La France : grand corps malade

par julo
vendredi 8 février 2008

Notre administration est trop chère, nos travailleurs trop fainéants, nos pauvres tous des assistés, nos syndicalistes tous des idiots, nos immigrés (qui au passage ne le sont pas) sont tous des dealers... c’est la cause de tous nos problèmes, de notre déficit extérieur, de notre manque de compétitivité. Nos médecins sociaux (patrons, partis politiques, intellectuels, journalistes) sont penchés au chevet de la France. La crème de la crème, dans ses grandes blouses blanches avec ses stéthoscopes. Ils voient un corps malade, ils injectent antibiotiques, cortisones, Prozac. Et cela continue à dégénérer.

Et si... les diagnostics étaient faux et que les symptômes étaient pris pour la cause ?

Qui sont nos médecins ?

Que nous apprennent la Sociologie de la bourgeoisie et les statistiques de l’Insee ?

Donc, avant tout, on constate la réalité d’une élite sociale qui se transmet héréditairement dans une République qui s’affiche comme égalitaire. Vu que cette élite homogène existe et qu’elle s’autoproclame nos médecins, on peut se poser la question de son impact sur la société.

Revenu du capital, revenu du travail et rente de travail

Quel est le point commun entre un retraité, un fonctionnaire, un RMiste, un chômeur, un fonctionnaire ? De part les systèmes de répartition, de solidarité, les revenus directs et les indexations toutes ces personnes touchent des revenus du capital. Or, alors que les salaires sont au pire gelés ou augmentent moins que l’indice des prix, on constate de l’autre côté que les entreprises ont dû garantir à leurs actionnaires des croissances de revenus de 5 % depuis dix ans. Sans faire de maths compliquées, on sait qu’une progression de 5 % pendant dix ans c’est bien plus que 50 %, mais pendant ce temps on sait que les salaires n’ont pas crû. On sait aussi que, dans les échelles des revenus (traders, patrons, cadres supérieurs, investissements), les revenus ont bien augmenté vers des cimes impressionnantes. Au point que j’ai pu lire dans les échos des éditoriaux sur l’excès d’inégalité dans les revenus ! Mieux que rentier certains tirent un salaire si étonnant (pensez aux sportifs qui au titre de leur brève carrière peuvent toucher un siècle de Smic par transfert) que l’on peut parler de rente du travail. Vous allez me dire que s’en tirer mieux que les autres n’est pas une preuve d’incompétence. Et je suis d’accord. C’est juste une pièce du puzzle que je tente de montrer sous vos yeux. Je tente de montrer qu’il y a deux France, celle des médecins et celle des autres, qui n’ont pas les mêmes destins. Une dont les revenus ont stagné pendant dix ans et qui est malade, et une autre dont les revenus ont bien augmenté pendant dix ans, et qui se justifie au titre du bien supérieur de la société. Et pourtant... dans notre corps, que se passe-t-il si une partie de nos cellules décident qu’elles ne sont plus du corps, et qu’en même temps elles se mettent à accaparer plus de ressources que les autres ? Tant que le niveau est faible, ce n’est pas grave, dépassé un certain niveau, il y a peut-être du soucis à se faire. Nos globules blancs (des cellules particulièrement violentes) se mettent à être générées et se mettent en devoir d’annihiler la tumeur, parfois le cancer gagne, parfois pas, mais le corps devient malade.

Est-il mal que les médecins soient payés plus que d’autres ?

Mal, je ne sais pas, est-ce que cela peut être utile ? Pour cela, il faut que le gain escompté surpasse le coût supposé. Un trader qui fait gagner un milliard par an peut toucher 1 pour 10 000 de ce qu’il fait gagner cela ne paraît pas choquant à un patron, un homme politique... Mais qui et comment mesure-t-on les gains ? Pour cela, nous dit-on il faut être un expert, quelqu’un qui a des diplômes et qui comprend le langage des experts. Oui, mais revenons à l’anthropologie. Un corps social endogame est en fait une tribu, qui comme les autres va se créer son langage compris d’elle seule. Le langage des grandes écoles en ceci est strictement identique à l’argot des cités : un langage de reconnaissance qui est plus porteur de l’affirmation de l’endroit d’où l’on vient que du message. Le vrai message que donne un discours compliqué sur la nécessité de la juste rémunération des patrons/traders/cadres supérieurs sur la prise de risque et la précarité de leur position est avant tout un discours de classe. Le discours de la complexité est le discours du masque, donc normalement je devrais déclarer forfait car je ne suis pas un médecin. Mais peut-on, sans avoir accès à des statistiques, aux chiffres réels des entreprises et du ministère de l’Industrie, deviner si les gains et le pouvoir accordés à nos médecins sont en proportion avec l’apport de richesse qu’ils contribuent à produire ? Du fait même de l’endogamie entre classes supérieures, une mesure objective des classes supérieures nous est interdite puisque ce sont des personnes de ces mêmes classes qui nous donnent les résultats. Pour vous en convaincre, regardez le nombre d’employés qui vont se présenter en tant que maire dans les villes de plus de 30 habitants, comparés aux nombres de professions libérales ou cadres supérieurs. Le milieu politique censé faire contrepoids au monde économique recrute dans les mêmes milieux. Le milieu médiatique, artistique aussi. Comment peut-on faire ?

