La sexualité des Arabes : Fantasmes, mythes et réalités

par Georges Yang
samedi 27 juin 2009

Comment écrire sur un tel sujet sans entraîner de réactions outrancières et sans tomber dans le graveleux et le sensationnel ? Pourtant, il y a fort à parier que cet article va déclencher des interventions paradoxales. D’abord venant de ceux qui par islamophobie viscérale et primaire ne voient en chaque Arabe qu’une brute incapable d’exprimer des sentiments et qui ne s’attardent qu’aux faits divers sordides et d’autre part de musulmans stricts qui considèrent qu’il s’agit là d’un sujet qui ne peut-être abordé car relevant du domaine du privé et de l’intime et qui crieront au blasphème. Or, il est évident que les humains possèdent une sexualité qui leur est commune quelque soit leur origine, mais que l’environnement culturel et religieux génère pour chaque peuple des pratiques spécifiques et des stratégies de contournement des interdits souvent très élaborées. Enfin, il est important de remarquer que le titre fait référence aux Arabes et non aux musulmans car en dehors de quelques caractéristiques sur la mixité, l’habillement et la polygamie, la sexualité des chrétiens d’Orient, qu’ils soient coptes d’Égypte, maronites ou syriaques, est assez similaire à celle des musulmans. Raison pour laquelle il ne sera fait référence dans cet article ni aux Afghans, ni aux Pakistanais ou Indonésiens qui ne font pas parti du monde arabe, bien qu’influencés par celui-ci.

En définitive, le sujet est si riche que cet article ne peut être considéré comme exhaustif, mais tout juste une ouverture à réflexion pour les profanes. Ce thème a été largement étudié par des anthropologues, des sociologues et des sexologues tant arabes qu’occidentaux et de nombreuses sources bibliographiques permettent de s’informer.

Pour un occidental, vivre et travailler dans un pays arabe permet des rencontres, des confidences et des observations qui autorisent une vision bien différente des fantasmes véhiculés par les médias européens et la rumeur publique. Il existe bien entendu des faits divers sordides de vengeance, d’exactions et de cruauté contre des femmes, mais ils ne sont que la traduction d’une violence sexiste dont on retrouve souvent les mêmes abus sous des formes similaires aux États-Unis, en Europe et dans d’autres pays d’Afrique ou d’Asie. Il se retrouve partout dans le monde des brutes épaisses et pas uniquement en milieu rural et ouvrier, et les Arabes ne sont pas exempts de cette imperfection. Mais la culture arabe est aussi faite de subtilité et teintée d’érotisme qu’il faut découvrir. Cela demande de la patience, du respect et de l’ouverture d’esprit pour celui qui vient d’autre part.

Les relations sexuelles et sentimentales dans le monde arabe sont donc aussi complexes et subtiles que partout ailleurs, seulement du fait de la culture et de la religion elles s’expriment de façon différente qu’en Europe. D’autre part, le monde arabe s’urbanise de plus en plus, la vie austère sous la tente des éleveurs de chameaux est devenue marginale. L’anonymat des grandes métropoles autorise plus de diversité de comportements qu’en milieu rural ou dans une petite ville, où la suspicion, la peur des qu’en-dira-t-on et le respect de la tradition freinent les élans affectifs.

Le monde anglo-saxon publie en permanence une littérature où l’eau de rose rivalise avec le cauchemar et le pitoyable. Il s’agit le plus souvent d’ouvrages écrits en collaboration avec des femmes journalistes relatant les malheurs de princesses Saoudiennes, de riches Égyptiennes ou Libanaises divorcées ayant fui un mariage forcé. Quelquefois, ce genre de pseudo littérature s’étend au cas de Somaliennes ou d’Iraniennes, mais le thème est toujours le même et ces livres sont uniquement écrits pour faire de la vente en alimentant les fantasmes de l’Occident concernant le supposé machisme atavique des Arabes.

