La laïcité dans l’animation

par CHALOT
jeudi 27 mai 2010

Dans les stages BAFA des animatrices viennent avec un foulard, dans des centres de loisirs des animateurs -rares heureusement- organisent la restauration en installant des tables sans porc...
Une offensive est menée par les intégristes et non les croyants qui ont toute leur place. Comment résister et imposer la laïcité permettant le vivre ensemble et l’égalité des droits ?

Les CEMEA, les Eclaireuses Eclaireurs de France et les FRANCAS, mouvements laïques d’éducation populaire organisent de nombreux stages de formation d’animateurs de centres de vacances et de loisirs.

Dans le cadre des sessions BAFA et BAFD les formateurs sont de plus en plus confrontés à des problèmes liés à la présence de jeunes exprimant avec force leur appartenance religieuse.

Les réponses apportées différent : de l’acceptation au refus, parfois gêné… tout un panel de positionnements…

DEFENDRE NOS VALEURS DANS LES STAGES BAFA ET BAFD

LA LAICITE EST UN PRINCIPE QUI NE SE BRADE PAS…

Depuis plusieurs années des animateurs stagiaires affichent leur appartenance religieuse : kippa, voile, croix… Cette présence parfois discrète ou ostentatoire pose quelques problèmes déontologiques aux équipes de formateurs.

La réponse donnée ne doit pas être à la carte, en fonction de la sensibilité de l’équipe des formateurs ou de la composition du stage.

Il en va de la cohérence des mouvements d’éducation eux-mêmes.

La laïcité ne refuse pas les manifestations religieuses, elle les réserve à la sphère privée.

Comment garantir la laïcité tout en évitant des exclusives ou des exclusions ?

Ce dilemme est celui vécu par de nombreux enseignants depuis une vingtaine d’années avec une gestion au cas par cas menée par les équipes d’enseignants devant l’absence de cadre législatif dénué d’ambiguïté.

L’appréciation et la décision confiées aux acteurs locaux supposent l’existence d’un rapport de force difficile à construire.

A notre niveau de responsabilité, Il nous faut aujourd’hui débattre de cette question et prendre une décision collective pour éviter toute dérive…

Une association laïque d’éducation populaire défend un certain nombre de valeurs qu’elle ne peut brader au nom d’une tolérance mal comprise.

Nous avons des options fortes à défendre :

la place de l’enfant, le respect de sa personnalité et notre mission éducative qui contribue à le rendre acteur de ses loisirs et de ses choix…

Un animateur qui porte un signe distinctif, ostentatoire d’appartenance idéologique, religieuse ou politique influence, qu’il le veuille ou non l’enfant qui lui est confié.

- Nous ne pouvons pas accepter qu’une stagiaire porte le voile pour les raisons invoquées précédemment et parce que pour nous la femme dispose des mêmes droits que l’homme.

- Les animateurs participent à tous les temps d’animation, y compris les activités physiques, ce qui suppose qu’ils puissent jouer et évoluer avec les enfants dans l’eau, pour prendre un exemple.

- La demande de ne pas participer à des temps de formation par des stagiaires pour des raisons religieuses est irrecevable.

- La question de la restauration collective est souvent posée : en dehors de la prise en compte de la demande culturelle exprimée par certains d’avoir une autre viande remplaçant le porc, il n’est ni possible, ni souhaitable d’aller au-delà.

Des plats halal ne peuvent pas être proposés ou alors il faudrait présenter des menus végétariens et végétaliens… !

- Le regroupement systématique par communauté, dans le stage, nuit à l’établissement d’un échange constructif et à l’émergence de projets réellement collectifs.

Naturellement il n’est pas question de rejeter systématiquement qui que ce soit.

Il faut poser dès le premier jour le cadre, s’y tenir et expliquer clairement en amont du stage et au début notre posture et nos valeurs.

Il faut surtout ne pas attendre que se constitue un groupe fusionnel.

La clarification doit être faite dès l’entrée en formation dans le cadre de la présentation de nos principes éducatifs, de notre positionnement.

Cette clarification doit se faire avec soin, sans animosité aucune, avec un esprit d’écoutes réciproques mais avec la détermination nécessaire pour des personnes qui se veulent avant tout des formateurs.

J’encadre entre autres, chaque année depuis une décennie une formation BAFA à Orly avec un public composé majoritairement, voire très majoritairement de jeunes « maghrébins » parfois pendant la période du Ramadan.

A chaque fois, avec eux nous avons posé le cadre : ils pouvaient naturellement s’abstenir de manger et de boire mais il leur fallait être en capacité physique de participer à tous les moments de formation, y compris aux jeux sportifs.

