Le baccalauréat Blanquer (2/2)
par Sylvain Rakotoarison
samedi 24 février 2018
« Le baccalauréat est une grande institution républicaine à laquelle nous sommes tous attachés. Cependant, l’échec trop important en licence l’a peu à peu fragilisé car il n’est plus suffisamment un tremplin vers la réussite dans l’enseignement supérieur. (…) Avec un baccalauréat remusclé et un lycée plus simple, plus à l’écoute des aspirations des lycéens, nous allons leur donner les moyens de se projeter vers la réussite dans l’enseignement supérieur et de vivre leurs années de lycée avec bonheur. » (Jean-Michel Blanquer, le 14 février 2018). Seconde partie.
Après avoir présenté le Ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et rappelé quelques éléments peu satisfaisants de la situation actuelle du lycée et du baccalauréat, voici la réforme que le ministre a présentée le mercredi 14 février 2018.
Une réforme pour préparer les lycéens aux études supérieures
Conformément au programme présidentiel du candidat Emmanuel Macron, le gouvernement a voulu réformer une institution utile mais qui répond de moins en moins aux impératifs de notre époque. Le baccalauréat actuel ne prépare pas assez les étudiants ni à la réussite dans les études supérieures ni à leur vie professionnelle.
C’est le sens de cette réforme qui a été conçue avec beaucoup de précaution et dont on peut lire la présentation ici.
Sollicité par la lettre de mission du 10 novembre 2017, l’universitaire Pierre Mathiot, agrégé en science politique, ancien directeur de l’IEP de Lille de 2007 à 2015 et ancien délégué ministériel au parcours d’excellence de 2016 à 2017, a remis un rapport au ministre le 24 janvier 2018 contenant ses propositions, à l’issue de l’audition de plus de 250 représentants d’organisations et d’institutions et de l’analyse de plus de 46 000 réponses (dont 40 000 provenant de lycéens) à la consultation en ligne organisée en décembre 2017 (lire son rapport ici).
Ce qui ne change pas
On peut rappeler rapidement que tout n’est pas bouleversé, en particulier, le système des mentions est maintenu, le bac est obtenu à partir d’une moyenne générale de 10/20, sans qu’il n’y ait de note éliminatoire ni plancher, et l’oral de rattrapage est aussi maintenu en tant que seconde chance.
En revanche, trois changements majeurs vont être mis en œuvre dans les trois prochaines années.
1. La fin des sections du bac général
Aujourd’hui, il y a trois sections (L littéraire, ES économique et social et S scientifique). 52% des élèves du lycée général sont en série S mais 40% des bacheliers S déclarent ne pas vouloir s’engager dans des études scientifiques, ce qui est assez contreproductif.
C’est une véritable révolution. Tous les lycéens de bac général vont avoir un tronc commun et devront se choisir des options, des "disciplines de spécialité" : « Il n’y aura plus de série en voie générale, mais des parcours choisis par chaque lycéen en fonction de ses goûts et de ses ambitions. La voie technologique conserve son organisation en séries. Des ajustements seront apportés pour proposer un socle de culture commune articulé avec les enseignements de spécialité et l’aide à l’orientation. ».
En début d’année de Seconde, un test numérique donnera le positionnement du nouveau lycéen en mathématiques et en français. En Première, le lycéen devra choisir trois disciplines de spécialité. En Terminale, le lycéen choisira d’approfondir deux disciples de spécialités parmi les trois choisies en Première.
Le tronc commun permettra de conserver à chaque bachelier une certaine culture générale. Chaque lycéen continuera à étudier deux langues vivantes (l’écrit sera évalué selon les standards européens et l’oral aussi, à partir de février de l’année de Terminale). Les autres matières du tronc commun ("socle de culture commune") sont : le français ; la philosophie ; l’histoire géographie ; l’enseignement moral et civique ; l’éducation physique et sportive ; les humanités scientifiques et numériques (*). En tout, le tronc commun mobilisera 16 heures de cours par semaine en Première et 15 heures 30 en Terminale.
