La mobilité comme injonction totalitaire du néolibéralisme

par Laurent Herblay
samedi 28 mars 2015

C’est une charactéristique marquante de notre époque : en cas de crise, les chômeurs sont sommés de déménager pour trouver un emploi, y compris hors de leur pays, l’apprentissage des langues étrangères devenant alors indispensable. Cette injonction à la mobilité est révélatrice.

La course à la mobilité
 
Bien sûr, comme le montrent Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, la France est aussi le produit de la mobilité sur notre territoire, qui apporte un brassage qui fait que notre pays est ce qu’il est aujourd’hui. Cependant, les choses ont bien changé, ne serait-ce que depuis vingt ans. Dans les années 1990, on faisait encore souvent toute sa carrière dans la même entreprise. L’apprentissage des langues étrangères, même si on peut encore le regretter, restait quelque peu accessoire. Chaque entreprise gérait en général l’intégralité de ses affaires dans chaque pays où elle opérait. De manière plus anecdotique, on pouvait être diplômé d’une école de commerce en passant seulement trois mois à l’étranger.
 
En seulement vingt ans, nos sociétés ont profondément évolué. La mobilité professionnelle devient désirée, les entreprises souhaitant « aérer » leurs équipes par des personnes ayant travaillé ailleurs, et à l’étranger. On reste moins longtemps à son poste. Les bureaux clôts laissent de plus en plus leur place à des espaces ouverts où les salariés n’ont même plus forcément une place assignée. On apprend les langues étrangères de plus en plus tôt, comme le fait la majorité actuelle. Les services généraux et clients des entreprises sont de plus en plus délocalisés vers des pays à bas coûts. De manière plus anecdotique, il faut passer près d’un an à l’étranger pour obtenir son diplôme d’école de commerce.
 
Le sens de cette course
 
L’auteur Marc Rameaux a bien saisi et décrit le sens de cette évolution dans son livre « Portrait de l’homme moderne  ». L’évolution de notre société présente un point commun : celui de déraciner les hommes de ce qui nous relit à nos racines, nos habitudes, nos proches, pour nous placer en permanence en situation d’insécurité, où il faut s’adapter à un nouveau contexte, une nouvelle façon de faire, tout en perdant tout repère à notre passé, et avec une possibilité toujours réduite de s’établir. Les néolibéraux extrêmes diront sans doute que le propre de l’humanité est de s’adapter et que c’est la voie pour s’améliorer, progresser, la voie que l’humanité aurait suivie depuis toujours, pour notre bien.
 
Mais nous sommes aussi des êtres sédentaires, et non des nomades. Mieux, même les nomades semblent vivre en communauté, créant ainsi un cadre fixe, à défaut que la géographie le soit. Notre époque pousse de plus en plus à la suppression de tout cadre, comme si nous étions en permanence des pages blanches qui pouvaient partir de zéro. Ceci est présenté par certain comme le moyen d’exprimer sa personnalité, étouffée par les cadres anciens. Mais ce faisant, comme l’analyse remarquablement Jacques Généreux, à force de vouloir être soi, on oublie que nous sommes aussi des êtres sociaux, désirant être avec, et surtout être avec nos proches, notre famille, nos proches ou nos concitoyens.
 

Mais ne nous trompons pas, quand la réaction à cette évolution monstrueuse se fait trop radicale et extrême, cette inhumanité déguisée en modernité risque d’être préférée à une réaction qui ignore les lumières. Ce faisant, certains deviennent les idiots utiles des idées qu’ils dénoncent.


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