La France découvre qu’elle est une république bananière
par Nouvel auteur
jeudi 16 novembre 2006
République bananière : république « apparemment démocratique, mais régie par les intérêts privés de la prévarication ». Prévarication : « acte de mauvaise foi commis dans une gestion - grave manquement d’un fonctionnaire, d’un homme d’Etat aux devoirs de sa charge » (Petit Robert). Novembre 2006 : « Un livre publie pour la première fois un document interne de la DGSE, les services secrets français, vieux de dix ans, qui fait état d’un compte bancaire détenu par Jacques Chirac au Japon, crédité de 300 millions de francs. » (agence Reuters)
Evidemment, la réalité doit être tout autre, notamment parce que le chef de l’Etat, qui a bien entendu démenti l’existence de ce compte japonais, aurait ouvert ce dernier en 1992. C’est du moins ce qui ressort des propos du général Rondot qui, le 28 mars 2006, devant les juges instruisant l’affaire Clearstream, reconnaissait l’existence de ce compte avant de se rétracter peu après dans la presse. Les juges avaient en effet saisi chez lui un classeur au nom de Gilbert Flam, magistrat qui fut détaché à la DGSE, contenant des informations sur ce compte.
Quoi qu’il en soit et sans entrer plus avant dans le détail de cette affaire : un document publié dans un livre, des informations contenues dans un classeur portant le nom d’un magistrat, le témoignage d’un général, toutes choses et toutes personnes directement liées à la DGSE, service d’espionnage qui n’a ni pour habitude ni pour rôle de discréditer le chef de l’Etat, à quoi s’ajoutent les sources du Canard enchaîné qui a révélé l’affaire le 19 avril 2006 et enfin, la quarantaine de voyages que Jacques Chirac a déjà effectués au Japon ainsi que la relation d’amitié qu’il a eue avec Shoichi Osada, président de la Sowa Bank où aurait été ouvert ce compte avant que monsieur Osada ne soit emprisonné dans son pays pour des malversations, tout cela fait beaucoup d’éléments corroborant les faits.
Alors, la France est-elle une république bananière ?
Dans un film sur l’UDR (ancêtre du RPR) projeté à l’émission « Armes égales » du 20 septembre 1971 lors d’un débat opposant Jacques Chirac, à l’époque ministre délégué chargé des relations avec le parlement, au premier secrétaire du PC Georges Marchais, les personnes présentées comme étant de simples militants chiraquiens étaient en fait des figurants, au nombre desquels la propre secrétaire du ministre et Noël Maurin, secrétaire fédéral UDR de Corrèze.
Dans les heures précédant ce même débat, Chirac avait fait savoir à Marchais qu’en cas d’attaque personnelle, il révélerait en direct le soi-disant engagement volontaire de ce dernier aux usines Messerschmitt, en Allemagne nazie, à une époque où le Service du travail obligatoire n’existait pas encore. Durant l’hiver qui a précédé les législatives de 1973, des documents censés prouver ces accusations sont publiés dans la presse. Le premier secrétaire du PC porte plainte, et l’instruction qui s’ensuit permet non seulement d’établir qu’en 1970, le dossier de Georges Marchais conservé au ministère des Anciens combattants avait été demandé par un cabinet ministériel, avant de transiter par la première section des renseignements généraux, mais aussi que les photocopies des documents originaux avaient été falsifiées.
