La régularisation de tous les sans-papiers : une utopie ?

par Paul Villach
mercredi 9 décembre 2009

 C’est cyclique. La question de la régularisation des sans-papiers se repose une nouvelle fois. L’immigration clandestine paraît impossible à maîtriser. On parle à nouveau de plusieurs centaines de milliers de personnes qui, entrés irrégulièrement, vivraient en France, et qui, en partie travailleraient sans titre régulier de séjour. Quelle attitude avoir ? Tous les régulariser, ou le faire cas par cas ?

 
Générosité contre égoïsme ?
 
 Les partisans de la première solution afficheraient-ils en bandoulière leur générosité tandis que ceux de la seconde, leur égoïsme ? L’argument des premiers est d’insister sur le fait que beaucoup d’immigrés clandestins travaillent, qu’ils paient des impôts prélevés sur leur salaire et qu’ils contribuent donc à la création de la richesse du pays. Les seconds dénoncent, au contraire, « l’appel d’air » qu’une régularisation massive constitue à chaque fois pour l’immigration clandestine. Les faits leur donnent raison : l’immigré clandestin peut dans ce cas de figure nourrir l’espoir de finir par être régularisé un jour ou l’autre.
 
Un leurre d’appel humanitaire cynique
 
Ce type de problème est un exemple du danger auquel expose le cynisme du leurre d’appel humanitaire pour peu que la régularisation de tous les sans-papiers ne soit pas mise hors-contexte.
 
L’aide à personne en danger ou dans la nécessité est, sans doute, un réflexe que tout groupe social inculque à ses membres : le faible, que chacun peut devenir lui même un jour, doit être protégé. Par réciprocité, le sauveteur doit pouvoir compter en retour sur le même secours de celui qu’il aura secouru.
 
Mais, dans le cas de l’immigration clandestine, est-on dans la situation d’un appel humanitaire ou d’un leurre d’appel humanitaire  ? Quelle question ! s’indigneront les humanitaires. C’est vrai, l’immigré clandestin est en détresse et son appel humanitaire n’est pas un leurre. En revanche, pourquoi prend-il tant de risques pour venir en France ? Parce qu’il croit pouvoir y trouver des conditions de vie et d’abord de travail meilleures que celles de son pays d’origine. Il sait par ouï-dire que des entreprises françaises ne sont pas regardantes et embauchent des immigrés clandestins.
 
 Et c’est ici que le leurre d’appel humanitaire apparaît. Agité à leur insu par les partisans de la régularisation massive, il ne doit pas déplaire aux entreprises qui en profitent. L’immigré clandestin est « une variable d’ajustement salarial », selon l’appellation économique cynique en vogue, pour accroître frauduleusement la marge de l’entreprise. C’est l’esclave de rêve pour le patron sans scrupule : il accepte un salaire minimum, des conditions de travail déplorables et une soumission maximale à l’autorité parce qu’il est tenu par un chantage : c’est ça ou dehors ! Et les dégâts ne s’arrêtent pas là. Ils font boule de neige pour le malheur de tous les salariés réguliers, nationaux ou non, dont les conditions de travail s’alignent tendanciellement sur les plus précaires.  
 
Le témoignage d’un étudiant 
 
Ce témoignage d’un étudiant suffit à en prendre la mesure. Afin d’améliorer son ordinaire au cours de l’année universitaire, il travaille pendant les vacances. Il lui est ainsi arrivé d’être embauché par un arboriculteur du sud de la France pour un travail saisonnier de cueillette des pêches. Il était payé au SMIC avec primes possibles selon le rendement. Le deuxième jour, le patron qui se promenait entre les rangées d’arbres pour surveiller ses ouvriers sur leur escabeau, s’est arrêté à sa hauteur : « Dis donc, Patrick, lui a-t-il lancé en rigolant, tu dors ou quoi ? Regarde Omar, Ahmed et Youssef ! Ils en sont à leur quatrième caisse chacun ! Et toi, t’as pas encore fini la première ! Réveille-toi !  »
 
La majorité des ouvriers saisonniers étaient, en effet, marocains. Ils venaient juste en saison pour la cueillette des fruits ; ils logeaient tous entassés dans une masure en bordure de vergers. Patrick, lui, avait pourtant l’impression de ne pas chômer. Mais il avait beau s’activer, il ne pouvait pas suivre le rythme imposé par les saisonniers marocains. C’est alors que Patrick a compris que la fameuse « concurrence libre et non faussée  » était déloyale. Les malheureux marocains, payés au noir, n’avaient pas d’autre argument pour être embauchés et gardés par le patron que de travailler comme des bêtes à une cadence infernale.
 
Une concurrence déloyale entre salariés
 
Il est là, le leurre d’appel humanitaire  : la misère de l’immigré clandestin est utilisée par des employeurs pour accroître la dégradation des conditions de travail de tous les salariés réguliers, nationaux ou non. Il n’y a plus de Code du travail qui tienne, ni de conditions de travail ni de salaires décents.
 
On entend bien la réplique des généreux humanitaires : raison de plus pour sortir de la précarité les immigrés clandestins ! Ils ne seront plus soumis au chantage où les enferme l’absence de papiers réguliers. L’argument serait recevable si leur place n’était pas aussitôt prise par de nouveaux arrivants clandestinement introduits et recherchés par ces mêmes entreprises. Combien y a-t-il d’inspecteurs du travail pour aller vérifier sur place et dissuader « les négriers » d’aujourd’hui de profiter de la misère du monde ?
 
On se souvient du mot de Michel Rocard prononcé en 1990, souvent malhonnêtement réduit à sa première proposition : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part. » On ne saurait contredire. Mais encore faut-il veiller à ce que cette part de la misère du monde accueillie ne soit pas utilisée comme un leurre d’appel humanitaire pour dégrader les conditions de travail de tous et étendre la misère là où elle n’était pas. Paul Villach
 
 

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