La simplicité volontaire contre la spirale du vide

par lephénix
lundi 5 octobre 2020

Ils sont de plus en plus nombreux à prendre conscience des dangers de l’aveuglement consumériste et productiviste (spéculatif, aussi…) pour tenter l’aventure d’une vie frugale, désentravée du futile et de l’inessentiel. Bref, ils veulent « être heureux avec peu » pour « repoétiser l’existence »...

« Moins de biens, plus de liens »... Ils sont légion de désaxés désormais à faire ce constat – celui de l’impasse où mène l’accumulation indéfinie faite sur leur dos. Ils en ont même fait une philosopie pratique d’existence en vivant pleinement la « décroissance » en actes. « Soyez vous-même la révolution que vous voulez voir dans le monde » disait Gandhi (1869-1948) dont la sentence est archi-citée comme un mantra par tout « écologiste » soucieux de son effet de manche... Henry David Thoreau (1817-1862) aurait-il enfin fait école ?

Une cinquantaine de ces « dissidents contemporains », adeptes de la simplicité volontaire et autres « objecteurs de croissance » ont osé la vraie « rupture » et prêché par l’exemple pour vivre leur liberté hors de la matrice de survoltée par nos addictions aux grands réseaux techniques complexes, irrigués par des énergies fossiles voire « renouvelables » que l’on voudrait perpétuellement « bon marché ». Renonçant à notre « confort moderne » et aliénant, ils ont témoigné dans la rubrique phare du mensuel La Décroissance – laquelle s’est « imposée comme une évidence » constatent Bruno Clémentin et Vincent Cheynet, fondateurs du journal...

Alors, suffirait-il de désobéir et de « désordiner » pour se trouver ?

Vers des « oasis de dissidence » ?

Tournant le dos à la chimère d’une « carrière » tout confort, ils ont voulu vivre une vie riche de « sens, de puissance d’agir et de liberté », à l’instar de Dominique, professeur particulier pour juste « couvrir ses besoins limités », qui entend rien moins que « déconstruire l’idéal bourgeois et sa capacité d’accumulation du capital comme moyen de domination »...

Si les « objets nous possèdent », pourquoi ne pas s’en passer avant que les nouvelles générations de gadgets ne se passent de nous ? Après tout, quand on a une maison ou une auto, ce sont en vérité elles qui nous ont... Surtout si elles se mettent à devenir « intelligentes »...

Charlotte et sa fille Frédérique ont tourné le dos à la « société technoscientifique » et quitté la région parisienne pour une maison dans le bocage normand. S’étant delestées de leurs gadgets inutiles (informatique, téléphonie, électroménager), elles déplorent la « rupture de transmission » qui nous prive des savoirs et savoir-faire de nos grands-parents et estiment que le « manque est essentiel pour grandir »... Ainsi commence leur « désordination »... François Schneider a fondé le Can Decrets (« Centre pour une alternative décroissance ») situé en lisière du village de Cerbère, près de la frontière espagnole. Avec son amie Filka, il lance un appel à tous ceux qui ont « savoirs, des technologies à échanger » pour contribuer à leur projet de « lutte contre une société qui isole chacun ». Tous, ils prouvent qu’on peut être « déconnectés »... pour simplement « rester très proches » de leurs semblables. Leur rêve ? Une société coopérative à l’échelle humaine, non prédatrice, non fondée sur l’accumulation du capital et la compétition forcenée, non régie par les aberrations du fondamentalisme technologique et les atrocités de la « culture du chiffre ». Pourquoi toute cette machinerie pour juste ... aller toujours plus vite dans le mur ? Pourquoi se laisser réduire à l’épaisseur d’un « porte-monnaie sur pattes » de plus en plus dégarni ou à la consistance d’un rouage de la « Mégamachine » ?

Michel et Béatrice, installés dans les Côtes d’Armor, ont ressenti l’étendue de ce fossé entre « l’univers de technologie lourde » qui leur est imposé et leurs intimes convictions. La démarche de tous ces « déserteurs » ne relève pas du seul « souci écologique » : ce qui est en jeu, c’est « la déshumanisation » comme le constate Ramine qui a abandonné son job de consultant pour des entreprises du CAC 40.

Pierre vit dans l’Aude son idéal de pauvreté volontaire en précisant : « Aujourd’hui, on nous parle d’éradiquer la pauvreté, mais c’est la misère qu’il faut éradiquer. Confondre pauvreté et misère, c’est une entourloupe sémantique. Au contraire, il faut être dans la pauvreté. Il s’agit de ne pas avoir de superflu, de se détacher, de trouver une juste adéquation entre les besoins réels et factices, de ne pas demander toujours plus, d’éviter de faire le mal et de ne pas nuire à autrui  »... On en revient à Gandhi : « vivre simplement pour que d’autres puissent simplement vivre »...

Avant de vouloir récolter (au guichet d’un drive voire par la magie d’une « commande en ligne » ?), il faut d’abord penser à semer... La loi de l’agriculture ne souffre pas d’exception « hors sol »... Il faut savoir vivre en osmose avec la terre. D’anciennes et nombreuses cosmogonies ne prônent-elles pas le renoncement à l’exploitation des ressources naturelles ? Pourquoi « s’embêter avec des histoires d’argent » constate Jean-Yves qui trouve ça « tellement pas intéressant » et vit de sa sculpture dans son atelier-lieu de vie en Haute-Savoie où il apprend aux gens à « passer des heures sur un bout de bois ». Bref, à ralentir et retrouver un « nous »...

Pierre Thiesset agrémente ces témoignages par une histoire de la simplicité volontaire. Il rappelle qu’il s’agit de « désobéir aux sommations à la consommation » pour «  s’offrir un temps d’autonomie, hors marché » et « développer une puissance d’agir  » en remettant l’immémoriale tempérance « à sa place de vertu cardinale ». Autant prendre conscience dès maintenant de notre servitude plus ou moins volontaire ou de notre allégeance au quotidien à la dévastation planétaire sur son point de non-retour pour relâcher chacun quelque peu la pression sur l’accélérateur... Le « vert » gagne du terrain - dans les déclarations, du moins... Et si les « décroissants » formaient une communauté qui ne cesserait de croître, elle, à mesure que s’évapore toute illusion de « croissance » et de « profits » exponentiels sur une base des plus friables ? Ainsi, tous les déracinés voire dénaturés arrachés à leur axe retrouveraient leur centre de gravité et leur équilibre, serait-ce en se réconciliant avec le désert qu’ils ont contribué à créer ou laissé avancer sous leurs pas.

Vivre la simplicité volontaire – Histoires & témoignages, éditions L’Echappée, 384 p., 12 €


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