Il est nettement plus intéressant de regarder les émissions consacrées à la sexualité sur les télévisions arabes dont le très documenté « Kalam Kebir » sur la chaîne satellite « El Menar » qui aborde tous les sujets y compris les plus délicats comme l’impuissance, l’orgasme féminin et l’homosexualité sans trop de tabous pour un pays arabe. Ou mieux, de lire les manuels d’érotisme de certains soufis dont al-Nafzaoui al-Tijani (le jardin des roses et des soupirs) et toute une littérature érotique arabe quasiment aussi vieille que les premiers balbutiements de l’Islam. Aussi riches en enseignement sont les ouvrages plus récents d’auteurs arabes sur le thème dont le très documenté et plaisant « la preuve par le miel » (bohrân al-asal) de la Syrienne Salwa Al Neimi,  le « festin de mensonges » d’Amine Zaoui, ainsi que des revues arabes comme la libanaise Jasad (le Corps) qui traite même de l’homosexualité. « L’anthologie de la littérature arabe érotique » publiée par Jacques Pauvert est aussi une importante source de références. Enfin, si l’islam sunnite, majoritaire chez les arabes ne permet pas la représentation artistique et graphique de l’homme et de l’animal, les chiites eux ne se sont pas privés de réaliser des gravures érotiques dignes du Kama-Sutra et des estampes japonaises et bien que d’origine persane, ces dessins ont été fort prisés en Orient arabe pendant des siècles. Enfin, il vaut mieux oublier « Les contes des mille et une nuits » et les aventures de Shéhérazade, car la traduction d’Antoine Galland qui est diffusée en France est plutôt l’œuvre d’un orientaliste français érudit que le reflet de la pensée arabe. Quant au chef-d’œuvre de Pasolini sur le même thème, il s’agit plus de l’exercice esthétique d’un génie du septième art que d’une transcription de l’érotisme du Moyen-Orient.

Le point le plus important en matière de sexualité dans le monde arabe est l’attachement obsessionnel à la virginité des jeunes filles avant le mariage, et cela concerne autant les chrétiens que les musulmans. Il existe de fait toute une stratégie de contournement de cette obligation et la ruse et l’imagination ont développé des pratiques sexuelles connues de tous. Mais officiellement l’on fait semblant de les ignorer par pudibonderie, par hypocrisie ou pour refuser d’admettre une évidence gênante. Pourtant, fondus dans l’immensité de l’urbain, de Rabat à Beyrouth et Damas en passant par Alger, Tunis et le Caire, les jeunes couples arrivent à se rencontrer et pratiquent une sexualité quasiment sans tabou en dehors du respect de l’intégrité de l’hymen des jeunes filles, véritable sceau de garantie donnant accès au mariage.

Tout ou presque est pratiqué, mais la principale technique utilisée est celle du pinceau, fourcha en arabe, qui consiste en un frottement de la verge sur le clitoris sans pénétration ou sur le pubis suivi d’ejaculatio ante portas comme le disaient les anciens auteurs latinisants. Inutile de dire que fellation, cunnilingus, masturbation réciproque sont aussi pratiqués et que la sodomie, qualifiée pudiquement d’à l’italienne par les jeunes Algériennes a aussi ses adeptes quand il ne s’agit pas d’un simple frottement entre les globes fessiers.

Ce qui peut surprendre, c’est que bien qu’au courant de ces pratiques et en usant eux-mêmes, des nombreux jeunes arabes sur le point de se marier sont persuadés que leur fiancée n’est « pas comme les autres », qu’ils ont choisi une vraie jeune fille pure, alors que… Personne n’est dupe, mais il s’agit plutôt d’un aveuglement volontaire pour se cacher avant tout à soi-même une réalité difficile à admettre devant ses amis. La virginité dogme obligatoire avant le mariage, la naïveté ou la feinte, font croire que celle que l’on a épousée est différente des autres qui pratiquent le pinceau.

Par contre, la réfection de l’hymen par voie chirurgicale, l’hymenoplastie, ne concerne de fait que la grande bourgeoisie en milieu urbain des grandes métropoles arabes et ne peut être considérée comme la solution courante à un accident. Et puis il y a tous ceux qui savent et se taisent et celles qui ont recours à des artifices comme l’irritation préalable de la vulve avec du citron ou un produit astringent pour faire croire à la virginité lors du premier rapport officiel et ceux qui versent sur le drap nuptial du sang de poulet pour éviter les quolibets d’une famille traditionnelle. La fille « qui a déchiré » comme le disent les Algériens n’est plus digne de se marier, alors on utilise quelquefois des subterfuges. En dehors de mères inquiètes qui font vérifier leurs filles par un médecin et demandent un certificat de virginité avec la même anxiété que l’on éprouve lors d’un test du sida en Europe, de nombreuses jeunes filles vont régulièrement consulter pour obtenir ce document. La profession médicale est très au fait de ces demandes incessantes venues de jeunes nubiles assez promptes à baisser leur culotte sous le prétexte d’une chute sur les objets les plus divers et variés. Les médecins arabes prennent pourtant la précaution de pratiquer l’examen en présence d’une assistante ou d’une infirmière. Il n’empêche que cet excès de prudence n’a pas calmé les fondamentalistes égyptiens qui s’acharnent pour que les coptes (hommes ou femmes) ne puissent exercer la spécialité de gynécologue.

