La ville verticale

par Olivier Bonnet
jeudi 23 novembre 2006

Depuis la naissance en 1884 du premier gratte-ciel de l’histoire, ces constructions d’un nouveau type n’ont eu de cesse d’essaimer dans le monde entier et la surenchère des sommets n’est pas près de s’achever : l’évolution démographique de la planète et l’hypertrophie urbaine ne laissent à terme d’autre choix que l’avènement de véritables villes bâties à l’intérieur de tours. Bienvenue dans l’ère de l’homo verticalis.

Shanghaï, année 2020. Monsieur Li Tchang Ming est positivement ravi d’emménager dans son nouvel appartement. Du dernier chic pour un milliardaire rouge  : un palace dans le ciel. Il fait désormais partie des cent mille personnes qui vivent dans la ville verticale : bâtie sur une île artificielle, la Tour Bionique occupe deux millions de mètres carrés sur un kilomètre carré de base et s’élève jusqu’à 1228 mètres ! De haut en bas d’une silhouette aux allures d’olisbos gigantesque, trois cents étages d’habitations montent à l’assaut des nuages. Les logements les plus prisés sont ceux de tout en haut, que se partage l’élite capitaliste de la région. Tout autour de la tour elle-même, un anneau de bâtiments concentre commerces, bureaux, hôtels, hôpitaux, espaces verts, de loisirs, lacs artificiels... La démente construction a coûté quinze milliards de dollars. Elle se structure à l’imitation d’un arbre, avec ses branches et racines : le tronc contient les réseaux vitaux (eau, électricité, déplacements) et ses ramifications s’enfoncent loin sous la terre, puissantes fondations pour contrer les effets du vent. Pour circuler à travers ce monde clos, quelque 368 ascenseurs emmènent leurs passagers à la vitesse de quinze mètres à la seconde. Est-on en pleine science-fiction ? Pas du tout. Le journal italien La Stampa le révélait en septembre, la construction de la Bionic Tower devrait bel et bien débuter à Shanghaï en 2015, réalisant ainsi le projet de deux architectes madrilènes, Maria Rosa Cervera et Javier Pioz.

Aux Emirats et en Russie aussi...
Un modèle tel que l’incroyable cité-tour de Shanghaï n’est pas isolé : dès 2008 sera érigée la Burj Dubaï, aux Emirats arabes unis, œuvre du cabinet d’architectes de Chicago Skidmore, Owings & Merrill. La hauteur finale est encore tenue secrète mais les rumeurs font état de huit cents, voire plus de neuf cents mètres. Logements, bureaux, commerces, hôtels : nous sommes arrivés au stade de la super structure conçue comme une ville à part entière. Les Russes s’alignent, avec leur Moscow City Tower, qui mêlera hôtellerie, commerces, loisirs, appartements de standing (duplex et triplex), jardins suspendus et restaurant panoramique. Un immeuble de près de six cents mètres de haut et 118 étages, avec des préoccupations environnementales  : ventilation naturelle, recyclage des eaux pluviales, panneaux photovoltaïques... Avant enfin la future Bionic Tower de notre ami Li Tchang Ming dont il est question plus haut (toujours plus haut !), aux dimensions plus pharaoniques encore, les métropoles verticales arrivent bel et bien. Ces modifications de la structure urbaine et du mode de vie peuvent poser problème. L’architecte Jacques Ferrier, concepteur du projet Hypergreen (voir interview), préconise une construction de grande hauteur intégrée au cœur de la ville, sur le trottoir, en lieu et place de ces grandes dalles qui isolent les tours, mais de dimension plus modeste (260 mètres), et il est inquiet du changement d’échelle : Hypergreen abriterait trois mille personnes environ dans ses espaces mixtes de bureaux et de commerces, restaurants, etc. Alors les cent mille de la Tour Bionique... « Si vous mettez cent mille personnes, la population d’une grande ville française, dans un bâtiment, c’est dur de garantir le transport à l’intérieur avec des ascenseurs, le rapport à la lumière naturelle, le confort qu’on est en droit d’attendre...  », se méfie-t-il.

Un monde déshumanisé
Et le risque d’un monde déshumanisé ? « Ah oui ! L’idée d’une ville "encapsulée" dans un bâtiment, ça évoque pour moi un mauvais film de science-fiction. On crée les conditions pour une société qui fait un peu peur, je trouve. On imagine une espèce de scénario noir, avec ceux qui sont dedans, les privilégiés qui ne quittent jamais leur forteresse de cinquante ou cent mille personnes (quelle horreur ! Nda) et l’extérieur, avec des gens qui errent entre des abris précaires. Alléchant pour le cinéma ! » Même si le pire n’est jamais sûr, bâtir de telles mégalopoles serait donc faire œuvre d’apprenti-sorcier ? « Il n’y a aucun précédent dans l’histoire, c’est un saut dans l’inconnu, observe Jacques Ferrier. C’est pour ça que ça fait un peu froid dans le dos.  » Faute d’exemple, il est vrai qu’on ne peut même pas imaginer ce qu’implique de vivre dans un tel environnement... Sans oublier, malgré des mesures de sécurité toujours plus efficientes en cas d’incendie, de séisme ou d’attentat, le danger d’une catastrophe majeure : « L’une ou l’autre de ces constructions, fatalement, aura une fragilité, prévient l’architecte. Il y aura un accident un jour ou l’autre. » Qui pourrait bien faire trembler la terre plus fort encore que le 11 septembre.

Voir aussi Gratte-ciel : l’ascension vers les étoiles et l’ Interview du père du gratte-ciel écolo.

Dossier à paraître dans le magazine Playboy.


Lire l'article complet, et les commentaires