Le 25 août 1976, le Premier ministre Chirac démissionne. Jean-Pierre Delpont, qui était son chef de cabinet à Matignon, est aussitôt nommé préfet de la Corrèze, département où Bertrand Landrieu (actuel préfet de Paris et de la région d’Ile-de-France), qui a appartenu au cabinet de Chirac au ministère de l’agriculture, est également sous-préfet d’Ussel depuis 1974. Deux mois plus tard, le syndicat CGT du Trésor dénonce les faits suivants : « Plusieurs agents de la préfecture de la Corrèze se sont installés ce mardi 9 novembre à la Trésorerie générale de Tulle avec mission de procéder, toutes affaires cessantes, à la liquidation des indemnités sécheresse revenant aux exploitants agricoles de l’arrondissement d’Ussel, arrondissement dans lequel M. Chirac est candidat à l’élection partielle du 14 novembre. (...) Ces agents ont ordre de mener à bien cette tâche dans les 48 heures afin que les seuls agriculteurs de l’arrondissement d’Ussel perçoivent avant la fin de la semaine l’indemnisation des dommages subis. » Chirac s’était engagé devant ses électeurs à ce que l’indemnité sécheresse soit payée avant le premier tour. Il est réélu député de la Corrèze (il l’a déjà été de 1967 à 1974) et le restera jusqu’à son accession à la présidence de la République.
« Ce qui est grave, dans cette pénible affaire, c’est que tant d’efforts aient été dépensés et tellement de temps perdu pour accorder à un membre d’un cabinet ministériel des avantages illégaux en procédant à ce que les requérants appellent, à juste titre, des tours de prestidigitation et de l’illusionisme. Ce ne sont pas là des moyens propres à renforcer le moral des fonctionnaires et la moralité administrative. » (La revue juridique n° 473, septembre 1972). Telles sont les constatations du commissaire du gouvernement après les multiples remous parlementaires, au nombre desquels les attendus d’une décision du Conseil d’Etat relevant des « illégalités de mesures d’avancement prises à la suite d’avancements eux-mêmes illégaux », provoqués par la promotion outrancière que Chirac s’entêta pendant des années à accorder au modeste fonctionnaire André Terrazzoni, qui avait activement participé à l’implantation des candidats UDR en Corrèze.
« Voilà ! On va arranger mon affaire, mais il faudra que j’aille coller des affiches pour Chirac. Autant que vous le sachiez : je ne peux pas faire autrement. » Telles sont les confidences de militants corréziens de gauche ayant des ennuis avec les services fiscaux dans les années 1970. Quant aux élus communistes, qui sont à l’époque neuf à siéger au Conseil général de la Corrèze, ils sont harcelés : Chirac parvient par exemple à faire déménager une famille de quatre enfants, en lui trouvant un logement HLM ainsi qu’un emploi mieux payé pour le père, pour que la commune de Palisse, gérée par des communistes et dans laquelle habitait cette famille, voie son nombre d’enfants tomber sous le seuil permettant d’avoir une école. La commune réussit toutefois à conserver cette dernière en accueillant deux nouvelles familles. Chirac tente alors de lui supprimer le ramassage scolaire en menaçant de poursuivre en correctionnelle le premier adjoint qui s’en occupait, au prétexte qu’un article du Code pénal interdit aux élus de fournir des services à leur commune. Par chance, une loi de 1967 a modifié cet article du Code quelques années auparavant et Chirac devra baisser les armes.
En septembre 1971, Jean Montalat, populaire député socialiste de Corrèze qui refusait l’union de son parti avec les communistes, meurt des suites d’un accident de voiture. Sitôt son décès connu, Chirac téléphone à sa veuve pour être photographié à ses côtés lors de la fermeture du cercueil. Celle-ci refusera la drôle de proposition.
Lors des élections législatives de 1973, dans la 3e circonscription de Corrèze, celle de Chirac donc, des scrutateurs remarquent qu’un nombre important des certificats médicaux accompagnant les votes par correspondance proviennent d’un même centre médical parisien. Nombre d’électeurs de Meymac, pourtant domiciliés dans divers arrondissements parisiens, se sont ainsi tous trouvés malades à une date identique et leurs certificats médicaux ont pareillement tous été rédigés le même jour, par le même médecin, qui s’avérera être un intime de Chirac. Quant aux malades et internés des hôpitaux, asiles et maisons de retraite du département, ils ont voté en nombre. Alertés par ces dérives, des électeurs de gauche ont voulu réunir les éléments de preuve qui auraient permis un recours pour annuler l’élection, mais il était trop tard : le préfet de la Corrèze ayant opportunément prescrit aux maires d’envoyer immédiatement au chef lieu du département tous les documents électoraux, l’expiration des délais pour une action devant le tribunal administratif n’a pas pu être évitée.
