Le BVP dans l’arène médiatique

par Jean-Paul Richier
mardi 7 août 2007

Le Bureau de vérification de la publicité s’oppose à la diffusion d’un message télévisuel contre la corrida. Cet organisme, en réalité pure émanation du monde publicitaire, a curieusement une mission de service public consistant à statuer non seulement sur les spots publicitaires mais également sur les messages d’intérêt général réalisés notamment par les associations et les ONG. L’argumentation présentée par le BVP dans cet exemple sur la corrida apparaît à l’analyse floue, incohérente, contradictoire, arbitraire voire erronée. La légitimité et la compétence de cet organisme pour porter un jugement sur les messages d’intérêt général apparaît une fois de plus extrêmement problématique.

Rappel des faits

Fin juillet, une colère du chanteur Renaud a permis de mettre au jour une censure exercée par le BVP (Bureau de vérification de la publicité) dont les divers médias écrits et audiovisuels français se sont fait l’écho. Renaud, engagé dans la lutte contre la tauromachie, avait prêté sa voix à un spot anticorrida de 30 secondes pour la Société protectrice des animaux (SPA), en collaboration avec le Comité radicalement anti-corrida (CRAC) et la Fédération des luttes anti-corrida (FLAC).

Le BVP a émis de façon répétée un avis défavorable à la diffusion de ce spot, malgré des remaniements successifs. On peut visionner les spots et prendre connaissance de l’argumentation du BVP sur le site de la SPA.

Qu’est-ce que le BVP et quel est son rôle ?

Chacun connaît de nom le Bureau de vérification de la publicité, et sait plus ou moins qu’il s’agit de l’organisme chargé de contrôler la publicité.

Cliquons sur la page d’accueil du BVP.

Sur le bandeau en haut de l’écran, défilent des mots : "engagement"... "sécurité"... "éthique"... "dignité personne humaine"... "confiance"... "loyauté"... "concertation"... On aura reconnu une banale ficelle de l’art publicitaire : l’accumulation creuse de mots clés.

A comparer avec la saine austérité du site du CSA.

En effet, le BVP n’est qu’une association (1901) de professionnels de la pub, dont la mission pour le moins oxymorique consiste à «  mener une action en faveur d’une publicité loyale, véridique et saine  ».

Et pourtant, de façon assez saugrenue, les régies des chaînes de télé ne diffusent que les spots assortis de l’Imprimatur du BVP.

Que les professionnels de la pub jouent à se doter d’un « Ordre » et se donnent de l’importance en prétendant veiller à ce que les réclames pour les bagnoles ou les crèmes rajeunissantes ne choquent pas trop les cerveaux des consommateurs et soient compatibles avec les lois, ça touche l’une sans faire bouger l’autre.

Que les pouvoirs publics aient confié au BVP (depuis 1992) une mission de service public qui devrait revenir au CSA (lequel se contente de contrôler a posteriori), j’imagine que c’est un moyen pour l’Etat de faire des économies, pourquoi pas, mais bon...

Mais là où ce système devient hautement pervers, c’est que le ramassis de guignols qui grenouille, oups, je veux dire l’aréopage d’experts qui officie au BVP a également compétence pour émettre son Nihil obstat sur les messages proposés aux chaînes de télé par des organismes à but non lucratifs !

Ils ont déjà censuré des ONG comme Amnesty International en 1996 sur la Chine et en 1999 sur les Etats-Unis, au prétexte notamment d’éviter de nuire aux bonnes relations entre Etats. Certaines mauvaises langues supposaient que leur souci réel consistait en fait à éviter de nuire au commerce entre Etats. Ou comme Reporters sans frontières en 2005, au prétexte d’une violence qui pouvait choquer. De mauvaises langues pourraient supposer que la politique déontologique du BVP se réduit à éviter dans la mesure du possible que le « temps de cerveau humain disponible » soit perturbé à l’écran par des messages pouvant détourner l’attention du consommateur de l’essentiel, à savoir les télécoms ou les déodorants.