Pire est l’angoisse de l’impuissance du jeune époux au moment crucial, qui doit prouver qu’il a consommé le soir de nuit de noces alors que les deux familles attendent fébrilement derrière la porte. Même si le rituel du drap taché de sang disparaît progressivement en milieu urbain et bourgeois, il faut reconnaître cependant que la première nuit est très souvent vécue avec anxiété par des nombreux arabes des deux sexes.

Il ne sera pas question ici d’aborder l’excision et l’infibulation qui ne concernent pas uniquement les Arabes et n’est surtout pratiquée qu’en Égypte, au Soudan et au Yémen ainsi que par des ethnies sahéliennes bien avant leur conversion à l’islam et même par des non musulmans comme les Masaïs du Kenya.

Dans les pays autorisant la polygamie, la coutume veut le plus souvent que la première épouse soit choisie par la famille du marié parmi la parenté élargie, les cousines ou filles de familles vouées à des alliances depuis des générations. Il est cependant un paradoxe, celui du peu de signes de tares héréditaires liées à la consanguinité dans le monde arabe. Seules les communautés vivant en autarcie et où la surveillance entre membres empêche quasiment toute relation hors mariage présentent ce genre d’anomalies. C’est le cas des Mozabites de Ghardaïa dont de nombreux individus attestent de stigmates de consanguinité évidente. Alors comment expliquer la rareté de signes de transmission héréditaire dans la descendance des unions endogames, probablement par l’adultère. L’infidélité arriverait donc au secours de la génétique ! La récente mise sur le marché de tests ADN risque de créer des drames bien pires qu’au Brésil où la pratique de recherche de paternité a entraîné bien des surprises. Et puis, il est aussi fort possible de guérir sans faire de vagues la stérilité de son mari avec l’assistance opportune d’un ami discret sans recours à l’éprouvette.

Finalement, si le port du niqab enferme et isole un bon nombre de femmes, il permet aussi la dissimulation et protège des regards les déplacements incognito de la femme adultère ; belle revanche soit dit en passant contre les fondamentalistes. La dissimulation, la ruse sont aussi des formes d’expression de la culture concernant la sexualité et sont partie intégrante du plaisir pris dans le risque de se faire prendre et l’excitation d’inventer des techniques de contournement et d’enfreindre les interdits. Il est d’ailleurs étonnant de constater que si les jeunes femmes portant le simple foulard ou le hijab ne sont souvent ni maquillées ni épilés des sourcils, celles dont ont ne voient que le regard sous le niqab, ont quelquefois les yeux soulignés de khôl et lancent des œillades appuyées à ceux qui les croisent. 

Il est certain qu’une jeune femme de milieu urbain, mariée sinon de force, mais sans enthousiasme avec un cousin qu’elle n’a pas explicitement choisi sera tentée, une fois la nuit de noce passée, d’aller faire la tournée des anciens copains d’autant plus que le mari n’a souvent qu’une envie, celle de prendre une seconde épouse qu’il choisira lui-même et qui lui plaira davantage que la première imposée par la famille.