Les disciplines de spécialité sont : les arts ; l’histoire géographie, géopolitique et sciences politiques (*) ; les humanités, littérature et philosophie ; les langues et littératures étrangères ; les mathématiques ; les sciences informatiques et numériques (*) ; les sciences de la vie et de la Terre ; les sciences de l’ingénieur ; les sciences économiques et sociales ; la physique chimie. En tout, les trois puis deux disciplines de spécialité mobiliseront 12 heures par semaine (chaque discipline de spécialité fait 4 heures par semaine en Première et 6 heures en Terminale), ce qui fera un total de 28 heures de cours par semaine en Première et 27 heures 30 en Terminale.
À cela, il faut rajouter, chaque semaine, 1 heure 30 consacrée à l’aide à l’orientation (dès la Seconde), et un ou deux enseignements facultatifs (maximum un en Première et deux possibles en Terminale), chacun d’une durée de 3 heures par semaine. En Terminale uniquement : arts ; LCA ; éducation physique et sportive ; troisième langue vivante ; mathématiques expertes ; mathématiques complémentaires ; droit et grands enjeux du monde contemporain.
J’ai présenté ici les disciplines prévues par la réforme prévue pour l’enseignement général. Le bac technologique conserve ses séries et se voit juste adapter certaines disciplines pour le tronc commun (cette réforme ne s’applique qu’au bac général et technologique, pas aux bacs professionnels qui feront l’objet d’une réforme ultérieure).
La nouveauté pourra sembler compliquée au début de la réforme (il faudra savoir ce que recouvrent certaines disciplines et à quelle filière elles s’ouvriront dans le supérieur). De plus, le nouveau système pourrait fermer quelques portes dès la fin de la Première, quelques mois plus tôt quand dans le système actuel (par exemple, il semble qu’un élève de Terminale ne pourrait pas choisir ses disciplines de spécialité de manière à se laisser libre de choisir de faire des études d’ingénieur ou de médecine, car le choix de ses disciplines de spécialité va déterminer la voie à prendre dans le supérieur).
L’idée de la réforme est que les trois années du lycée servent aussi à préparer le projet professionnel ou, au moins, le projet d’études supérieures de l’élève, pour que le choix des disciplines de spécialité se fasse dans le cadre de la meilleure stratégie possible.
De même, les enseignements nouveaux (indiquées par *) sont proposés « pour tenir compte pleinement des transitions scientifiques et technologiques de notre temps avec leurs implications humaines et sociales ».
2. Le contrôle continu
Actuellement, il y a entre 12 et 16 épreuves spécifiques au baccalauréat, sur deux années. Cet examen est d’une grande lourdeur administrative : en 2017, il y a eu 2 900 sujets distribués dans 4 411 centres d’examen (18 850 candidats dans 152 centres d’examen établis dans 91 pays), et 4 millions de copies corrigées par 170 000 correcteurs et examinateurs. Un tel nombre engendre nécessairement des erreurs et des dysfonctionnements, voire des incidents récurrents, que la presse évoque régulièrement. En outre, cette organisation pèse aussi sur des lycéens qui ne passent pas le bac, en raison de l’occupation des salles et de la mobilisation des enseignants.
Les épreuves correspondant à plus de 50% de la note du bac se déroulent durant une seule semaine, pour sanctionner les trois années de lycée. Elles peuvent donc ne pas traduire la réalité de l’effort et du travail fournis par le candidat. Dans la plupart des pays de l’OCDE, le baccalauréat est le résultat du mélange d’un examen et d’un contrôle continu. C’est ce que veut introduire Jean-Michel Blanquer. Le bac professionnel (qui n’est pas concerné par cette réforme) est déjà partiellement sanctionné par un contrôle continu.
