La peur au ventre
par Argoul
mercredi 23 novembre 2005
Il faut faire attention de ne pas confondre « raciste » et « xénophobe ». Les mots ont un sens précis, autant les utiliser convenablement si l’on veut clairement s’exprimer, donc faire avancer le débat.
Le racisme, initialement attitude qui exalte « ceux qui viennent d’une même famille » (Littré), est devenu l’affirmation d’une supériorité d’un ensemble racial sur un autre, l’affirmation d’une « hiérarchie des races, qui conclut à la nécessité de préserver la race supérieure de tout croisement » (Petit Robert 1987). Est-ce son croisement phonétique avec « racaille » qui le fait utiliser si souvent ces temps-ci ? Il est édifiant d’apprendre que racaille vient d’un mot syriaque, « raca », présent dans l’Évangile (Littré). Les Syriens antiques désignaient ainsi « la partie la plus vile de la populace » ?
En revanche, la xénophobie ne fait pas une essence de la différence, elle n’est que peur de l’autre. Cette peur s’atténue avec le contact, elle disparaît même lorsqu’on se connaît. C’est une attitude synonyme de chauvinisme, le chauvin étant un soldat-type du Premier Empire, « patriote fanatique et belliqueux » (Petit Robert). Les Chinois sont patriotes, comme les Américains, les Algériens, les Turcs, les Néo-Zélandais, les Anglais et les autres. Il suffit de voir leurs supporters durant les matchs de foot ! Comme beaucoup de peuples, les Français sont xénophobes quand ils ont peur. Peur de perdre leur identité dans une Europe aux frontières floues, peur de perdre leurs repères dans le mélange des religions et des coutumes d’ailleurs qui s’imposent à eux sans qu’ils aient le temps ni le loisir de les apprivoiser, peur de perdre leur légitimité face à une jeunesse vigoureuse, alors que les Français vieillissent, peur du chômage qui pousse à la concurrence dans les emplois, et ainsi de suite. Peur, surtout, de ne pas être « gouvernés », d’où cet appel pathétique à « l’État » (comme à Papa), au moment où il est laissé à l’abandon par son principal locataire. Celui qui attend 11 jours pour se réveiller lorsque la banlieue flambe. Celui qui fait des discours justes mais s’empresse de ne jamais les mettre en actes.
Il est vrai que, depuis une dizaine d’années, le repli de chacun sur soi est un fait qui se manifeste partout dans le monde. Il faut l’analyser. Il est dû, à mon avis, aux mutations brutales et rapides qui ont lieu dans les rapports de force mondiaux, matérialisés surtout (mais pas seulement) dans l’économie, avec la chute du bloc soviétique. L’émergence de la Chine dans le système capitaliste est un gros morceau, le choc du 11 septembre aux États-Unis est du jamais vu, la guerre en Irak a déstabilisé la région et menace le pétrole... Un sévère ralentissement économique après la bulle internet, la nouveauté qui bouleverse les idéologies d’avant-hier portées par des hommes d’hier, deux gros pays qui commencent à se manifester (Chine, Inde), il n’en faut pas plus pour engendrer la crainte chez tout le monde - donc le repli sur soi, la régression de la pensée, l’enfermement.
Cela, dans le temps même où la modernité n’est plus optimiste. Le sida, la vache folle, les OGM, le nucléaire, le clonage, la grippe aviaire, sont autant de remises en cause de ce qu’on croyait savoir. Ce choc économique, ce nouveau repli nationaliste, cette crainte de la science, tout cela joue - mais le pire me paraît être le vieillissement des pays développés. L’âge rend frileux, et les soixante-huitards, si insouciants en leur jeunesse, prêts à toutes les folies et à toutes les innovations, sont devenus des vieux - soucieux de confort, de retraite, de "planques", lassés de tout et surtout de penser. Ils remâchent les vieux slogans, ils n’inventent plus. Aux États-Unis, ils sont néo-conservateurs et intégristes chrétiens, en France, ils cessent de lire Libération et Le Monde et sacrifient aux slogans des partis qui ne gouvernent jamais - ils ne veulent surtout pas penser l’avenir.
Et c’est probablement là le pire. Il n’y a pas grand chose à faire sinon, pour nous, de la pédagogie ; pour les hommes politiques, il y a à rassurer, à montrer qu’il y a un pilote dans l’avion ; pour les bâtisseurs de l’Europe, à montrer que l’identité n’est pas en cause et qu’on va la réaffirmer. Ensuite, mais ensuite seulement, une fois cette peur de disparaître atténuée, on pourra apprivoiser, réapprendre à accueillir l’autre. Il faut que chacun fasse des efforts. Ce n’est pas en collant des étiquettes infâmantes qu’on avancera.