Inutile de préciser que tout spot dirigé contre la consommation fait l’objet d’une censure systématique par le BVP, comme le film de la Journée sans achat en 1999 ou le film du CCCP (Comité des créatifs contre la publicité) réalisé en 2000 pour la Semaine sans télévision. Au prétexte que les auteurs appelaient au boycott, ou encore plus simplement qu’ils n’étaient pas habilités à faire de la publicité (!)

Au-delà de la poudre au yeux et des risettes, au-delà de la fausse insolence et de la provocation à trois sous, d’aucuns pourraient prétendre (loin de moi cette idée, cela va sans dire) que le système publicitaire est à l’évidence fondamentalement totalitaire. On ne rigole pas avec les gros sous.
Pourtant, comme son nom l’indique, le Bureau de vérification de la publicité a pour objet pour la télévision de vérifier les « films *publicitaires* », ainsi qu’il le rappelle lui-même.


Et le décret du 27 mars 1992, cadre d’action du BVP, définit précisément dans son article 2 comme publicité «  toute forme de message télévisé diffusé contre rémunération ou autre contrepartie en vue soit de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris ceux qui sont présentés sous leur appellation générique, dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit d’assurer la promotion commerciale d’une entreprise publique ou privée.  »
Par ailleurs il distingue clairement dans son article 14 «  Les messages d’intérêt général à caractère non publicitaire tels que ceux diffusés dans le cadre des campagnes des organisations caritatives et des campagnes d’information des administrations  ».


Il serait donc impératif que l’évaluation des messages d’intérêt général, non publicitaires, soumis par les organismes à but non lucratif (associations, ONG...) revienne au CSA, et que le BVP en reste à ses banques et ses nettoyants WC.

On peut toujours contester le CSA (qui n’est certes pas à l’abri des pressions), mais au moins c’est une institution publique dont les membres sont nommés par les élus (le président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale), et non par les marchands de soupe, euh, pardon, les professionnels de la communication.

En quoi consiste l’argumentation du BVP dans cette affaire du spot anti-corrida ?

Je vous invite donc à visionner les spots sur le site de la SPA (si vous n’aviez pas d’avis déterminé sur la corrida, ça peut vous aider à décider), et à lire les 2 avis (1er et 3e) du BVP reproduits, c’est vite fait.

Le 1er refus du BVP se base sur trois arguments :

I) La référence au «  préjudice à l’ensemble des intervenants d’un secteur (ici, métiers du tourisme, intervenants du secteur de la tauromachie etc., toutes personnes physiques ou morales qui tirent intérêt à une activité autorisée)  ».

Soyons charitable envers l’auteur de cette note, dont les mauvais esprits pourraient insinuer que la compétence en français semble à hauteur de sa compétence en droit, et ne relevons pas qu’on ne tire pas intérêt « à » mais « de » quelque chose.

Précisons qu’il s’agit là d’une sorte de jurisprudence interne, nullement évoquée dans les textes réglementaires.

En tout cas, ceci appelle deux réponses :

A) il n’est pas démontré que les métiers du tourisme ont plus à gagner qu’à perdre ;

1) les corridas en France sont organisées quasi exclusivement dans le cadre de fêtes locales (des ferias), et les touristes qui viennent aux ferias n’assistent que très minoritairement à des corridas. En revanche, il est hors de doute qu’une clientèle potentielle s’abstient de fréquenter les ferias à cause de la référence aux corridas, tous les sondages réalisés sur la question montrant que la corrida est réprouvée par une très large majorité de la population ;

2) les taureaux massacrés en France dans des arènes proviennent très majoritairement d’élevages espagnol et portugais ;

B) en ce qui concerne le mundillo, le petit monde directement lié à la tauromachie, l’argument économique est pitoyable. Ceci signifie tout simplement que le BVP s’opposerait à un spot mettant en question la vente d’armes à des pays totalitaires au motif des répercussions économiques dans le secteur des marchands d’armes ;

II) la référence à «  certaines images de nature à heurter le public » avec « nombreuses photos explicites, "difficiles à supporter" de douleurs.  »

Là encore, soyons charitable, ne relevons pas la curieuse expression « photos de douleurs ».
Evidemment, nous sommes dans le cas de figure difficile à gérer où, pour dénoncer quelque chose de choquant, il est difficile d’éviter de choquer.