Le contrôle continu se fera sur les disciplines communes à tous les lycées d’enseignement général selon l’organisation de l’établissement de l’élève à partir de la classe de Première. Les épreuves de contrôle continu seront anonymes et corrigées par des enseignants différents de ceux du candidat. Il correspondra à 40% de la note finale du bac (dont 10% correspondant aux bulletins scolaires).
Un exemple d’organisation des épreuves de contrôle continu, c’est leur déroulement en janvier et avril de l’année de Première et en décembre de l’année de Terminale. Pour garantir l’égalité entre les candidats, les sujets seront choisis dans une "banque nationale numérique de sujets".
L’avantage, c’est de réduire l’organisation matérielle du bac et surtout, de favoriser les élèves qui travaillent avec régularité et assiduité. L’introduction du contrôle continu va désavantager le simple "bachotage" ponctuel qui n’apporte aucune connaissance sur le long terme.
La principale objection serait de considérer qu’il y aurait des inégalités de notation en fonction des lycées. La subjectivité des notations est un vieux débat dans l’Éducation nationale. Néanmoins, rien ne permet d’affirmer que cette subjectivité en contrôle continu serait supérieure à celle existant déjà avec les épreuves actuelles en fin de Terminale. Les correcteurs reçoivent de toute façon des consignes provenant du rectorat et elles sont appliquées plus ou moins bien selon chaque personne. L’anonymat de l’élève étant respecté même en contrôle continu, les conditions restent donc identiques à celle du bac actuel. Il est d’ailleurs spécifié : « Une harmonisation sera assurée. ».
Seulement six épreuves feront objet d’un examen final : les épreuves anticipées, écrites et orales, de français continueront à se dérouler à la fin de l’année de Première ; les deux épreuves portant sur les disciplines de spécialité auront lieu juste après les vacances de printemps de Terminale ; à la fin de l’année de Terminale, tous les candidats auront les mêmes épreuves, l’écrit de philosophie et le "grand oral".
3. Le "grand oral" du baccalauréat
C’est une innovation majeure, probablement plus symbolique que conséquente sur l’obtention même du baccalauréat, puisque qu’il ne comptera que pour 10% de la note finale. Il pourra cependant faire la différence pour une mention.
Cet "oral terminal"ou "oral final" devant un jury de trois personnes (dont une non enseignante) durera 20 minutes et sera divisé en deux partie : la présentation d’un projet préparé dès la classe de Première par l’élève et adossé à une ou deux disciplines de spécialité, et une partie d’échanges avec le jury « permettant d’évaluer la capacité de l’élève à analyser en mobilisant les connaissances acquises au cours de sa scolarité, notamment scientifiques et historiques ». À la notion de "grand oral", il faudrait donc plutôt songer à celle de "soutenance de projet".
En me référant moi-même à mes années lycéennes, je pourrais imaginer qu’une telle annonce m’aurait fait frémir. La timidité (heureusement temporaire) et l’absence de préparation à l’oral m’avaient rendu très angoissante toute épreuve orale. Or, ce n’est pas dans un état de stress et de peur qu’on peut montrer la valeur de ses compétences ou connaissances.
En début d’école d’ingénieur, il est courant qu’on dise aux étudiants que dans leur vie professionnelle, la moitié de leur temps d’activité sera occupée par la communication (écrite et surtout, orale) : rapports, réunions, présentations de projet, négociations, etc., tout ce qui détermine l’évolution tant de la carrière que des activités est dans la communication. Sans compter évidemment les entretiens de recrutement, les épreuves orales à certains concours ou examens d’entrée ou de fin d’études (IEP, ENA, soutenance de thèse de doctorat, etc.).
C’est justement à cause de cette angoisse que cette épreuve doit avoir lieu : « Savoir s’exprimer dans un français correct est essentiel pour les études, pour la vie personnelle et professionnelle. Parce que l’aisance à l’oral peut constituer un marqueur social, il convient justement d’offrir à tous les élèves l’acquisition de cette compétence. ».
