La marche du 11 janvier 2015, un acte de guérison collectif face à la terreur ?

par Julien Boyer
jeudi 22 janvier 2015

La place de la République, 11 janvier 2015

 

Dimanche 11 janvier 2015…

Comme beaucoup de français, j'ai tenu à manifester dans la rue mon opposition à la terreur et mon attachement à la liberté d’expression, car mourir sous les balles parce qu’on est caricaturiste, journaliste, juif ou policier me révulse profondément.

Présent sur la place de la République à Paris, j’ai été impressionné par cette foule, ces personnes de toutes origines, de toutes religions, ces célébrités et ces anonymes, ensemble manifestant au nom de la vie et de la liberté d’expression face à un obscurantisme mortifère, effaçant l’espace d’une journée leurs divisions et nouant des liens d’affection ne serait-ce que pour un instant. Des individus qui se seraient sans doute croisés sans dire un mot quelques jours auparavant, se parlaient et se souriaient dans l’immobilité d’un cortège qui avait du mal à avancer.

Dans ce décor, j’ai été frappé par cette marée humaine en communion autour de la statue de Marianne, symbole de la République française, qui avaient été attaquée sur ses fondements que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Cette scène avait pour moi tout d’un cadre cérémoniel et entrait en résonance avec toutes ces communautés humaines du présent et du passé, qui s’adressent et s’adressaient, à la « grande mère divine » pour lui rendre honneur et lui demander protection face aux périls menaçants la communauté (maladies, protection face à la nature, protection contre la sorcellerie…). Quelque chose de très archaïque semblait être exprimé par le peuple français, choqué par ces événements et cherchant d’une manière groupale, à trouver le réconfort d'une « mère suffisamment bonne » - pour reprendre l’expression de Donald Winnicott -, qui semblait s’incarnait au travers de nous tous, dans l’expression de ce que nous avions de bon dans un subtile mélange de nuances.

L’horreur de ces derniers jours paraissait avoir été sublimée. A partir d’une matière brute et vile mêlée, hélas, au sang bien réel d’innocentes victimes, le peuple français accouchait d’une jolie oeuvre, dont les premiers traits avait été initié plus tôt par les éditorialistes de Charlie Hebdo.

 

Imposer ses valeurs par la terreur

Le terrorisme vise à employer la terreur à des fins politiques, religieuses ou idéologiques. La terreur est ainsi définie par le Larousse en ligne : « Une peur violente qui paralyse (…) Une pratique systématique de violences, de crimes en vue d'imposer un pouvoir (…) Une personne ou chose qui inspire une grande peur, qui effraie. » La terreur présente donc 3 caractéristiques que nous retiendrons ; la dimension de peur instiguée, de paralysie provoquée, et une pratique en vue d’imposer un pouvoir.

Dans le cas présent, ces attaques revendiquées officiellement par Al-Qaïda Yémen visaient donc à ébranler la société française et à favoriser l’émergence de lignes de fractures au sein de la population. Plus loin, les têtes pensantes de ces attaques cherchaient sans doute à poser leur pied en terre française, dans une recherche de pouvoir et d’imposition de leurs valeurs chaotiques.

Dans cette optique, attaquer un journal symbole de la liberté d’expression, des caricaturistes conforment à une certaine tradition française de dérision (et donc support d’identification pour de nombreux individus) de même que des personnes juives et des policiers, était potentiellement déstabilisant pour notre société se voulant ouverte à tous. La République française est en effet fille de la Révolution française et de la pensée des lumières. Elle se fonde sur un projet de vivre ensemble laïc et une grande part d’entre nous a largement été abreuvé à l’école par ces principes. Pas surprenant donc que nous ayons été tant marqué par ces événements ; nul doute que les instigateurs de cette attaque savaient quel symbole attaquer pour nous affecter.

 

La « Stratégie du choc »

Dans « la Stratégie du choc » Naomi Klein évoque l’utilisation de « traitement de choc » par des réseaux de pouvoir américains afin d’imposer le néolibéralisme à travers le monde. Ces entreprises menées à l’échelle de nations auraient été inspirées par des recherches réalisées en psychiatrie à l’Université McGill dans les années 50 et portant sur les effets de la privation sensorielle sur des individus.