 

Le romantisme fleur bleue, le sentimentalisme que l’on retrouve dans les chansons aussi bien classiques que de variété, les poèmes, les regards furtifs, les attentes incessantes d’un signe de l’être aimé caractérisent le comportement amoureux de bien de jeunes Arabes en particulier parmi les intellectuels urbains. Il n’est qu’à se référer aux lieux de rencontres discrets comme les plages de la région d’Alger, de la colline de Notre Dame d’Afrique, des salons de thé du Caire où de jeunes gens en jean sirotent une boisson avec une jeune voilée en tout anonymat, ou encore les petits établissements,discrets débit de boisson du confluent des deux Nil à Khartoum, pour constater que des couples se forment, se touchent, se frôlent discrètement, se fréquentent et jouent d’imagination pour éviter les représentants de la police des mœurs qui sévissent dans tous les pays et les rencontres fortuites et gênantes avec les frères, les cousins ou voisins de leur amour dissimulé. Les jeunes arabes Soudanais qui offrent des pommes à celle qu’ils admirent et convoitent n’ont sûrement pas conscience de la symbolique inversée de ce fruit. D’ailleurs, les occidentaux sont souvent amusés et étonnés par ces sentiments à l’eau de rose tout droit sortis des chansons populaires qui passent en boucle sur les radios et des romans pour jeunes filles qui fleurissent dans les kiosques et dans les hebdomadaires égyptiens et libanais. Des étudiants, de jeunes médecins, ingénieurs et hommes d’affaires ont souvent des réactions naïves et admiratives vis-à-vis des femmes de leur cœur et tiennent des propos que les Européens n’oseraient tant ils sont désuets, voire ingénus.

L’arabe, qu’il soit littéral ou dialectal, est la langue de la sexualité pour qui en comprend les subtilités. Il n’est qu’à se référer au titre du dernier livre de Nejma, l’Amande (al-loz) pour en saisir l’allusion. De la même symbolique est le noyau de datte, androgyne selon la face sous laquelle on le regarde, et qui sert à lire la bonne aventure entre femmes, loin du regard des hommes. Jetés aléatoirement au sol, ils prédisent la vie sentimentale et sexuelle en autant de symboles phalliques et vulvaires en fonction de l’angle et de l’orientation que ces noyaux prennent sur le sable. La langue arabe est aussi riche en obscénités et injures à connotation sexuelle, compensation relative à l’interdit du blasphème. La richesse des insultes et des allusions est d’une certaine manière une forme de braver les tabous et de compenser la frustration. Ce langage dépasse largement en imagination et en créativité le pitoyable « nique ta mère » de nos banlieues.

Mais d’autre part, toute une culture d’idéalisation de la femme, avec recours à la poésie, à la métaphore traduit une timidité extrême bien loin des exagérations sur les prouesses fictives de nombreux post-adolescents qui ne croient pas eux-mêmes à la vraisemblance de leurs exploits imaginaires. Une fois le contact et la confiance établie, le parler vrai s’installe sans les galéjades et vantardises méditerranéennes ponctuées devant le groupe de jeunes et moins jeunes de la communauté avec un air entendu et salace. Omar Gatlato, le héros du film algérien de Merzak Allouache, filmé par Lakhdar-Hamina en 1977, est l’archétype du jeune timide, vantard devant ses copains. Comportement nullement spécifique des Arabes, mais typiquement méditerranéen, que l’on retrouve avec les mêmes fantasmes et exagérations chez les jeunes Juifs séfarades, les Marseillais et les Italiens du Sud. Un des fantasmes le plus répandus est celui du hammam mixte, surtout en Algérie. Tout le monde en parle, mais il est bien difficile de le localiser ce fameux paradis des sens. S’il se situe à Alger, il varie selon le narrateur d’un quartier à l’autre, c’est-à-dire partout en ville sauf à Kouba. Il est dans la partie al Foh ou Al Tah, en haut ou en bas de la cité comme jadis les bordels de la Casbah. Sinon, on le retrouve à Oran pour les Algériens de l’Est ou à Annaba pour ceux de l’Ouest, car la ville du plaisir, de la débauche, là où les filles sont réputées vicieuses, est toujours loin de chez soi. Un autre fantasme est celui des hôtesses de l’air, obligatoirement séduites par le narrateur, avec force détails, alors que celui qui raconte n’y croit pas véritablement.

Restent enfin deux domaines dont tout le monde parle à mots couverts mais qui existent bel et bien, la prostitution et l’homosexualité. Beaucoup de jeunes Algériens ont été déniaisés dans les maisons closes lors de leur service militaire. Il n’est qu’à évoquer Blida et Sidi-Bel-Abbès pour que les souvenirs reviennent, quelquefois avec une certaine gêne. Et si la classe moyenne et les cadres rechignent à fréquenter ce genre d’établissement, la haute société arabe et la jet set ont surtout recours à la prostitution des grands hôtels souvent envahis par des Tunisiennes, Marocaines et Africaines de l’Est qui usent et abusent du téléphone mobile depuis les couloirs et les jardins et qui arrosent les portiers et la sécurité des établissements tant au Caire qu’à Beyrouth ou dans les Émirats.