L’idée, c’est effectivement que dès la classe de Seconde, le lycéen soit amené à être préparé à cette épreuve orale. Ainsi, en Seconde, l’élève bénéficiera chaque semaine de 2 heures d’accompagnement personnalisé consacrées à la consolidation de l’expression écrite et orale.
Comme l’a expliqué Jean-Michel Blanquer lors de "L’émission politique" animée par Léa Salamé sur France 2 le 15 février 2018, l’idée n’est pas que le jury soit "sadique" mais qu’il soit au contraire bienveillant vis-à-vis du candidat, pour qu’il puisse exprimer ses connaissances ou ses idées dans les meilleures conditions.
Les Français qui ont déjà travaillé avec les Américains, dans des conditions professionnelles où l’on ne fait "pas de cadeau", ont pu s’en rendre compte : les Américains sont bien plus équipés pour user d’une communication efficace et parfois s’imposer même s’ils n’ont pas raison. Le faire-savoir est malheureusement aussi important, parfois plus, que le savoir-faire et le faire tout court. Si la classe politique en France est assez complétente dans ce faire-savoir, ce n’est pas le cas de tous ceux qui travaillent en France et cette carence pourrait même avoir son coût économique dans la perte de marchés, dans l’arrêt de certains projets, etc.
Objectif 2021
Cette réforme va concerner tous les élèves actuellement de Troisième et ceux plus jeunes. Le nouveau baccalauréat sera appliqué à partir de juin 2021. La réforme se fera donc sur trois ans avec un nouveau parcours lycéen qui commencera à la rentrée 2018 en classe de Seconde. La classe de Terminale sera d’ailleurs appelée, à partir de la rentrée 2020, la "classe de maturité".
Il sera difficile de voir les premiers effets de cette réforme avant la fin du quinquennat d’Emmanuel Macron. En effet, il faudra attendre véritablement en été 2024 pour connaître le taux de réussite des étudiants en licence ayant obtenu ce nouveau baccalauréat.
Comme on le voit, une meilleure réflexion sur l’orientation au moment du lycée permettrait probablement une meilleure stratégie d’études supérieures après le bac. Car c’est cela l’essentiel : l’absence de motivation, l’absence d’objectifs professionnels ont fait souvent que de nombreux étudiants errent dans une filière universitaire ou une autre, souvent sans réussite diplômante et avec un grand gâchis tant humain, temporel que financier (des étudiants et aussi de l’État).
Évidemment, cette réforme ambitieuse et audacieuse ne pourra être menée à bien qu’avec la participation et le soutien de tout le corps enseignant, car ce seront les enseignants qui la feront vivre et qui la feront évoluer, puisqu’elle permet une grande souplesse.
Quant aux établissements d’études supérieures, ils devront aussi d’adapter et revoir leur réflexion et leur stratégie d’admission de leurs futurs étudiants, dont le parcours aura été bien plus individualisé qu’auparavant.
La réforme Blanquer est donc très ambitieuse car elle nécessite l’appui de tous les acteurs de l’éducation et de l’université. Elle sera un élément de réponse intéressant à la perpétuelle interrogation sur la finalité des études : à but culturel ou à but professionnel. Je répondrais simplement : les deux, pardi !
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (23 février 2018)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La présentation complète de la réforme Blanquer du 14 février 2018 (à télécharger).
Le rapport de Pierre Mathiot sur le baccalauréat remis le 24 janvier 2018 (à télécharger).
La réforme du baccalauréat.
Jean-Michel Blanquer.
Prime à l’assiduité.
Notation des ministres.
Les internats d’excellence.
L’écriture inclusive.
La réforme de l’orthographe.
La dictée à l’école.
La réforme du collège.
Le réforme des programmes scolaires.
Le français et l’anglais.
La patriotisme français.