La vision très noire de Guilluy

par Laurent Herblay
lundi 14 août 2017

Peut-être plus encore que « la France périphérique  », le dernier livre de Christophe Guilluy est assez noir. En développant sa pensée et l’enrichissant de développement bien vus, dont certains seront familiers aux lecteurs du blog, son discours peut devenir très pessimiste, un peu comme Natacha Polony, au point que parfois, j’ai même tendance à penser qu’il l’est un peu trop.

 

Entre impasse politique et issue inquiétante
 
Guilluy constate avec effaramment le décalage entre l’opinion public et les politiques menées, en rappellant par exemple que Macron, embrayant sur le discours du Medef en 2015, avait déclaré : « l’arrivée de réfugiés est une opportunité économique. Et tant pis si la mesure n’est pas populaire !  ». En fait, même s’il ne va pas jusqu’à le dire, la situation qu’il décrit semble insoluble. Il évoque « l’échec rententissant de la gauche de la gauche en milieu populaire ». Il rappelle qu’aux régionales, 67% des chômeurs se sont abstenus, et 33% de ceux qui ont voté ont choisi le FN, comme 55% des ouvriers (18% pour LR, PS, FG et EELV réunis). PS et LR « ne sont désormais soutenus que par les gagnants de la mondialisation ou ceux qui en sont protégés ». En 2015, 45% des classes populaires ont voté FN.
 
L’impasse actuelle provoque selon lui bien des réflexes inquiétants. Il évoque la tentation anti-démocratique des élites après 2005, déjà évoquée par d’autres, comme Todd. Et il pense que si 91% des Français sont d’accord pour dire que les différences de revenus sont trop importantes, il y a un risque de basculement sur des solidarités plus communautaristes et que « les classes populaires soient désormais travaillées par les ressorts inégalitaires imposés par une société libérale mondialisée  », comme Jacques Généreux. Pour lui, « l’attachement à la démocratie décline dans les milieux populaires et dans la jeunesse  », près de 40% affirmant que « d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie  », ce qui explique en partie la fascination pour des régimes profondément autoritaire.
 
Il cite Jean-Pierre Le Geoff dans « Malaise dans la démocratie  », « les logiques de marché ont influencé l’ensemble des activités sociales et comment la société de consommation et des loisirs a valorisé la sphère privée au détriment des cultures et des sociabilités traditionnelles  ». Problème les zones d’emplois les plus actives sont devenues inaccessibles pour les classes populaires du fait du prix du logement. Il dénonce la théorie bougiste, totalement contradictoire avec la réalité de la France périphérique et rappelle que les migrations sont toujours un arrachement quand la mobilité choisie est l’apanage des classes supérieures, rappelant que 60% des Français de la périphérie vivent dans le département où ils sont nés, contre moins de 40% pour les habitants des métropoles, plus mobiles.
 
Assez dur, il soutient que « la France est devenue une société ‘américaine’ comme les autres, inégalitaire et multiculturelle (…) Partout, le modèle inégalitaire et multiculturel s’impose (…) La référence n’est plus le commun républicain, mais le commun multiculturel  ». Ici, je ne suis pas d’accord. Nous ne prenons que partiellement cette pente, et plus lentement que d’autres. La France reste bien moins inégalitaire que les Etats-Unis : la sécurité sociale reste encore largement en place. Idem sur les questions communautaristes. Les anglo-saxons ne parviennent même pas à comprendre que nous ayons interdit le port de la burka et ayons débattu du burkini l’an dernier. L’existence d’un tel fossé est en partie rassurant, même s’il faut reconnaître que la pente prise n’en demeure pas moins inquiétante.
 
Je recommande vivement le nouveau livre de Guilluy, une contribution majeure à la compréhension de la crise politique de notre pays. Il est malheureux qu’un tel intellectuel ne dispose pas d’un meilleur accès aux média, où il apporterait une voix aussi riche que différente, mais, comme il le décrit bien, les tenants de la pensée unique ne sont guère ouverts, comme ils le démontrent dans les commentaires.
 

 

Source : « Le crépuscule de la France d’en haut », Christophe Guilluy, Flammarion

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