« La République de la malbouffe » : Décryptage par un aubergiste de campagne

par archestratos
mardi 7 février 2012

De la manière dont Xavier DENAMUR présentait un peu partout son film, et à en croire son titre, je m’attendais à voir un documentaire m’expliquant ce qu’est la malbouffe dans la restauration, et bien au-delà dans toute la république ! Ce sont des questions auxquelles j’ai souvent réfléchi, et comme il peut m’arriver parfois d’être d’accord avec mon collègue parisien, je pensais pouvoir en faire rapidement la critique, au sens noble du terme. Mais je n’imaginais pas la démesure propagandiste de l’œuvre… sans compter un côté confus qui n’a d’égal que la pensée brouillonne de Xavier DENAMUR. Le moindre des mérites du réalisateur Jacques GOLDSTEIN n’a-t’il pas été d’essayer de remettre de l’ordre dans le scénario concocté par le véritable auteur et producteur ? C’a été peine perdue, tant les paradoxes, les non-dits et les demi mensonges sont criards aux yeux de celui qui connaît un minimum le sujet de l’intérieur.

Le commentateur nous assène rapidement le postulat qui doit couper court au doute : « La réussite exceptionnelle du citoyen-entrepreneur Xavier DENAMUR confère un poids particulier à ses propos ». Permettez-moi de m’interroger : le restaurateur du Marais a-t-il révolutionné qualitativement, dans l’assiette, le modèle de la brasserie parisienne ? Je ne l’ai pas entendu dire par ailleurs. Sa réussite tient plutôt, semble-t’il, à avoir été un homme d’affaire avisé, au bon endroit, et au bon moment. Et gagner jusqu’à 800 000 euros par an le place à mes yeux au niveau des fondateurs des petits groupes, qui sont tant vilipendés dans le film !

Si ce long métrage ne manque pas d’intervenants, en revanche, seuls deux professionnels sont censés figurer la base de la profession. à savoir, deux restaurateurs branchés d’Aigues-Mortes (50 euros de ticket moyen) critiquant leurs collègues sur le contenu de l’assiette, et le patron d’une brasserie de luxe de l’Île de la Cité qui se plaint que le nouveaux taux de TVA ne lui aie pas ramené plus de clients. Représentativité discutable ! Devant la caméra aucun des trois ne critique la baisse de la TVA, le sujet essentiel du film durant les quarante-cinq minutes qui suivent. Il n’y a cependant pas de longueurs, tant le réalisateur maîtrise l’art du montage rythmé appliqué à différents discours et scènes, qui vont du cocasse au sérieux.

Voici mon analyse concernant la forme : Pour ce qui est des politiques, on nous présente en vrac deux ministres empruntés et maladroits, car en représentation dans des restaurants bondés à l’heure du repas de midi. Un député de droite (nouveau centre et non UMP) qui sourit béatement sans mot dire, et une députée socialiste, avec une allure très érudite derrière son bureau, qui refait l’histoire à sa façon. Du côté des experts, disons plutôt pour certains, ceux qui ont l’air de savoir, – le cinéaste ne pouvait pas manquer le pain béni qu’est pour sa profession, Jacques Borel, 85 ans au printemps prochain. La répartie et la mégalomanie toujours vive, symbole vivant et honni de la restauration rapide des années 70, une faillite aux Etats-Unis et quelques belles inventions, comme le Ticket Restaurant®. Pour les participants favorables à la baisse de la TVA également, Bernard BOUTBOUL, toujours un peu suffisant, mais que l’on réduit un peu trop rapidement au rôle ou à la fonction de directeur de cabinet de marketing. De l’autre côté, un économiste dont on ne précise pas qu’il est encarté au parti socialiste et… un marchand de glace.

Sur le fond, l’aspect brouillon est corrigé par la voix off qui martèle ce qu’il y a lieu de retenir. Pour cette première partie, au cas où certains n’auraient pas compris, des phrases courtes, façon dazibao, s’inscrivent sur l’écran : lobby puissant, grand groupe, cadeau fiscal, etc.

On oublie de nous dire que, alors qu’elle était ministre avant 2002, Madame AUBRY elle-même, avait commencé à travailler avec André DAGUIN et l’UMIH a un contrat négocié en contrepartie de la baisse de la TVA promise par le Parti Socialiste, – comme par presque tous les partis politiques, du PC jusqu’au FN. En faisant croire que c’est le lobbying des grands groupes qui a commencé à revendiquer cette baisse, on nous ment car ce sont les indépendants qui ont mené, et eux seuls, le combat dans la rue. Si Jacques BOREL, éternel lobbyiste, n’avait pas existé, il n’y aurait pas eu de club TVA ! Et c’est parce que, quelque part, ils lui doivent beaucoup que les groupes ont craché au bassinet.