La Sécurité routière l’a bien compris, et dans l’ensemble on n’a pas contesté le bien-fondé de certains spots qui n’y allaient pas avec le dos de la cuillère. Evidemment, ces campagnes d’information des administrations ont bénéficié de l’indulgence du BVP (c’est la moindre des choses) malgré le « préjudice aux intervenants du secteur » de l’automobile, et le dérangement de l’attention des consommateurs au moment sacré de l’écran publicitaire.

Admettons qu’on veuille préserver les âmes sensibles, il suffit de faire précéder le spot d’une message d’avertissement genre «  Attention, le message qui va suivre contient des images de corrida qui peuvent choquer les enfants et les personnes sensibles » ;

III) le commentaire prévu en voix off , qui «  interpelle le public sur le bien fondé d’un texte de loi ce qui est contraire aux articles 3 et 5 du décret du 27 mars 1992 ».

L’article 3 dit «  La publicité [...] ne peut porter atteinte au crédit de l’Etat  », et l’article 5 dit «  La publicité ne doit contenir aucun élément de nature à choquer les convictions religieuses, philosophiques ou politiques des téléspectateurs  ».

On reste carrément perplexe devant cette interprétation du texte réglementaire.

Mettre en question « le bien-fondé d’un texte de loi » est tout simplement l’essence de la dynamique démocratique. Il ne s’agit pas d’un appel à la transgression, mais d’un appel à modifier la législation. Les citoyens sont fondés à demander à leurs députés les évolutions législatives qu’ils pensent légitimes. Et le juriste du BVP, dont les citoyens mal intentionnés pourraient se demander dans quel paquet de lessive il a dégoté son diplôme, semble ignorer qu’il s’agit en l’espèce d’appeler à l’application de la loi sur tout le territoire français, en supprimant les dérogations locales (l’autorisation de la corrida dans onze départements du Sud).

Vous avez dit « crédit de l’Etat » ?...

Le 3e refus du BVP est ainsi rédigé :

« Le problème lié au texte dit par Renaud subsiste, ainsi le commentaire assimilant à de la barbarie des manifestations autorisées accompagnés de mugissements de détresse et de douleur du taureau sont bien de nature à choquer le public et porter préjudice à l’ensemble des intervenants de ce secteur, particulièrement au moment où les corridas sont organisées  ».

Restons toujours charitable sur la clarté de la rédaction. Cependant, si quelqu’un peut me dire, dans la construction de cette phrase, quel est le substantif auquel se rapporte « accompagnés de mugissements » et quel est le sujet grammatical de « sont bien de nature », je suis preneur. Pas à dire, le rédacteur, outre qu’il donne l’impression naturellement erronée de s’y connaître en droit comme moi en puits quantiques semi-conducteurs, ne jouit pas de la netteté d’esprit qu’on attend généralement au minimum d’un juriste.

Du coup on ne sait plus très bien ce qui est « de nature à choquer le public  » : «  les mugissements de détresse et de douleur », «  le commentaire assimilant à de la barbarie des manifestations autorisées », ou encore «  le commentaire [...] accompagnés (sic) de mugissements  » ?...

Après tout, on peut concevoir que notre brillant expert s’emmêle les pédales, puisqu’il paraît englué dans le paradoxe consistant à dire que les seules images et les seuls sons de taureaux suppliciés sont insupportables, mais que Renaud n’a pas le droit de parler de barbarie.

Enfin, on retrouve le fameux «  préjudice à l’ensemble des intervenants de ce secteur  », cela, se croit obligé d’ajouter dans sa rafraîchissante candeur notre éminent juriste, «  particulièrement au moment où les corridas sont organisées  ». No comment.

Bref, l’éthique dont se gargarise le BVP se résume-t-elle en une phrase : ne rien permettre qui risque de nuire au commerce ?

Une bien belle devise qui imposerait le respect envers ce bien bel organisme.


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