La qualité de vie ne progresse plus. L’Occident sera-t-il un naufrage ?

par Bernard Dugué
mardi 30 décembre 2008

La récession prévue pour 2009 ne sera pas suffisante pour susciter une prise de conscience sur la production des biens et services, les règles de fonctionnement technocratique, les répartitions et la qualité de vie. Pourtant, l’ère du progrès matériel comme ressort de la qualité de vie est sans doute derrière nous. Voici quelques brèves notes pour faire réfléchir.

Pour commencer, démystifions la comparaison dans l’absolu des revenus. L’opinion, lorsqu’on lui met en face des yeux les chiffres des salaires français et chinois, pense inévitablement que l’ouvrier chinois est un pauvre misérable. Or, les chiffres sont trompeurs. Tout simplement parce qu’un salaire chinois sert à acheter des biens et services au prix du marché en Chine, et comme les prix sont peu élevés, un ouvrier chinois dont le salaire est cinq fois inférieur à celui de son homologue européen n’aura pas un niveau de vie cinq fois inférieur. La vie est moins chère en Chine et le raisonnement vaut également pour beaucoup de pays en développement. A l’inverse, un ouvrier irlandais aura, à salaire égal, un niveau de vie matériel un peu inférieur à celui d’un Français, parce que la vie est plus chère en Irlande.


Poursuivons par une anecdote. C’était je crois en 1981. J’avais pris un jeune en stop et bien évidemment nous avons causé. Un souvenir m’a marqué. Il me parla de ses parents, père technicien, mère ouvrière ou l’inverse, peu importe. Ils étaient propriétaires d’un logement à Saint Etienne mais aussi d’un petit deux pièces à la Grande Motte, station balnéaire qui est à Saint Etienne ce que Narbonne est à Toulouse, Deauville à Paris ou Arcachon à Bordeaux (mais tout de même à 4 heures de route) C’était cela les Trente Glorieuses, la possibilité pour un ménage moyen d’accéder à un niveau de vie conséquent. Sans doute, les constructions étaient peu chères, les salaires avaient augmenté, mais les gens vivaient de mieux en mieux. Ce processus s’est poursuivi pendant le premier septennat de Mitterrand, mais le délestage social avait commencé et les banlieues s’enfonçaient dans la pauvreté et le chômage.


Le progrès a quand même permis une élévation du niveau de vie depuis les Trente Glorieuses. Mais le point d’infléchissement est en passe d’être franchi. Disons pour être simple que la croissance modeste mais soutenue depuis la dernière récession, disons depuis 1994, n’a pas engendré une élévation de la qualité de vie. Quant au niveau de vie, il n’est pas forcément lié à la qualité de vie. En vérité, il y a trois critères. Le niveau de vie rationnellement chiffré avec les calculs économiques (c’est le pouvoir d’achat) ; le niveau de vie réel, déterminé qualitativement et quantitativement par les biens-services utilisés après achat ; et enfin, la qualité de vie, autrement dit, le bien-être procuré par l’usage des biens-services. On comprend bien que rien n’est tangible. Que la qualité de vie n’est pas causalement liée au niveau de vie. On peut être cadre à la Défense, habiter dans une zone pavillonnaire de Cergy, et disposer d’une qualité de vie inférieure à celle d’un technicien habitant une localité des Landes ou des Charente. 


Le pilier de café philosophique saura disserter sur le fait que tout est relatif. Maintenant, une analyse disons proche de celle menée par la prospective, permettra de dessiner des traits et autres arguments rationnels montrant que le niveau de vie stagne, même en cas de croissance. Quelques exemples. La téléphonie mobile, l’Internet, voilà des dépenses nouvelles devenues incompressibles pour les ménages. Le Net apporte un plus, c’est certain, mais les mobiles, ça se discute. Etre joint à tout moment et tout lieu n’apporte pas une qualité de vie supplémentaire. C’est juste utile pour certaines professions. Les dépenses de loyer ont crû à un taux bien supérieur à l’inflation. Des millions de Français n’ont pas accès au progrès parce que leur budget est amputé d’un loyer. La proportion de Français partant en vacances n’a plus augmenté depuis des années. Le prix des hôtels et des gîtes a augmenté. Beaucoup de choses du reste, en raison des normes bureaucratiques édictées par Bruxelles. Contrôle des armoires réfrigérées, par exemple. Pourtant, les gens allaient au marché ou chez l’épicier il y a trente ans sans courir le risque de s’intoxiquer.


