La France : la dernière histoire d’amour de Bernard Maris

par Laurent Herblay
lundi 10 août 2015

C’est un petit livre dont je me souviendrai sans doute très longtemps : le manuscrit envoyé le 2 janvier, cinq jours avant la tuerie dont il fut une victime, par Bernard Maris, économiste membre de Charlie Hebdo, donc plutôt anarchiste et internationaliste, véritable déclaration d’amour à la France.

 
Coup de foudre patriote
 
Ce livre conservera pour toujours un caractère particulier. En effet, voici un intellectuel a priori peu tourné vers son pays, qui semble découvrir son amour charnel pour sa patrie. Mais dans ce texte finalement assez brut, l’intellect et le rationnel font assez souvent place aux tripes et aux sentiments, le tout dans un style parfois un peu familier et provoquant, mais dont le fond témoigne d’une grande culture et d’une mise en perspective souvent originale et recherchée, entre l’empirique et le théorique. Cela donne une belle chaleur à cette véritable déclaration d’amour, à mettre au panthéon du patriotisme. Ce livre, assez méridional, donne aussi une envie, hélas malheureusement impossible aujourd’hui, de discuter avec son auteur, une invitation au dialogue et à la discussion et à lire ses autres ouvrages.
 
Il note, sans le formaliser pleinement, ce qui unit notre pays. Il cite Pierre Chaunu, qui, en 1982, parlait des « 800 millions de morts dormant sous la terre de la douce France » ou Marc Bloch, dans « L’étrange défaite » : « il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du Sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération  ». Il parle avec émotion de son maître « très sévère  » de CM1, qui « nous donnait simplement envie de lire (…) bras croisés, muets de terreur et d’émotion ». Il vante la richesse de notre débat intellectuel, reconnu par de nombreux Nobel, notre vision de la famille et de la femme, nos racines terriennes, notre diversité, notre tolérance, mais aussi nos contradictions.
 
La conversion d’un anarchiste internationaliste
 
Il revient sur les raisons qui l’ont poussées à écrire ce livre : « depuis peu, le french bashing me ravit, m’exalte ; je me sens bien. Je relève la tête et je souris ; et mes traits se durcissent, comme ces prisonniers giflés avant l’exécution. Tremblez ennemis ! Je me sens comme Ulysse de retour dans son pays occupé par les prétendants. J’ai vu (un peu) le monde. J’ai négligé mon pays. Je l’ai négligé comme une évidence. Et j’ouvre les yeux sur ceux qui lui ravissent… ce que vous voulez ». Il rappelle que cela fait 150 ans que certains de nos intellectuels dénoncent le déclin de la France, et ironise « incroyable que cette nation survive sous cette lancinante lapidation des pierres du désespoir  ».
 
C’est aussi une déclaration d’amour aux Français « non, Français, vous n’êtes pas coupables, vous ne devez rien ; le chômage, la catastrophe urbaine, le déclin de la langue, ce n’est pas vous ; le racisme, ce n’est pas vous, contrairemet à ce qu’on veut vous faire croire. Vous n’êtes pas coupable. Retrouvez ce sourire qui fit l’envie des voyageurs pendant des siècles, au pays où Dieu est heureux*  ». Pour lui « ceux qui brament à l’impossibilité de réformer la France sont des incapables, des lâches ou bien les deux ensemble. Ils cherchent à faire retomber leurs échecs et leur culpabilité sur ces pauvres Français qui n’en peuvent mais  ». Il rapporte comment l’équipe de Charlie Hebdo lui a fait aimé la France.
 
Ce livre est porteur d’un immense espoir, à plusieurs titres. D’abord, il montre que l’amour de la patrie peut ressurgir dans des parties de l’opinion qui y semblent pourtant les plus rétives. Ce faisant, cela montre qu’un jour, tôt ou tard, une alternative finira par naître. Demain, je reviendrai sur les traits que donne Bernard Maris à son patriotisme et sa lecture de notre grand roman national.
 
* en Allemand, il existe une expression qui dit « heureux comme Dieu en France » !
 

 

Source : Bernard Maris, « Et si on aimait la France  », Grasset

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