Les prostituées voilés portant le hijab, voire le niqab, tiennent à la fois du mythe et de la réalité, mais elles sont nettement moins fréquentes en pays arabe que les silhouettes furtives qui dès la nuit tombée déambulent souvent par deux dans la rue principale d’Hargeisa au Somaliland, la bien nommée Fucking street connue des habitants depuis les années 80. Il en est de même dans la vieille ville de Mombasa sur la côte kényane où les jeunes femmes entièrement couvertes de noir concurrencent d’autres filles en minijupe.

Les call-girls anglaises, arabes ou russes, prostitution de luxe, ne concernent que les très riches, les émiratis ou « ceux du régime » et les jeunes femmes sont dans ce cas protégées des ardeurs de la police des mœurs. Il y eu cependant, il y plus de vingt ans, le meurtre exceptionnel d’un président yéménite abattu dans sa résidence de montagne avec deux anglaises qui furent mutilées, mais le cas fait figure d’exception. Reste alors le domaine ultra protégé des militaires, gradés des hautes sphères marocaines ou égyptiennes mais surtout algériennes protégeant ou menaçant le pouvoir. Ces gens bien placés et intouchables organisent des fêtes mixtes très alcoolisées avec parfois de la cocaïne qui n’ont rien à envier à la Californie, l’impunité en plus. Mais ces événements festifs ne sont pas à la portée de tous et ne font qu’alimenter l’amertume et la haine des islamistes et du petit peuple contre les puissants.  

L’homosexualité est certainement le domaine intime le plus dissimulé, même si tout le monde en parle en privé. La proclamation iranienne venue à la tribune du pouvoir déclarant de façon péremptoire que l’homosexualité n’existait pas dans le pays en a fait sourire plus d’un. En Egypte, les procès de masse du Caire contre des homosexuels fustigés et mis en cage ont paradoxalement levé un voile sur une réalité quotidienne de la capitale égyptienne. Et le film tiré du roman d’Alaa Al Aswani, l’immeuble Yacoubian, a traité avec brio d’un thème que l’on taisait officiellement. Car l’homosexualité masculine existe bel et bien en dehors des milieux confinés (prisons, madrasa, internats). C’est un choix sexuel délibéré pour certains et les mariages alibis ne sont que de convenance bien que personne ne soit dupe.

Et puis, tout comme en Amérique Latine, il existe une distinction entre actif et passif (fa’el et maf’oul) et les actifs ne se considèrent pas comme homosexuels la plupart du temps. Mais il ne faut pas s’attendre à la cage aux folles ou au Marais avec ses bars, ses back rooms, son exubérance et son exhibitionnisme. Tout est nettement plus clandestin et plus discret, les lieux de rendez-vous ne sont connus que des initiés, souvent infiltrés par les renseignements généraux, surtout quand il y gravite des étrangers. Et en dehors des vendeurs ambulants de sous-vêtements féminins qui font du porte-à-porte dans les pays du Maghreb, personne n’est explicitement qualifié d’homosexuel. Mais ces vendeurs, qui restent le plus souvent devant la porte des acheteuses, le sont-ils vraiment ?

Par contre, les embrassades, les contacts corporels fréquents entre hommes sont souvent réinterprétés par les Européens, alors qu’ils ne traduisent qu’une manière culturelle d’exprimer sa familiarité. Il existe bien évidemment des gestes qui dépasse la simple politesse et les us et coutumes, mais ils ne sont jamais appuyés, tout juste équivoques pour qui sait observer. De façon générale, tant pour les hommes que pour les femmes, le rapport au corps est essentiel. Bains, massages, parfums, épilation glorifient et érotisent ce qui doit être caché en dehors de l’intimité et de ce fait exacerbent le désir. L’ambiguïté des contacts corporels entre personnes du même sexe est souvent interprétée comme une forme archaïque de l’expression de l’homosexualité. La réalité est beaucoup plus subtile et il existe toute une gamme des postures et des contacts corporels dont la signification varie selon le contexte et la nature du geste. Bref, tout dépend de la manière dont une main est tenue et quel regard accompagne le geste. Cette approche faite de paradoxe et de contradiction est indispensable à la compréhension des rapports affectifs et sentimentaux entre individus dans le monde arabe.

