La honte des enchères inversées pour le recrutement des salariés
par Bertrand de Kermel
samedi 19 novembre 2005
Depuis le 4 novembre 2005, et suivant l’exemple allemand, un site web français rend possible, sur notre territoire, le recrutement de salariés au moyen d’enchères dégressives sur Internet. Autant dire que l’ascenseur social n’est pas prêt de monter au sommet... La ligne jaune est à mes yeux franchie.
Le 4 novembre 2005, un site d’enchères inversées sur Internet pour le recrutement de salariés s’est ouvert en France. Son adresse : www.jobdealer.net.
Il est inspiré de jobdumping.net, un site allemand ayant le même objet. On est en droit de se demander s’il ne ravale pas l’homme au rang d’une vulgaire marchandise. Et dans ce cas, où sont nos valeurs ?
Ce système est extraordinairement pervers. Il écrase impitoyablement les plus faibles. Il amplifie artificiellement le rapport de force, au profit du plus fort. Il est anormal de traiter les jeunes ainsi, comme de vulgaires marchandises. L’expérience les marquera. C’est incroyablement frustrant de dévaloriser ainsi sa personne. De plus, le jeune qui vivra chez ses parents pourra baisser davantage ses prétentions, par comparaison avec celui qui devra se débrouiller seul.
En combinant l’ensemble des textes légaux, un salarié peut aujourd’hui être recruté par enchères dégressives pour un contrat nouvelle embauche (et pourquoi pas à temps partiel imposé).
Naturellement, les banques n’accepteront jamais que ce type de salarié accède au crédit. Aucun propriétaire n’acceptera de lui louer un logement. Conclusion : encore un peu plus d’écart entre les chanceux et les perdants du système. Et pour ces derniers, la porte grande ouverte vers la pauvreté (travailleurs pauvres), puis l’exclusion...
Au-delà de l’aspect choquant du procédé, on peut se demander :
- si dans 30 ans, des jeunes qui auront été traités de la sorte accepteront de payer pour soigner les vieux qui les auront soumis à ce régime (en clair, c’est une merveilleuse machine à casser la solidarité intergénérationnelle). Gare aux dérives.
- si les gens soumis à ce régime n’exigeront pas le même traitement pour les fonctionnaires. Il y a des économies fabuleuses à réaliser car, en cette période de chômage, la sécurité de l’emploi est au moins aussi importante qu’un bon salaire. Les candidats fonctionnaires aux enchères dégressives seront donc légion. Au nom de quel principe un gouvernement laisserait-il se développer le système pour les salariés du privé et par pour la fonction publique ?
Ces exemples ont pour seul objet de montrer que la machine devient folle. Surtout que, dans le même temps, le gouvernement n’a pas pris la plus petite initiative pour demander aux grands patrons de modérer leurs augmentations (comme le suggérait le rapport Camdessus, page 76, qui s’émouvait des abus en la matière).
A ce niveau, nous devrions vraiment prendre le temps de réfléchir fondamentalement à notre pacte républicain, pour éviter de laisser partir à la dérive, de manière incontrôlée, un certain nombre de principes fondamentaux. Peut-on vraiment construire ou développer une société civilisée et libre, avec le minimum de solidarité que cela implique, et se conduire de cette façon ?