Alors que l’on veut passer pour sérieux, c’est une erreur très grave lorsque Monsieur DENAMUR affirme (après Sarkozy) que l’Allemagne ainsi que l’Espagne avaient baissé le taux de la TVA sur la restauration, avant de le relever. Ils ont juste relevé le taux plein pour l’un et le taux réduit pour l’autre.

Une pensée paradoxale, c’est celle du marchand de glace, qui affirme entendre tout les jours les restaurateurs lui dire : – que sans la baisse de la TVA ils seraient morts, – qu’ils réussissent maintenant à payer leurs fournisseurs, – et que le banquier leur téléphone moins… le glacier continue en affirmant que c’est un cadeau fiscal, cadeau qui selon lui ne se justifie pas plus que celui que l’on ferait à un marchand de luge par un hiver sans neige ! L’enjeu social serait-il le même ?

Dans la partie suivante du film, les négociations sociales, on monte d’un cran dans la dramaturgie. Mais aussi dans ce qu’il faut bien appeler une grossière manipulation, et je crains que la lecture de mon billet ne soit fastidieuse si je dois les dénoncer toutes.

Ainsi, Xavier DENAMUR, syndiqué à l’UMIH, qui explique dans les coulisses d’une émission de télévision à un André DAGUIN désarçonné, que les salaires sont entièrement libres en France, et que les employeurs ne sont pas tenus par les discussions de branche, va ensuite prêter main-forte à la CGT et à FO. Les voir se congratuler dans son restaurant, ou l’échelle des salaires va de 1 à 40, laisse perplexe…

Ensuite, on nous montre les coulisses des négociations, et plus largement les représentants salariés, qui sont bien dans leurs rôles quant ils font monter la sauce par des propos scandalisés et définitifs. Le patronat ne s’exprime que par petites touches, et c’est la voix off qui nous explique de façon caricaturale sa position sur des images habilement choisies. Les dysfonctionnements de l’UMIH à cette période, « certainement une histoire de gros sous » nous dit le commentaire, sont l’occasion d’en faire la cible principale. L’expert qui va nous expliquer de quoi il retourne est cette fois un photographe spécialisé dans la restauration ! Il explique la mainmise – supposée, du groupe ACCOR sur l’UMIH, par le biais du groupement national des chaînes. De là découlerait l’éviction de Madame PUJOL et l’opposition de l’UMIH a toutes avancées sociales dans le but de garantir de hauts revenus aux fonds de pension propriétaire des chaînes. Il faut savoir que Madame PUJOL est propriétaire, entre autres, du Mercure de Carcassonne qui est une franchise d’ACCOR et qu’elle fut membre du conseil d’administration de Best Western France. Le photographe, lui, a signé les clichés visibles sur le net du Mercure de l’ancienne Présidente de l’UMIH…

Je me suis battu avec l’UMIH pour la baisse de la TVA afin que les entreprises patrimoniales et indépendantes ne disparaissent pas au profit des grands groupes et de leur logique ultra libérale de compression des salaires et de la qualité, logique dont le but est d’augmenter les profits des actionnaires. Or le film veut faire passer les syndicats patronaux, et notamment l’UMIH, pour vendus à ces groupes tentaculaires. Je m’en excuse auprès de mes lecteurs, et c’est un peu compliqué, mais je dois rétablir quelques vérités. Le GNC associé à l’UMIH est formé de chaînes hôtelières et non de restauration. Le groupe ACCOR, gros morceau du GNC, est maintenant majoritairement constitué par des franchisés propriétaires de leurs établissements comme Madame PUJOL. Les enseignes bien connues de restaurants présents dans le documentaire ont adhéré longtemps au SYNHORCAT (syndicat actuel de l’auteur) avant de se regrouper au sein du syndicat national de la restauration thématique et commerciale : le film n’en parle pas. Mais Monsieur DENAMUR affirme sans rire, que bien que minoritaires en nombre d’entreprises, ils représentent déjà les 2/3 du chiffre d’affaire global ! On n’en est pas à une approximation près, tant le but est de décrédibiliser la totalité de la représentation syndicale patronale qui trahirait sa base. Les syndicats de salariés se sont réjoui du résultat final des négociations et sont pour le maintien de la TVA réduite, mais bien sûr, cela est escamoté car cadrant mal avec le scénario. Ce chapitre s’appelle d’ailleurs « la ligne rouge ». Elle aurait été franchie par Nicolas SARKOZY que l’on retrouve grimaçant en gimmick tout au long du film, au moment ou il évoque « les gens qui travaillent dur, en famille, sans compter leurs heures, qui jouent pendant toutes leurs vies leurs retraites sur la vente de leur fond de commerce ». DENAMUR enchaîne : « ce discours, ça craint, et il est totalement déconnecté de toute réalité économique et sociale » Le dazibao affiche : Trouver les mots pour le bistrot du coin et servir ceux qui dînent au Fouquet’s. Je ne suis pas dupe de la compassion du président, pour lequel je n’ai pas voté, mais je laisse les petits restaurateurs seuls juges de leur réalité économique. La presse également est accusée d’être aux ordres, pour l’avoir peu invité, et fait les louanges de la baisse de la TVA. Quand on se rappelle les campagnes menées contre la mesure, cela fait sourire ! C’est pourquoi j’affirme que les journalistes qui font maintenant la promotion de la sortie du film n’ont pas été beaucoup plus loin que la lecture du dossier de presse.

