La pensée magique du bobo
par Antonio de Almadena
vendredi 27 novembre 2015
Que reste-t-il après les massacres de novembre ? Des incantations et des symboles, et qui n'ont même pas la beauté sauvage des cultes enracinés.
Le paradoxe les plus surprenant de notre civilisation moribonde est la persistance et même l'expansion d'une pensée magique à la Lévy-Bruhl, ou d'une toute-puissance des pensées à la Sigmund Freud, chez des gens dont aucun ne se sentirait concerné par le concept de « mentalité primitive ».
Et pourtant la petite bourgeoisie compassionnelle gauchiste, celle qui brandit des cœurs, qui pose des bougies, qui larmoie dès qu'on évoque la paix, l'amour et la tolérance (ces trois vertus théologales d'un monde sans dieux), cette petite oligarchie sentimentale, dis-je, est incomparablement plus primaire que n'importe quel « primitif ». Taper sur des casseroles et crier « vous n'aurez même pas ma haine », qu'est-ce que vous voulez que ça leur fasse aux djihadistes ? Pas plus que faire des câlins à des personnages déguisés en musulmans, pas plus que d'enlacer de gros nounours en peluche.
Quelques jours auparavant, il avait vraiment raison, ce petit garçon, de regarder son père avec tant d'incrédulité : « Tu crois vraiment qu'elles vont nous protéger les bougies, Papa ? » Et le père d’acquiescer... Bref : ce que Lévy-Bruhl attribuait aux primitifs, la mentalité magique, la croyance aux incantations et aux symboles pour faire advenir de vraies choses, nous l'avons au cœur de nos civilisations retombées en enfance, de cette enfance sénile des vieillards qui perdent la raison. Car le vrai primitif, qui force notre admiration tant il est enraciné, puisqu'il chasse, cueille, pêche, travaille, et connaît une infinité de choses naturelles, ce vrai primitif est en réalité plein de bon sens. Peut-être fait-il une danse de la pluie. Peut-être prie-t-il pour avoir du succès à la chasse. Mais, réaliste, il sait chasser, et il sait aussi qu'il ne pleut pas toujours, même après la danse.
Le bourgeois-bohème est, tout au contraire, un méta-primitif, un déraciné qui ne sait ni chasser, ni cueillir, ni pêcher, ni même couper un peu de bois avant de se confectionner une omelette au champignons sur le fourneau de sa grand-mère. J'ajoute qu'il ne sait pas danser ; s'agiter dans des concerts n'est pas danser ni flamenco ni même java musette. Chez le bobo, les incantations sont remplacés par des slogans absurdes, et les rites bien organisés, charnels, rythmiques, des tribus primitives, se transforment chez nous en rassemblements hétéroclites, où chacun y va de sa petite phrase sentimentaliste, bien pitoyable, croyant « faire barrage » au terrorisme.
La bobocratie, c'est la mentalité magique du primitif de Lévy-Bruhl (1856-1939) ou de Freud (1857-1939), mais sans l'enracinement. Point de robustes chasseurs-guerriers ni de sorciers musculaires au maquillage impressionnant ; chez nous, seulement des ectoplasmes, des façons de Peter Pan ou des manières de Harry Potter. Avec de pareils guerriers, dont la seule férocité réelle se déploie contre les mal-pensants, le monde libre peut dormir sur ses deux oreilles !
Du reste, rien de bien nouveau. Le communisme et le syndicalisme classiques, autrefois enracinés dans les rudesses de la classe ouvrière, ont muté dans les années soixante-dix en un gauchisme de moins en moins économique et de plus en plus culturel, toujours moins prolétarien, toujours plus embourgeoisé. Il ne reste du marxisme qu'une petite caste infantile et pétocharde, agitant ses symboles et ses gri-gri sans consistance, faussement cultivée, en réalité inculte, ne connaissant ni haute littérature ni science profonde, pas plus qu'elle n'est capable d'enduire un mur, de réparer une fuite, ou même de faire fonctionner une lampe à pétrole.
Je me souviens d'une initiative syndicale, il y a de cela une dizaine d'année, qui consistait à protester contre une réforme de l'éducation nationale, je ne sais plus laquelle, en se rassemblant tous les mercredis après-midi devant l’inspection académique, et en poussant des cris incohérents durant vingt minutes environ, sous les fenêtres désabusées de l'inspecteur qui n'en avait strictement rien à faire. L'initiative dura quelques semaines, les syndicalistes qui l'avaient lancée racontaient que nous commencions une véritable révolution militante indiquant des lendemains heureux. L'initiative, magique au sens de Lévy-Bruhl, infantile au sens de Freud, ne changea rien du tout. J'étais moi-même syndicaliste à l'époque ; j'avais déconseillé à toute ma section de perdre du temps à de pareilles sottises.
« Même pas peur ! » écrivent-ils. Slogans magiques. Du même acabit que les « ¡No pasarán ! » des gauchistes espagnols, finalement vaincus par Franco (ce qui n'est pas plus mal à mon avis). La magie du brave primitif enraciné consistait à mimer la réalité, sans plus, par des symboles. Et la réalité, il la connaissait ! La magie de nos primitifs occidentaux consiste à remplacer la réalité par des sophismes et des fantasmes, pour surtout ne rien voir, ne rien entendre, et ne rien dire, fût-ce en bavassant. Magie de la terre, des sources et des forêts, d'un côté ; magie hors-sol des bobos-bonobos transhumains de l'autre. Comment peut-on aimer les bobos ? Comment peut-on s'aimer bobo ?
Antonio de Almádena