Initiées au départ par docteur Dr Donald Hell, puis poursuivi par le psychiatre Donald Ewen Cameron, ces expériences sur la privation sensorielle étaient financées par l’armée et réalisées avec l’assentiment des services de renseignement. Elles furent utilisées sur des patients dans un désir de nettoyer et de restructurer leur esprit en se servant notamment d’un cocktail d’électrochocs, de médicaments, de privations sensorielles et d’interrogatoires. Ces expérimentations sinistres ont donné lieu à la mise au point de techniques reprises dans le manuel utilisé par la CIA pour mener des interrogatoires, le « KUBARK ».

S’inspirant de ce qui avait été appliqué sur des individus, Milton Friedman ainsi que d’autres pensaient qu’une thérapie de choc appliquée à l’économie pousserait la société à accepter une forme plus dérégulée de capitalisme. En sommes déstabiliser une société entière pour la réformer selon les préceptes néolibéraux. Ces traitements de chocs auraient commencé à être appliqué au Chili sous la dictature du Général Pinochet avant de s’abattre sur plusieurs pays, avec des résultats désastreux tant ils ont favorisé la violence et le chaos.

L’Irak fut un des derniers pays où la Stratégie du choc a été mis en place. A partir de l’intervention américaine de 2003, cet état constitua un véritable laboratoire pour les chantres du néolibéralisme apportant beaucoup de misère pour le peuple irakien. Sur ce terreau naquit un terrorisme assoiffé de revanche, abreuvé à l’idéologie de sectes violentes, et cherchant à imposer son emprise sur d’autres sociétés par la terreur, dans une sorte de réaction en miroir, d’identification à l’agresseur.

 

Documentaire inspiré de l'ouvrage "la Stratégie du choc" : 

 

 

Guérir de la terreur, guérir du trauma

Face à un choc, l’individu va s’appuyer sur ses ressources psychiques pour y faire face. Parfois, il arrive que celles-ci soient insuffisantes et l’expérience débordante fait traumatisme.

Le traumatisme psychique renvoie à un vécu terrible pour le sujet, décrit comme un état de choc paralysant et déstabilisant dans une rencontre avec la mort et une coupure de lien avec le reste de la communauté humaine. Il entraîne tout un cortège de symptômes, que l’on peut relier à l’émergence défensive d’une dissociation en soi divisant le psychisme entre aires saines, encore adaptées à la vie en société, et de véritables aires mortes, comme autant de réservoirs chaotiques d’images, d’émotions, de sensations en lien avec l’expérience traumatique n’ayant pu être intégré par le psychisme.

Dans l’après-coup d’une expérience potentiellement traumatique vécue par un sujet, des mesures de prévention du psychotraumatisme sont indiquées. Elles visent en particulier à favoriser l’intégration par le sujet de l’expérience et à une réassurance dans les liens noués avec le reste de la communauté humaine.

Lorsque le vécu a fait trauma, la prise en charge vise également à l’intégration par le sujet de l’expérience. Néanmoins le psychisme a ici été profondément affecté et la guérison de ce mal passera par une diminution du clivage entre parties saines et blessées. Ceci est rendu possible par un travail de remise en lien et plus loin d’injection de pulsion de vie dans les parties blessées, gouvernées par la pulsion de mort et le chaos. Ce travail de cicatrisation, s’il est efficient, ravive en soi un bon « objet » précédemment détruit, décrit symboliquement comme la réémergence d’une mère suffisamment bonne en soi.

En conclusion, la marche du 11 janvier 2015

De notre point de vue, en s’inspirant de la prévention et du traitement du psychotraumatisme, la marche du 11 janvier 2015 pourrait être considérée comme un acte de guérison collectif, marqué par l’intégration d'une l’expérience choquante et s’inscrivant dans une réaffirmation des liens à l’autre. C’était sans doute également, un moment de retrouvaille avec les valeurs fondatrices de la République française comme une tentative de retrouver un axe solide sur lequel s’appuyer.

Désormais de nombreux français se souviendront de ce 11 janvier 2015 et garderont dans leur coeur l’esprit de cette marche, de ces visages croisées, de ces sourires échangées, en dépit des secousses provoqués par l’entreprise terroriste.

Tout ceci nous amène à penser qu'il conviendrait sans doute à l'avenir, d’étudier davantage comment les sociétés peuvent guérir et se prémunir face aux vécus potentiellement traumatiques. Ce comparatif entre prévention et prise en charge du psychotraumatisme à une échelle individuelle et groupale reste en effet bien imparfait.


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