclairer et chasser toute cette confusion liée entre autres au fait que dans notre monde médiatisé et individualiste, chacun veut donner un avis pour exister ou pour faire une carrière. On ne peut qu’être consterné par le mélange des genres, par le premier ministre Valls qui donne son avis sur la place de Karim Benzéma dans l’équipe de France. Pourquoi pas Didier Deschamp à Matignon ?
Le chaos n’est donc pas uniquement dans le monde matériel mais aussi dans les esprits. Qu’on mesure la situation en Irak et Syrie. Vaincre les combattants de l’Etat islamique est possible, avec des troupes sur le terrain, la participation des Kurdes, de l’Iran, des forces syriennes et d’autres alliés mais le problème reste la solution politique et c’est l’imbroglio complet car il faudra sans doute dessiner à nouveau les frontières avec des puits de pétroles et des antagonismes puissants, chites et sunnites en Irak, rivalité Iran et monarchies du Golfe, problème kurde en Turquie. Bref, ce n’est pas impensable mais c’est à la limite du possible et pourtant il faudra bien s’entendre si les puissances ne veulent pas d’une guerre de trente ans.
On mesure l’étendue de la confusion à entendre les bavardages médiatiques autant que les confidences pouvant être recueillies dans les discussions de café. Et ce n’est pas tout. La question des migrants est d’une grande difficultés, sans oublier la crise politique en Europe, le risque de replis nationaux pour ne pas dire nationalistes, l’incapacité de l’UE à se donner un horizon et l’impuissance des gouvernants à résoudre la crise sociale et donner un avenir à la jeunesse, sans oublier d’autres déficiences, morales, intellectuelles, culturelles, spirituelles. Bref, la confusion a gagné les âmes et ne fait que renforcer la crise de civilisation. Sans oublier le reste, climat, virus et j’en passe. Un symbole de cette confusion, la cote de François Hollande qui fait un bond alors que le président est responsable en partie de la situation actuelle. Beaucoup de Français ont perdu la raison. C’est un comble dans le pays des Lumières et de Voltaire !
La situation est assez étrange à vrai dire. On ne peut qu’être inquiet à l’idée que cette confusion puisse s’étendre et se renforcer à la mesure des moyens de communications contemporains. La confusion règne aussi dans la plupart des formations politiques. Il se peut bien que le changement de civilisation soit impossible et que l’humanité se transforme progressivement en technicité. Dormez, tout va bien. Jusqu’au prochain incident.