Le restaurateur parisien se donne bien du mal pour envoyer plus de mille invitations à ses vrais états généraux de la restauration, malheureusement la salle surdimensionnée donne une ambiance monacale. On nous montre une avocate affirmer déclarant que le restaurateur doit être « le premier agent de santé publique en France » Quelle responsabilité ! Et l’agriculture, l’école, la famille, la grande distribution ? Que vont devenir les millions de gens qui ne vont jamais au restaurant ? Plus loin à l’hôpital, un nutritionniste nous explique, à juste titre, le mal qu’il pense de la nourriture industrielle. En oubliant de nous dire que lui-même a collaboré avec une multinationale américaine de l’agroalimentaire.

Comme si la malbouffe était une conséquence de la baisse de la TVA, il faut attendre les 20 dernières minutes pour commencer à en parler. Cela passe par Xavier DENAMUR visitant un mini-salon de fournisseurs agroalimentaires de la restauration. Là encore, le réalisateur a repéré le bon client : un commercial caricatural qui a manifestement abusé du champagne. On voit notre Michael MOORE au petit pied s’étonner devant de la viande de bœuf crue sous vide ; je me demande comment elle arrive dans ses cuisines, de France mais aussi d’Allemagne, des Pays Bas et du Luxembourg, comme c’est écrit dans sa salle de restaurant. Bonjour la précision pour la transparence et surtout pour le marché de proximité, tant vanté par ailleurs ! Après un bol d’air plaisant dans deux fermes, on va nous servir l’épisode sans lequel un reportage avec Xavier DENAMUR ne saurait exister : la comparaison des confits de canard, qui démontre l’ignorance culinaire du tenancier de la rue Vieille du Temple. La cuisson dans la graisse après salage est un mode de conservation en soi et ce n’est jamais un produit frais, ce n’est pas un geste de cuisinier, celui-ci commence au moment de le servir. Est-il reproché aux restaurants scandinaves de ne pas faire eux-mêmes leurs stockfishs ? De chez les meilleurs producteurs de foie gras, chacun rapporte des bocaux ou des boites de confit, ce qui est plus pratique pour le transport, mais qui n’est pas effectivement le meilleur des conditionnements. En effet, pour arriver à la stérilisation, il faut chauffer un petit peu trop : cela donne un produit plus cuit, d’où les os se défont plus facilement. La cuisson sous vide avec une DLC plus courte garde, comme on l’a vu, une meilleure intégrité au produit car on n’est pas obligé de chauffer autant. Ce que nos compères appellent « de l’eau » est l’exsudat qui sort de toute cuisson de viande en cuisson traditionnelle, et qui se retrouve au fond de la gamelle, ou dans la boîte si c’est une cuisson en boîte. Tant mieux si le chef des philosophes fabrique lui-même ses confits, mais faire de ce produit que vendent des milliers de petit producteurs, le symbole de la mal bouffe est une stupidité.

Monsieur DENAMUR ne traite pas du sujet annoncé dans le titre, beaucoup plus large et dramatique que l’épiphénomène qu’est l’introduction de l’agroalimentaire dans la restauration. Aucune autre solution n’est évoquée que le retour de la TVA à 19.6 %. Mais sans nous expliquer le moins du monde les mécanismes qui enclencheraient de ce fait un recul de la malbouffe. En fait, et comme nous le dit le commentaire dès le début du film « Xavier DENAMUR s’est lancé dans un combat singulier : remettre en cause une des décisions phare du sarkozysme économique ». Ce film est un brûlot militant qui n’amène à aucun vrai débat ; pour toucher sa cible, il fait feux de tout bois, travestit la vérité, énonce des chiffres faux ou tronqués, désigne des boucs émissaires et n’apporte aucune solution. Je doute beaucoup que le taux de TVA change après l’alternance probable. J’ose espérer que dans ce cas, Monsieur DENAMUR refusera la légion d’honneur que le nouveau pouvoir voudra lui remettre en remerciement des services rendus.


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