La « mort compassionnelle »

par koz
vendredi 2 mars 2007

L’euthanasie revient dans le débat. A quelques minutes d’écart, je reçois un mail par lequel on me fait part d’une initiative de l’Alliance pour les droits de la Vie. Et puis, via Yahoo, je prends connaissance de cet article, sur Agoravox : Euthanasie et Présidentielle. Les opposants à l’euthanasie sont inquiets des prises de position des candidats. Mais y-a-t-il lieu de l’être, alors que Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou ont tous trois fait des déclarations d’un remarquable flou, qui ne rechignent pas d’ailleurs, de ce fait, à taquiner la bêtise... ou la suprême "habileté" ?

C’est Nicolas Sarkozy qui, à la Mutualité, le 11 février dernier, a semble-t-il jugé opportun de déclarer :

"Les principes, je les respecte, les convictions, je les respecte. Mais je me dis quand même, au fond de moi, il y a des limites à la souffrance qu’on impose à un être humain (...) On ne peut pas rester les bras ballants devant la souffrance d’un de nos compatriotes qui appelle à ce que ça se termine"

C’est Ségolène Royal qui, le 19 février, sur TF1, affirme  :

"Je crois que dans le respect des personnes, il faut faire ce qu’ont fait d’autres pays européens, ouvrir le débat et mettre en place une législation qui permette d’apaiser les souffrances les plus intolérables"

C’est François Bayrou qui, le 15 février, sur France 2, déclare  :

"Je suis pour que l’on ne laisse pas souffrir les gens et que l’on ne prolonge pas inutilement leur vie (...) Lorsque l’on est au bout du bout, l’acharnement thérapeutique, c’est quelque chose de trop lourd (...) Je suis pour que cette décision soit prise par les médecins dans le cadre du rapport intime qu’ils ont avec le malade et sa famille"

Autant de morceaux de bravoure, en termes de langue de bois. Car chacune de ces déclarations peut convenir à tous.

François Bayrou croit-il que qui que ce soit soit favorable à l’"archarnement thérapeutique" ? Dans "acharnement thérapeutique", il y a... "acharnement". Le terme en lui-même porte sa condamnation. Est-il de quelque utilité, de quelque importance, d’affirmer une opposition ? Les médecins eux-mêmes ont-ils pour idéal de "s’acharner" ? "On fait quoi avec le malade de la 202 ? Eh ben, on s’acharne dessus". Qui, encore, est favorable à ce que l’on prolonge "inutilement’ la vie de qui que ce soit ? Au demeurant, cette expression est terrible en ce qu’elle suppose qu’un instant de vie supplémentaire puisse être "inutile", en ce qu’elle admet que l’on puisse être juge de l’utilité de la vie d’un tiers... Et c’est où, François, "le bout du bout" ? Comment sait-on que l’on y est ?

Ségolène Royal, elle, est fidèle à elle-même : elle ouvre un débat. Allez, grand bien lui fasse. C’est d’ailleurs un moindre mal. Elle se déclare favorable à ce que l’on "soulage les souffrances les plus intolérables". Qui est contre ? "Moi, moi, m’sieur ! Moi, j’suis pour qu’les autres, ils en chient." Je suis d’accord, Ségolène, soulageons les souffrances les plus intolérables. Quant à celles qui sont intolérables, certes, mais pas des "plus" intolérables, on les met de côté, on se les cognera dans une autre loi. Pour la mesure de la tolérabilité de la douleur, je pense que l’on pourra se contenter d’un décret, afin qu’il soit plus facilement révisable, en fonction de l’acceptation de la douleur par notre société. Autre frisson, dans cette déclaration : soulager les douleurs... S’il s’agit de donner la mort, peut-on dire que l’on soulage une douleur ? Si oui, je me méfierai, la prochaine fois que l’on me propose quoi que ce soit pour soulager la douleur.

Et Nicolas Sarkozy. Pas moins que les autres, il n’évite la proclamation d’un faux problème : "la souffrance que l’on impose à un être humain". Qu’on me présente le salaud qui se permet d’imposer de la souffrance ! Radiez-moi tous ces médecins ! Mais qui, donc, impose à qui que ce soit quelque souffrance que ce soit ? Hum ? Et qui donc "reste les bras ballants devant quelqu’un qui appelle à ce que ça se termine" ? Est-ce que ne pas débrancher l’tube, c’est rester les bras ballants ?

François Bayrou, Ségolène Royal, Nicolas Sarkozy, entretiennent une ambiguïté plus ou moins évidente. Mais ont-ils entendu évoquer les soins palliatifs ? Plutôt que de ménager la chèvre et le chou, la mort et la vie, l’un d’entre eux aurait-il les couilles de valoriser cette voie d’écoute, d’accompagnement, de dignité - eh oui, la dignité n’est pas que dans l’abrègement de la vie, contrairement à ce que l’on souhaite nous faire croire - et de lutte contre la douleur ? Non. Car il y a un mouvement de revendication à satisfaire. Une réponse simple, rapide à mettre en oeuvre : l’effacement du problème.

Et j’en reviens à cet excellent article de Sylvain Etiret, un soignant qui refuse de considérer l’administration de la mort comme un soin.

Une observation :

"Durant des siècles, la peine de mort a été la menace brandie par la société à l’encontre de ceux qu’elle considérait comme porteurs des pires dangers contre son intégrité. En quelques années, l’administration de la mort a finalement basculé vers l’ultime moyen d’honorer la dignité de l’homme souffrant. Etonnant renversement."

Et un rappel, assez amer :

"Depuis des années, des cohortes de soignants ont pu s’attacher à mettre en évidence le fait que la fin de vie peut être accompagnée, entourée, apaisée, même dans les situations les plus difficiles, sans avoir recours à un abrègement volontaire de la vie. Rien n’y a fait. Les tenants d’un droit d’administrer une mort compassionnelle semblent avoir finalement quasiment atteint leur cible.

Depuis 1986 et les premiers textes définissant et organisant les Soins Palliatifs en France, jusqu’à la récente loi Léonetti de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, en particulier au droit au refus d’un acharnement thérapeutique, le paysage a pourtant bien changé. S’est ainsi progressivement formalisé tout un réseau de concepts, de réflexions, d’outils techniques ou organisationnels, d’homme et de femmes, au service d’un regard et d’une volonté de témoigner que, jusqu’au bout de la vie, quiconque demeure le vivant, et non le mourant qu’on avait fait de lui."

Formulés en quelques mots, voilà nombre des enjeux de ces débats : la compassion comme critère, un regard, une volonté, une dignité, l’espoir que l’humanité, en tant de siècles de progrès ait trouvé un autre moyen d’assister l’homme en fin de vie qu’en lui administrant la mort.


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