La réussite sociale par la loterie, une réactualisation du mythe du football salvateur

par wieeinstlilimarleen
jeudi 2 novembre 2006

La faute à Zinédine Zidane, il semblerait que le mythe du football rédempteur, salvateur, apparaisse à présent légèrement suranné. En effet, mal nous en a pris de croire que, devenu un héros national, le footballeur pouvait aussi être un héraut national. Le football peut faire la fortune d’un homme, un véritable monte-charge social, il ne pacifie pas nécessairement.

On avait assimilé notre pays à une équipe sportive à l’heure des lauriers, on n’avait pas vu venir la suite, on n’avait pas envisagé les affres de la défaite ni, pis encore, les affres de la défaite infligée par des fautes de comportement de nos sportifs. Pourtant, Adolf Hitler aurait pu nous le dire, il peut s’avérer cuisant de donner à une joute sportive un poids symbolique trop fort (j’apprends à l’occasion que, apparemment, Jesse Owens contredirait l’anecdote célèbre dans son autobiographie).

Certes, le mythe de la grande loterie du football n’est pas tout à fait mort. S’il ne s’est pas éteint avec Diego Maradona, il ne trépassera certes pas avec Zinédine Zidane. Il semble néanmoins bien ankylosé.

Cela crée un vide.

Cela crée un vide pour ceux qui, à défaut de réfléchir à une France bonne pour tous les Français, élaborent une France bonne pour une poignée, ceci d’autant plus qu’ils fantasment sur le rêve nord-américain sans trop oser penser à l’inégalité sociale nord-américaine qui ne fait pas que des envieux.

Il est évidemment bien plus complexe de tenter d’élever une population dans son ensemble que de prélever quelques veinards, talentueux mais veinards, et de leur offrir un billet gratuit vers les cimes. Il est évidemment plus complexe de garantir à tous les citoyens méritants une vie digne et confortable que d’offrir la luxure et l’excès à quelques footballeurs.

Il importe donc de réactualiser le concept de l’ascenseur social par le football, un ascenseur qui monte fabuleusement haut, bien plus que nécessaire, mais qui ne peut transporter qu’un nombre infime de passagers.

On apprend donc que « c’est à l’école que se gagnera la guerre contre la délinquance des mineurs ». Non pas par ce qu’on fera pour tous les écoliers, non, bien sûr que non. Non, par ce qu’on fera pour une poignée. « Dans un souci de prévention, il faudrait prévoir une discrimination positive permettant aux meilleurs élèves d’un établissement d’obtenir une bourse fournie par une grande entreprise française, pour permettre à ces élèves de continuer leurs études dans des conditions optimales », nous dit Arno Klarsfeld. L’astucieux visionnaire insiste : « Il faudrait aussi, dès le début de l’école primaire, repérer dans les quartiers défavorisés les enfants doués et leur fournir les moyens d’exprimer leurs facilités. »

Hier, on faisait de trois Arabes et deux noirs des footballeurs et on était content de la France. Aujourd’hui, on veut faire de trois Arabes et de deux noirs des polytechniciens ou des énarques. Pense-t-on que ceux qui incendient des bus, écoles (etc., je vous laisse le soin de compléter une liste qui ne pourra jamais être exhaustive) sont des énarques refoulés ? Azouz Begag, paraît-il, est « las de passer pour "l’Arabe de service" ». L’Arabe de service était hier footballeur, qu’est-il aujourd’hui, et que sera-t-il demain ? Faut-il encore que nous progressions dans cette voie ?

Quand offrirons-nous à tous un droit à l’indifférence, le droit d’exister sans qu’un genre ethnique soit considéré comme un critère, dans un sens ou dans un autre ? Qui cause le plus de torts aux jeunes d’origine immigrée, en France, sinon ceux qui font passer des émeutiers, des délinquants, des « sauvageons » (dixit Jean-Pierre Chevènement), de la « racaille » (dixit Nicolas Sarkozy), des « salopards » (dixit Laurent Fabius), pour les représentants, les porte-parole de l’ensemble des jeunes d’origine immigrée ?

Cet amalgame des plus foireux aura à terme un effet négatif bien plus fort que les maigres retombées positives de l’outrageante (aux valeurs de la République) discrimination positive. Car lorsqu’on prend un acte de violence urbaine comme une supplique en faveur des jeunes d’origine immigrée, on dit au citoyen que l’inacceptable, la violence urbaine (il est de tradition qu’on attende qu’il y ait des morts pour reconnaître son caractère inacceptable), est légitime. Le citoyen risque de se lasser d’entendre de pareilles inepties, et sa colère risque de donner dans le même amalgame.


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