Le cas de l’automobile est exemplaire. Ce véhicule fait partie de notre qualité de vie. Il permet de se déplacer librement. L’automobile est devenue accessible au plus grand nombre mais depuis quelques années, le budget nécessaire pour disposer d’un véhicule est en augmentation. Le prix des voitures n’a pas baissé parce que des équipements se sont surajoutés d’année en année. Air bag, électronique, ABS, climatisation. Il n’est pas certain que ce soit un plus. L’air bag est sans conteste un élément de sécurité, et l’autoradio une nécessité mais le reste… Contrôle technique tous les deux ans, réparations imposées sans être forcément nécessaires à la sécurité, assurance en augmentation (mais moins ces dernières années) et surtout, l’essence à la pompe et le tarif des interventions mécaniques dont l’augmentation a été supérieure à l’inflation. Bref, cet instrument indispensable à la qualité de vie ampute le budget.


Les dépenses de santé. Là aussi, on touche à un élément déterminant la qualité de vie, voire même l’allongement de la vie, bien que la fin de vie soit devenue un fardeau pour certains. Les dépenses de santé amputent le budget. Elles sont nécessaires mais une certaine vulgate socialisante nous incline à accepter qu’on dépense de plus en plus pour les soins parce que c’est nécessaire. Et là, rien n’est sûr car la gabegie du système de santé est présente, les abus biens connus. Et de plus, la folie bureaucratique s’est emparée du système hospitalier si bien que les personnels de santé passent une partie de leur temps à tout consigner et tout enregistrer. Et pourquoi ? Pour satisfaire l’appétit de chiffres des gestionnaires et surtout se prémunir contre un procès en cas d’erreur. Il faut dire que les usagers sont de plus en plus persuadés que le système doit être infaillible et pas plus tard que hier, l’épouse de la victime d’un arrêt cardiaque porte plainte pour mise en danger de la vie d’autrui parce qu’il y a eu un dysfonctionnement de la prise en charge.


Les collectivités locales ne sont pas en reste avec la ponction fiscale pour des équipements et des dépenses de fonctionnement pas toujours justifiées. La politique de proximité, c’est comme la consommation de masse, c’est le superflu et l’accessoire fourni par la bureaucratie locale et durable, comme le développement du même nom.


Le vieillissement de la population va peser très lourd sur un système de santé qui de plus, sait s’y prendre pour se mettre les barres bureaucratiques dans les roues. Le système des retraites, au vu des évolutions, va imploser. Il ne sera pas possible de maintenir l’indexation des retraites sur l’inflation au vu de l’allongement de la durée de vie qui de plus, concerne les professions supérieures, celles dont les retraites sont les plus élevées. Qui va payer dans dix ans ? Les entrants sur le marché du travail seront-ils prêts à amputer leur revenu pour financer les anciens ? Le processus a déjà commencé, en Grèce, on les appelle les 600 euros, en Espagne, les 1000 euros, et bientôt ce sera pire. L’avenir de notre jeunesse se résume en une formule, « vie de merde » pour la majorité et des places correctes pour une minorité.


Il est certain que les écrans plats vont baisser, que le PC est accessible pratiquement à tous, y compris l’Internet, que l’agriculture subventionnée et industrielle permet de bouffer à tous, moyennant 1 euro la boîte d’un kilo de petits pois. Mais la qualité ne vie ne va plus augmenter, sauf pour une minorité et ce sera le principal défi à relever que de renverser la tendance. Ce ne sont pas les petits moyens de la réforme, y compris celle de Sarkozy, qui vont changer la donne. Rien n’est déterminé. La pénurie d’élévation de la qualité de vie peut être vécu de manière insurrectionnelle par la population, ou de manière résiliente, ou encore sur un mode philosophique engageant une politique de l’intelligence. Dire que nos dirigeants en sont à croire en un salut par l’économie de la connaissance. Ils ne voient pas que ce n’est pas un salut mais une manière de pallier artificiellement à une crise de civilisation. L’obstacle au progrès, c’est la bêtise humaine, et la solution, c’est l’intelligence humaine appliquée aux règles de fonctionnement de la société, le tout accompagné d’un éveil spirituel généralisé, seul moyen de faire un saut dans la qualité de vie.

 


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