Secrétaire d’Etat à l’économie et aux finances chargé du budget et des impôts de 1968 à 1971, Chirac a directement négocié à l’amiable le montant des impôts sur les bénéfices de grands groupes industriels dont, par exemple, Dassault-industriel. Après une tentative d’enquête sur ces pratiques par une commission parlementaire à laquelle sera bien entendu opposé le secret fiscal, Dassault-industriel devra néanmoins reconnaître diverses dépenses d’ordre électoral, tel que le financement du chiraquissime journal l’Essor du Limousin. Conclusion : « Chirac dégrève Dassault et Dassault finance Chirac. »
Une autre manière de se renvoyer l’ascenseur sur le dos du contribuable dont a, outre Chirac, profité par exemple la société Bouygues, était de faire financer par l’Etat des investissements énormes et hasardeux dans des pays insolvables (les fameux éléphants blancs d’Afrique...) Ce n’est pas pour rien que Chirac avait auparavant pris part à la mise en place de divers mécanismes d’aide au commerce extérieur.
Autre manigance et fort peu discrète cette fois-ci, car Chirac y a couvert par lettre les agissements de fonctionnaires qu’il avait dévoyés pour l’occasion : elle a consisté à passer outre une loi sur la protection du littoral puis, successivement, les décisions et rapports d’une direction départementale de l’équipement, d’une commission interministérielle (dont le récalcitrant directeur du service d’étude, mr Jean Lamoureux sera « placardisé »), d’un tribunal administratif, du conseil d’Etat et de la Cour des comptes, pour permettre au promoteur immobilier Christian Gaucher de construire une marina en 1969, à Bormes-les-Mimosas. Ainsi que le confiera cinq ans plus tard le « placardisé » Jean Lamoureux : « à ceux (les hauts fonctionnaires) qui obéissent docilement (au ordres qui leur sont donnés « par des membres irresponsables d’un cabinet ministériel »), on réserve les avancements et les honneurs. Aux autres, les naïfs qui agissent selon leur conscience dans le respect de la loi, on réserve le couperet et une fin de carrière dans l’oubli. C’est ce qui m’est arrivé. » Et comme toujours, Chirac de fanfaronner, cette fois-ci dans le film Jacques Chirac, trois jours en Corrèze, tourné par François Reichenbach en 1975 : « Le problème de l’environnement est, à mon avis, l’un des plus essentiel de notre époque. (...) Les abus, à cet égard, deviennent de plus en plus flagrants (...) et tout doit être fait pour en limiter les excès et les conséquences. C’est en tout cas l’un des thèmes sur lesquels pour ma part, j’exerce le plus ma réflexion. »
Etc.
Alors, la France ? Une république bananière ? De la réponse que nous allons donner à cette question dépend en grande partie l’avenir de notre pays. Non, le pourrissement n’est pas une fatalité : il se combat. Chirac - et peu importe qu’il soit le produit d’un système : nous sommes tous les produits d’un système, délinquants multirécidivistes compris ! - Chirac donc et tous ceux qui lui ressemblent, tout ceux qu’il a, qu’il aurait enfantés, peuvent et doivent, absolument et par tous les moyens, être politiquement, socialement anéantis ! Et pour répondre à la question, je ne ferai pour ma part pas d’envolée lyrique car oui, bien sûr que oui : la France est une république bananière.
1. « Machinations, anatomie d’un scandale d’Etat », de Karl Laske et Laurent Valdiguié, qui paraît ce jeudi aux éditions Denoël.
2. « Chirac ou la fringale du pouvoir » a été réédité en 2002 par les éditions Syllepse sous le titre : « Chirac ? on vous avait prévenu... »
PS : à la lecture du Canard enchaîné de ce mercredi 15 novembre 2006, il semble bien que le conditionnel ne soit plus de mise concernant l’existence du compte japonais de Jacques Chirac.