La laïcité n’est pas une tradition

par Orélien Péréol
lundi 22 juin 2009

Selon certains, il faut étendre le domaine de la répression d’une certaine religion.
Nous avons renoncé à la laïcité avec une loi portant sur les tenues vestimentaires des citoyens. Le mot « laïcité » recouvre maintenant un athéisme d’Etat et la commande à un athéisme public et affiché des citoyens. C’est au citoyen d’être « laïque ». Les mots continuent leur vie et apparait à la suite de ce renversement l’idée que la laïcité serait une tradition (populaire, en quelque sorte). Ceci à propos d’une demande surgie soudain mais passionnante d’étendre la répression des citoyennes non-athées à la rue. Nous nous éloignons de la possibilité de réfléchir à certains problèmes nouveaux.
A moins d’un retour à la laïcité, nous allons continuer à réclamer de la répression et à nous insupporter que cette répression ne fonctionne pas, malgré son indiscutable, (à nos yeux indiscutable) excellence.
On entend partout parler de la laïcité comme tradition, à propos d’un projet de commission parlementaire, lui-même à propos du port de la burqa. Cette alerte qui provient d’une soixantaine de députés de tous bords politiques est lancée sans aucun signe avant-coureur, me semble-t-il. Cependant, tout le monde s’en empare et en discute dans les mass-médias.
 
La critique envers les mass-médias qui nous font prendre des vessies pour des lanternes d’une manière générale et qui roulent pour les puissants est totalement éteinte. La répétition mass-médiatique fonctionne à plein comme d’habitude mais, sur ce sujet, n’est l’objet d’aucune critique. Jean-Pierre Faye a montré les glissements progressifs du langage qui peut amener les pires turpitudes humaines collectives. C’était il y a longtemps et à propos de la montée du nazisme. Vous n’y pensez pas, tout de même ! Tous les glissements du langage ne conduisent pas à des régimes extrêmes, heureusement. Cependant, tous les glissements du langage doivent être surveillés, analysés, me semble-t-il, et faire l’objet d’une résistance (active, pas plaintive).
 
La laïcité n’est pas une tradition. La laïcité, c’est l’Etat. C’est une obligation de l’Etat. C’est une qualité, une caractéristique de l’Etat. C’est une « méthode » de l’Etat, qui consiste à réguler les relations entre les religions et entre les religions et l’Etat, en toute équité entre elles et dans le respect de la liberté.
 
Une loi a rompu cette institution si nécessaire et généreuse. Une loi, qui est justifiée dans les commentaires par le mot laïcité, a interdit le port des signes religieux à l’école. C’est une inversion du sens de la laïcité. Au lieu d’être une charge de l’Etat, cette « laïcité » nouvelle charge le citoyen de porter un habit, habit décrété soudain laïque. Cette « laïcité » porte sur le comportement du citoyen. Elle renverse la laïcité de l’Etat sur le citoyen.
 
A partir de là, on ne sait plus de quoi on parle quand on parle de laïcité. Les Etats religieux demandent à leurs citoyens de pratiquer une certaine religion, cette religion étant au dessus de l’Etat, et le commandant dans son action. La « laïcité » devient une forme de religion d’Etat qui comprend certaines prescriptions auxquelles les citoyens doivent obéir. Cette « laïcité », en remplacement de la régulation indifférente aux religions, devient un athéisme d’Etat. Cette laïcité religion d’Etat se met en concurrence avec les religions (avec une, dans les faits).
 
Cette loi qui ne parle que des signes religieux alors qu’elle en vise un et qu’elle ne vise qu’une religion ne fait qu’augmenter le problème qu’elle est censée résoudre.
La laïcité religion d’Etat engage un processus répressif envers une certaine catégorie de citoyens. Elle dit qui peut aller à l’école et qui ne peut pas, qui est assez bon citoyen pour aller à l’école et qui ne l’est pas, sauf à accomplir un renoncement à lui-même (renoncement peut-être partiel et peu grave, mais la République nous interdit, en principe, d’en juger). Cette « laïcité » réprime des citoyens, alors que la laïcité est la garantie que les citoyens puissent exprimer leur religion.
 
Cet athéisme d’Etat impose une division schizophrénique du citoyen qui n’est pas souhaitable et qui est invivable. Cette « laïcité » tend, même sans le vouloir, à repousser l’exercice des religions dans une sphère « privée », c’est-à-dire qu’elle valorise la constitution de communautés fermées sur elles-mêmes, communautés où siègeront la liberté, tandis que les espaces publics devront être investis dans un conformisme non sincère d’un certain « look ».
 
Certains parlent aujourd’hui d’un retour du débat. Ce débat est permanent, parce que cette loi inquiète, exacerbe et qu’il faut sans cesse la rejustifier. Et pour cause. Elle pose une déstructuration grave du sens des mots. Elle se pose sur un renversement d’une valeur fondamentale de notre République. Nous avons perdu nos repères en en transformant la laïcité en un athéisme d’Etat qui commande à ses citoyens d’afficher un athéisme public. Nous n’avons plus les moyens de penser un certain nombre de nouveautés de la société française.
 
Bon nombre de mes concitoyens ont estimé que la loi contre le voile à l’école était une bonne loi, qui fonctionnait bien, puisque les affaires de voile n’apparaissaient plus dans les mass-médias. Mais la soumission des oppressés par cette loi ne signifie pas que progresse en eux l’interprétation que les oppresseurs en donnent : ils n’apprennent pas, avec cette loi, la laïcité (à mon sens prétendument la laïcité). Il y a un « accord » de ceux qui sont brimés qui rend invisible pendant quelques années la persistance du problème. Cette loi entretient ce qu’elle est censée résoudre. Elle en fait un souci permanent, tu, et qui travaille en souterrain. Apparaît alors le refoulé, dont beaucoup de gens avaient pensé qu’il était éradiqué ! Le retour du refoulé est pourtant un concept assez connu, assez aisé à comprendre et à mettre en œuvre.
 
Le vrai travail de cette loi a été de nous faire prendre une chose pour une autre. La laïcité régulatrice de l’Etat disparait au profit d’un athéisme (assez friable aux bords par ailleurs) qui transforme les citoyens en sujets.
 
En transformant la laïcité en athéisme d’Etat, l’Etat s’est mis en concurrence avec, en principe, les religions, en pratique, une certaine religion. Pour certains députés, il faut augmenter le territoire de la conformation forcée des récalcitrants et il faut légiférer dans l’espace public de la rue. On n’a pas fini de discuter des extensions que ceux qui prônent l’athéisme d’Etat vont devoir proposer.
 
L’arrivée de la « laïcité » comme tradition est une accentuation de l’écart à la laïcité étatique française. Tradition suggère un attribut populaire, comme les boules ou la corrida sont des traditions du sud de la France, comme le barbecue une tradition qui traverse les classes sociales. Cela nous éloigne un peu plus de la capacité à penser la laïcité (de l’Etat). On s’éloigne un peu plus de la capacité de comprendre.
 
Si nous voulons revenir à la compréhension de ce qui se passe dans la société et à la régulation de problèmes nouveaux, il nous faut, tout au contraire de ce qui est pratiqué, revenir à la laïcité (de l’Etat) et discuter de modalités nouvelles que l’Etat doit mettre en œuvre pour son application, application qui concerne l’action de l’Etat et pas l’action des citoyens qui, eux, ont droit par principe de laïcité, à toutes les religions.
 
Pour l’instant, nous ne savons plus de quoi nous parlons, nous avons inversé le sens d’un mot fondamental de notre Etat et de notre histoire. Et nous grandissons dans ce mauvais sens.

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