La peine de mort est rétablie en France !
par Icks PEY
lundi 14 avril 2008
Le 9 avril dernier, la Cour d’assises de Pontoise, s’exprimant au nom du peuple français, a prononcé l’acquittement d’une personne qui avait assassiné une autre personne. Les faits n’étaient pas contestés : Mme Debaine a tué sa propre fille, gravement handicapée.
Cet acquittement pur et simple signifie une chose : Mme Debaine est innocente des faits qui lui étaient reprochés. Autrement dit, le fait d’administrer la mort à autrui n’est plus un crime. En tout cas, pas toujours.
Une confusion des mots entre l’indulgence et l’innocence
L’indulgence fait partie des décisions de justice. Les circonstances des événements, leur contexte, la réalité des choses peuvent justifier qu’un tribunal ou une Cour d’assises fasse preuve d’indulgence dans le prononcé d’une sanction. La justice n’est pas un robot, elle doit être souple et s’adapter aux situations - toujours compliquées - qui se présentent à elle.
Cependant, l’indulgence, tout comme le pardon, présuppose la reconnaissance de la culpabilité. Ces deux notions sont intimement liées. On ne peut pas être indulgent vis-à-vis d’un innocent, tout simplement car l’innocent n’a rien à se reprocher. L’indulgence n’a pas lieu d’être lorsqu’on fait face à quelqu’un auquel rien ne peut être reproché.
La Cour d’assises a choisi de prononcer un acquittement alors que l’avocat général sollicitait une peine de principe. Autrement dit, les jurés, qui, rappelons-le, s’expriment en notre nom à tous et non en leur nom personnel, ont déclaré l’auteur du crime innocente. L’avocat général proposait, lui, de poser la culpabilité de la personne concernée, mais de lui accorder les plus larges circonstances atténuantes. Cette différence n’est pas mineure et pose une inclinaison incroyablement dangereuse : la mort n’est pas toujours un acte criminel répréhensible.
L’homicide : un acte criminel répréhensible ?
Le fait d’administrer volontairement et légalement la mort à autrui fait partie de l’histoire de l’humanité. Mais la caractéristique de cette humanité, c’est que, petit à petit, l’administration volontaire et légale de la mort a reflué et s’est limitée, au moins dans nos sociétés occidentales européennes, à des situations exceptionnelles.
Il existe quelques situations où l’homicide n’était pas un crime. Je pense notamment à la légitime défense qui, sous réserve de respecter certaines conditions, notamment de proportionnalité, autorise la mise à mort volontaire d’autrui sans entacher l’innocence de celui qui la donne.
La situation légale de l’avortement est plus compliquée dans le sens où des désaccords profonds subsistent sur le point de savoir à partir de quand commence la vie et, donc, à partir de quand commence l’homicide.
Quant à l’euthanasie active, la France reconnaît une possibilité du laisser mourir qui vise à éviter l’acharnement thérapeutique, mais n’autorise pas la mise à mort volontaire, même sur demande du patient.
Une vérité qui dérange : tuer un handicapé n’est pas toujours un homicide puni par la loi
Le cas posé par la Cour d’assises de Pontoise du 9 avril dernier traite de l’homicide d’une personne handicapée. Nous aurions pu nous intéresser à la situation d’espèce du litige. Mais, c’est la Cour d’assises elle-même qui rend cette recherche inutile. Car il ne s’agit pas de savoir si les circonstances justifient une telle mise à mort. Les circonstances atténuantes relèvent de l’indulgence, de la compassion, de l’empathie, mais pas de l’innocence. L’innocence est une vérité qui est au-dessus des réalités d’un contexte. Nous sommes innocents car nous n’avons rien fait d’illégal et non parce que ce que nous avons fait était illégal, mais excusable.
L’acquittement prononcé le 9 avril dernier est une décision grave car il pose un principe d’innocence. Par le passé, les juridictions pénales avaient déjà eu à juger des homicides sur des personnes handicapées. Et, à de rares exceptions près, il avait pu arriver que, par indulgence, des peines de principe étaient prononcées. Il n’y a rien de choquant là-dedans car la notion de peine, même de principe, respecte le principe de la culpabilité. Autrement dit, la culpabilité de celui qui administre la mort à autrui était solennellement affirmée. Même si, dans les faits, la société reconnaissant une nécessaire indulgence, d’où une sanction allégée, voire symbolique.
En créant une jurisprudence qui pose un principe d’innocence dans une affaire d’homicide, la société violente brutalement le principe de base de toute société évoluée : la vie est sacrée et nul n’est autorisé à y porter atteinte. C’est un recul de plusieurs siècles qui s’opère. Cesare Beccaria qui faisait partie des pénalistes géniaux avait compris très tôt qu’une société se perd elle-même en ne respectant pas la vie, même des pires criminels. Qu’aurait-il pensé d’une Cour d’assises qui innocente celui qui tue son prochain ?
Mais cette affaire n’est pas fortuite et s’inscrit pleinement dans une tendance profonde de la société française qui consiste à désacraliser l’atteinte volontaire à la vie. Et il n’est pas totalement fortuit non plus que cet arrêt ait été prononcé quelques semaines après l’affaire de Chantal Sébire.