Je n’ai eu aucun problème avec ces jeunes, ni avec ceux qui ont essuyé de ma part un refus argumenté quand dans le cadre d’une autre formation, ils m’ont demandé de s’absenter cinq fois par jour pour faire la prière.

Naturellement tout ceci demande du doigté mais aussi de la rigueur, ce qui suppose qu’une discussion se mène dans les mouvements laïques afin qu’une réponse collective, comprise et partagée puisse permettre une cohérence respectant nos valeurs notamment la laïcité et le respect des droits de l’enfant.

La confusion démagogique est inopérante à terme.

La laïcité ne forme pas un carcan, mais des principes humanistes de respect du choix personnel de l’enfant.

Jean-François CHALOT

Voici un livre qui peut permettre d’aller plus loin dans la réflexion

"Les animateurs

face à l’intégrisme religieux

et à l’oppression des femmes"

Éditions l’Harmattan

octobre 2009

C’est la première fois qu’un livre est consacré exclusivement à cette problématique pourtant essentielle pour le présent et l’avenir de l’animation socioculturelle et de l’éducation populaire.

Ces trois regards de femmes et cette réflexion menés dans le cadre de trois mémoires de DUT en Animation et les tables rondes qui sont rapportées ici forment un ensemble cohérent et utile pour comprendre les enjeux du maintien et du renforcement de la laïcité et des principes républicains dans ce domaine éducatif.

L’animation est un véritable métier et la fonction d’animation exige une formation professionnelle. C’était et c’est le message de tous les acteurs éducatifs engagés et conscients des enjeux...

Malheureusement cet appel fut peu entendu par les politiques qui ont fait appel dans les années 90 aux grands frères devenus par enchantement des animateurs. Des villes payent encore le prix de cette erreur manifeste, les grands frères ont reproduit dans le cadre de leur mission le cadre "culturel" qui instaure au nom d’un dogme religieux et des habitudes véhiculées l’inégalité entre les hommes et les femmes.

C’est ainsi que des animatrices diplômées ont fini par déserter certains centres sociaux ou services jeunesse pour fuir un sexisme et une ségrégation à peine déguisés.

Faut-il respecter les différences culturelles au nom de la liberté ?

Les auteurs de ce livre répondent sans aucune ambiguïté que le relativisme culturel conduit à enfermer des femmes dans un carcan, voire une prison communautaire qui les privent de la possibilité de s’émanciper et de se construire. Ce culturalisme, véritable "enfer" pour les femmes va à l’encontre des valeurs véhiculées par l’éducation populaire, mouvement de transformation sociale.

Comme l’explique Pierre Baracca : "la première rupture à opérer, pour les animateurs, consiste à différencier le niveau artistique et culinaire avec celui des valeurs et des conduites sociétales."

Danielle Demaire, historienne et professeur émérite de l’Université, revient sur un aspect historiquement souvent oublié :

Le combat pour la séparation des églises et de l’État a été une réponse forte à une offensive de la hiérarchie catholique .

Cette offensive contre la république consistait à imposer ou à continuer à imposer la messe à l’ouverture des sessions parlementaires et le crucifix dans les chambres des hôpitaux même si le patient était athée ou agnostique.

Aujourd’hui l’islamisme politique est sur tous les fronts pour contraindre les populations d’origine musulmane à des codes de vie rétrogrades.

Ce communautarisme qui fait d’ailleurs de la femme la première victime doit être combattu.

Ce livre se termine par un appel à une formation des animateurs, notamment autour de la question de "l’oppression des femmes".

C’est un appel légitime et l’animation ne pourra exercer sa double fonction de construction du lien social et d’émancipation de toutes et de tous, que si les animateurs examinent, entre autres "les enjeux idéologiques autour des activités proposées dans les structures d’animation, notamment aux enfants et aux jeunes."

Ce livre est une contribution originale et intéressante au débat sur les missions de l’animation et montre avec force qu’aujourd’hui il y a deux alternatives : l’éducation populaire ou l’intégrisme, c’est à dire le progrès et les lumières ou l’obscurantisme !

Les débats contenus dans ce livre concernent d’autres professions et, d’une façon générale, élus politiques ou syndicaux et tous les citoyens, notamment autour de notions comme identités, racines, culture, diversité culturelle, culture plurielle, multiculturalisme, démocratie culturelle, théories postcoloniales, études subalternistes, communauté / individu, relativisme normatif, religieux et politique, laïcité, sexe, genre, violences faites aux femmes...


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