 

Quant à l’homosexualité féminine, elle est encore plus répandue et transpire souvent dans le comportement entre jeunes filles, voire jeunes femmes mariées dont l’époux est souvent absent pour cause de voyages prolongés ou d’éloignement professionnel. Par contre, le saphisme oriental, source d’inspiration d’Eugène Delacroix et de tout un mouvement pictural du XIX ième siècle ressort plus de l’imaginaire occidental que de la réalité. Il est en effet fort peu probable que ces peintres aient eu accès aux harems et aux hammams turcs et algériens. Mais contrairement aux déclarations des religieux et des moralistes, les arabes, hommes et femmes n’ont pas attendu les Européens pour découvrir l’homosexualité. L’Egypte et le Maroc ont récemment produit des films traitant de l’homosexualité féminine, qui malgré la censure et les protestations de religieux, ont eu un certain succès et le mérite d’aborder le thème. Ces films ont nettement plus d’intérêt que le provocateur Fitna (la discorde) de Geert Wilders, trop orienté vers un public occidental hostile à l’islam. Il en est de même pour le très polémique film de Théo van Gogh, même s’il est totalement inadmissible de l’avoir assassiné pour délit d’opinion.

Il faudrait aussi souligner la misère sexuelle des adolescents surtout dans les petites villes et le recours unique à des pratiques masturbatoires aggravées par la facilité désormais d’avoir accès à des films pornographiques vendus sous le manteau dans la plupart des villes arabes, sans parler des chaînes satellites. Le recours aux cylindres creusés dans des pastèques n’est finalement qu’une forme écologique d’autosatisfaction.

La sexualité est donc avec l’alimentaire ce qui unit et divise à la fois le plus les êtres humains. Ceux qui ont l’esprit ouvert essaient d’y voir un lien entre les humains, les autres y retrouvent une scission ou un obstacle. Mais en fin de course, se qui se passe dans les lits et les alcôves n’est pas si différent de chez nous quelque soit notre origine et notre lieu de résidence. Tout est possible en terre arabe à condition de rester discret et de savoir développer les stratégies de contournement des interdits et de pratiquer la dissimulation, cela devrait être finalement ce qu’il faut retenir. Ce qui est caché est d’autant plus excitant et désirable. Finalement, le parti le plus populaire chez les Arabes n’est pas forcement celui de Dieu, le si controversé Hezbollah, mais le Hezb’el hob, celui de l’amour et c’est peut être mieux ainsi. Il n’a d’ailleurs été fait dans cet article aucune référence au Coran et aux Hadiths pourtant très riches en prescriptions et recommandations relatives à la sexualité. Il s’agit d’un parti pris délibéré, car en la matière la place de la religion devrait être limitée quelque soit le culte et ne pas trop interférer dans la vie des gens. Que l’on soit arabe ou non, musulman ou non, le rapport à Dieu est rarement la préoccupation essentielle quand on se retrouve à deux dans un lit. Et puis, pour conclure, il ne faut pas oublier que l’interdit est source de ruse et d’imagination quelque soit l’environnement culturel et religieux et que la transgression permet l’exacerbation du désir.  

 

Quelques Références :  

- Le jardin des roses et des soupirs, al-Nafzaoui al-Tijani, 14 ième siècle

- Les contes des mille et une nuits, Traduction adaptation d’Antoine Galland, 18 ième siècle

- Anthologie de la littérature arabe érotique, Jacques Pauvert

- L’amande (al-loz), Nedjma, 2004

- Les filles de Riyad (banat al Riyad), de Rajaa Alsanea, 2005

- Le Kama-Sutra arabe, Malek Chebel, 2006

- L’immeuble Yacoubian, Alaa Al Aswani, le livre et le film de Marwan Hamed, 2006

- La Preuve par le miel (Borhân el ’Assal), Salwa Al-Neimi, 2008

- Omar Gatlato, film de Merzak Allouache, 1977

- Miss Mona, film de Medhi Charef, 1986

- Fitna, de Geert Wilders, 2008

- Amours Voilées (Hijab el Hob), d’Aziz Salmi, 2008


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