Une tendance profonde qui vise à déshumaniser la personne handicapée
Peu de gens savent que les fœtus présentant le risque d’un handicap ne bénéficiaient pas de la même protection légale contre l’avortement que les fœtus ne présentant pas ces risques. Sans que cela ne choque grand monde, la loi Veil organise une différence de protection entre les fœtus présumés sains et les autres sur le seul critère d’un risque de handicap grave.
Aujourd’hui, la réalité est là, crue : on peut administrer la mort à autrui et être reconnu innocent par les juridictions de ce pays lorsque la victime, même non consentante, est en situation de grave handicap.
Une évolution qui caractérise notre rapport au handicap
Loin de moi l’idée de culpabiliser davantage l’auteur des faits incriminés. Il est des situations individuelles que nul ne peut supporter seul. La vraie culpabilité pèse en réalité sur la société dans son ensemble qui n’est pas capable de porter une assistance efficace à des parents qui sont terriblement isolés face à des problématiques trop lourdes à porter. L’issue de cette affaire démontre les carences dramatiques de nos capacités d’accueil et de soins des personnes handicapées en France.
Le problème, ce sont les échos de cette affaire sur le sort des personnes handicapées en France à l’avenir.
Quelle suite ?
Plusieurs suites sont possibles. L’une d’elles consisterait à mieux accompagner les familles, les malades. Mieux les encadrer, les former. L’idéal serait de soigner les malades, lorsque c’est possible, ou, au moins, de les accompagner pour réduire les inconvénients de leur handicap. C’est ce que voulait Jérôme Lejeune lorsqu’il a découvert la trisomie 21 : dépister pour les soigner. Mais il a été dépossédé de sa découverte par ceux qui ont pensé : dépister pour mieux éliminer les malades. Ici se repose toute la polémique du Téléthon : les "bébéthons" n’ont jamais été ni malades ni guéris. On en les a pas soignés. On les a triés. Les autres embryons, on les a jetés.
Aujourd’hui, un pas supplémentaire est franchi : nous ne sommes plus dans le domaine de l’origine de la vie. Nous ne sommes plus dans le domaine de l’infiniment petit. Nous sommes dans le concret, dans le post-natal : une personne handicapée mérite-t-elle de vivre ? Avec ce nouvel arrêt, cela me semble de moins en moins sûr.
Puisque l’homicide d’une personne handicapée n’est plus un crime puni par la justice de ce pays, je pose la question de la survie des nouveaux-nés qui naissent avec un handicap. Ne faudrait-il pas prendre le sujet très en amont ? Puisque leur vie ne mérite pas d’être protégée, faut-il vraiment qu’elle soit vécue ? D’ailleurs, la veille de l’accouchement, ils pouvaient encore faire l’objet d’un avortement thérapeutique (IMG). Pourquoi pas donner l’autorisation de les tuer dans les premiers jours qui suivent la naissance ? Leur réalité biologique a-t-elle réellement été modifiée entre la veille de l’accouchement et le lendemain de l’accouchement ?
Puisque l’homicide d’une personne handicapée n’est plus toujours un crime et, face à la souffrance vécue par les handicapés elles-mêmes ou leur entourage, se pose la question de l’intérêt général face leur maintien en vie.
Un remake de 1984 ?
Petit à petit, la société glissera inexorablement vers une banalisation de la mort de ceux qui dérangent. Cela ne se fera pas en deux ans, en cinq ans, ou en dix ans... mais dans trente ans, dans quarante ans, bref, lorsque je serai un vieux sénile... qui sait si une loi "humaniste" et généreuse, une loi qui pourrait s’intituler "Loi de l’homicide compassionnel", n’aura pas prévu, pour mon bien, pour celui de mes enfants et aussi pour celui des finances publiques de mon pays, de me faire trépasser un peu plus rapidement que ce qui était prévu par la nature ?
Cette loi aurait l’immense mérite d’éviter à mes enfants de devoir se poser la question de me laisser en vie. Mettez-vous à leur place, conserver un fardeau comme celui d’une personne handicapée et/ou âgée, à l’heure de la mondialisation et de la paupérisation des masses, est-ce réellement raisonnable ?
Nous nous dirigeons tout droit vers une société d’élite où les fracassés de la vie n’ont plus leur place. Le culte de l’individualisme, le culte de l’argent et du profit, le culte du bébé parfait et de la vie bien rangée, le culte de la consommation, entre son écran plat et ses vacances dans un Club med. Voilà la société de dans quarante ans. Dans la concurrence mondialisée, la France doit s’affranchir des charges qui nuisent à sa survie. Tout comme Vercingétorix s’est débarrassé de tous les vieux, les femmes et les enfants pendant le siège d’Alésia, la France va chercher à se débarrasser de tous ceux qui nuisent à sa profitabilité, à son confort voire à sa survie. A quand une récompense pour celui qui débarrasse la société de tous ces nuisibles qui coûtent si cher à la collectivité ? A quand une prime pour celui qui dégommera un SDF ou une sénile qui se chie dessus pour paraphraser Clara Blanc, autre volontaire au suicide assisté ? A quand une société bien propre et bien rangée où seuls seront digne de vivre ceux qui ressemblent aux couvertures des magazines ?
J’exagère ? J’extrapole ? Rendez-vous dans quarante ans... si d’aventure la société vous aura jugé digne de rester vivant jusqu’alors...
Icks PEY