Merci l’Europe, merci la biologie

D’abord remercions nos parents de nous avoir légué un cerveau. Ensuite, grâce à l’Europe, nous savons ce que nos voisins ont sur le plan syndical, de la santé, des impôts, des déficits budgétaires, de la monnaie des situations proches. Nos voisins sont différents certes, mais ils ne sont pas substantiellement différents. Or, nous sommes le seul pays d’Europe où le déficit commercial est aussi prononcé !

Raisonnement par élimination, les joies du diagnostic différentiel

Que nous dit le déficit commercial :

  1. que nous achetons beaucoup  ;
  2. que nous vendons moins.

La faute des travailleurs ?

Or, il se trouve que :

  1. les 35 heures ont rimé avec l’abandon de la mesure du temps de travail pour au moins 20 % des salariés (les cadres) qui sont la première main-d’œuvre des activités à forte valeur ajoutée du XXIe siècle ;
  2. les 35 heures ont obligé les entreprises à faire des gains de productivité énorme ;
  3. l’accès à une éducation pour tous (peu importe que l’on prétende que sa qualité baisse) implique une augmentation de productivité ;
  4. les salariés ont consenti des stagnations de salaire alors que le CAC 40 pendant le même temps s’envolait ;
  5. nous sommes un des pays en Europe en pointe dans les technologies de l’information et de la communication d’où l’on sait tirer des gains de productivité.

Si le vulgus pecum a amélioré sa contribution à la création de richesse, comment se fait-il qu’alors que nos voisins n’ont pas eu les mêmes atouts, nous nous en sortions moins bien ? Problème de patronat ou problème politique ? Peu importe que ce soit le politique ou le patronat, car comme disait Spider-Man (Spider-Man 1 par Sam Raymi) : avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités. Notamment celle de faire face.

L’euro fort, le cadre économique

On prétend que l’euro fort est le problème. Imaginons que je sois Brésilien, je suis un modeste ouvrier qui a une capacité d’emprunt de 30 000 € (j’ai épargné 1 000 € pendant dix ans ce qui me permet de faire un emprunt), et que le réal soit indexé sur le dollar. Que paraîtrait-il logique de faire ? Je pourrais acheter une maison au Brésil pour 200 000 $, et je pourrais dans le pire des cas pouvoir profiter de la maison, et aussi spéculer immobilièrement et monétairement dessus. Moi, petit ouvrier, je pourrais investir. Imaginons que mon frère resté au pays veuille monter une entreprise de fabrication de robinet : alors je vais peut-être devenir associé avec lui, lui avancer les fonds. Peut-être même que cela permettra à mon voisin en France spécialiste des joints de trouver un nouveau débouché. L’euro fort est pour le vulgus pecum qui a des attaches à l’étranger une opportunité fantastique pour investir dans la création de richesse et l’acquisition de patrimoine. Comment peut-on me faire croire que l’euro fort est une chose uniquement horrible ? L’euro fort est aussi une opportunité unique pour les entreprises. Opportunité dont apparemment les patrons ne semblent pas conscients. Le patron prétend être payé plus du fait qu’il doit faire face à un changement, le politicien prétend de même. Mais, le changement est très rarement négatif. Comment se fait-il que la France soit le seul pays ou tout changement extérieur ne pose que des problèmes ?

Les contraintes internationales, la faute de la réglementation ?

Prenons le changement climatique. On ne sait pas ce qu’il va arriver, on sait juste que des populations entières (animales, végétales et humaines) sont d’ores et déjà condamnées. Je peux pourtant tout à fait cyniquement déclarer que c’est une opportunité sociale et économique. Il suffit d’évaluer les différents aspects ; par exemple la France et l’Europe sont un des marchés les plus normalisés du monde, imposer des normes de production qui obligent à respecter l’environnement des consommateurs et des producteurs est une mesure de protectionnisme qui serait des plus efficaces, reboostant le marché intérieur face aux importations, tout en sauvant la planète. Y aurait-il en France un virus ou une déficience génétique qui frapperait silencieusement nos populations dirigeantes et dont le symptôme est la perte d’imagination ?

Conclusion

Si ce n’est pas :

Tout étant égal par ailleurs, sauf notre élite qui se reproduit de manière héréditaire, ne peut-on soupçonner que ce soit justement là où se situe le problème français ?

Quelle pathologie pourrions-nous avoir ?

Nous percevons que notre société est malade, les réponses apportées sont celles des médecins de Molière : prétentieuses, insultantes et inefficaces. Même si je me trompe, je pense qu’il est temps que nous essayions de ne plus nous fier aux diagnostics de nos médecins auto-déclarés. Et qu’il est temps que les lecteurs de tout bord se réapproprient le droit d’essayer de comprendre ce qui ne va pas, quitte à se poser la question de savoir si nos médecins grassement payés ne sont pas la cause de notre maladie et s’ils méritent le crédit et les revenus que nous leur donnons.


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