Le chômage, la solution à la crise

par Viciss
jeudi 6 février 2014

[ Avertissement : cet article est excessivement long, nous vous l'accordons. Nous en sommes sincèrement désolés, mais il nous semblait impossible d'exprimer des idées, des réflexions parfois complexes en 140 caractères. Un thème comme le chômage méritait qu'on s'y attelle très longuement. À vous de juger si la lecture en vaut la peine, rien ne vous empêche de vous arrêter à mi-chemin, vous êtes libre de lire ou non ce pavé. Nous vous remercions de votre attention et espérons être à la hauteur de celle-ci. Pour plus de facilité de lecture, voici un PDF épuré de l'article. ]

Le chômage était le plus grand fléau de notre siècle : ces courbes sans cesse grimpantes, bien qu’habillement manipulées pour paraître moins hautes, affolaient les politiques et les citoyens.

Perdre son emploi était devenu la crainte numéro un et le salarié battait la mesure avec les statistiques du chômage. Chaque vague de licenciement massif augmentait le zèle, la soumission, la servitude volontaire et l’acceptation de toujours plus d’aliénation chez les salariés les plus craintifs.

Le chômage, pour le salarié craintif, c’était un territoire obscur, dangereux où seule la mort sociale attendait ceux qui y étaient jetés. Il se disait qu’on y perdait tout : argent, relations sociales, reconnaissance, activités.

Le chômage, c’était l’exclusion, être chômeur c’était être un intouchable, comme en Inde : c’était être hors-caste, ne pas avoir d’emploi, c’était être impur. "Toucher des allocs’ ", seul fait notable du chômeur pour la société, était considéré comme une sorte de perversion déflorant en douce la pureté de la société. Le chômeur, et, pire que tout, le bénéficiaire du RSA, était considéré comme des parasites immondes, des sangsues suçant l’essence de la république, donc volant les honnêtes travailleurs. Le chômage était le cancer de la société, s’abattant sur les travailleurs puis les corrompant, les transformant au passage en d’infectes feignasses.

À mesure que le territoire chômage s’étendait, celui du travail prenait de la valeur : travailler, c’était faire quelque chose de sa vie, c’était pourvoir être fier de sa vie, c’était la seule façon de se construire, de construire et d’être reconnu en tant qu’homme digne de ce nom. Jamais on n’avait autant vanté les vertus innombrables du "travail" dont pourtant l’étymologie "tripalium" désignait un instrument de torture.

Dans les médias, les chômeurs étaient parfois amenés à témoigner de leur lamentable état : ils disaient souffrir mille et un maux, de la dépression au désespoir, de leur solitude à leur misère. Ils tentaient de restaurer leur image en racontant leur rôle à plein temps de "chercheur d’emploi", prouvant ainsi que bien qu’exclu, ils faisaient tout pour retrouver une place correcte dans cette société. Leurs souffrances étaient réelles, les enfers qu’ils traversaient n’étaient pas que façades.

Les médias, les politiques et certains travailleurs aimaient à entendre ce discours du chômeur malheureux ne souhaitant que retrouver le chemin de la normalité salariale : ce point de vue là, de chercheur d’emploi, satisfaisait leur propre vision du monde "Travail = bien et bonheur ; Chômage = mal et malheur" ; cela corroborait avec leurs plans , cela valorisait leur propre statut supérieur de travailleur, cela collait à leur vision du monde. Leur vision erronée du monde.

Dans les emplois précaires et fugaces qu’occupaient parfois les chômeurs, à la pause, ça discutait et se disait tout haut une vérité taboue : le travail était une expérience sympathique, parfois totalement aberrante dans ces activités, mais avec une certaine forme de chaleur humaine, très conviviale pour se lier avec des inconnus. On dit que la fatigue fait les mêmes effets que l’ivresse, alors le contact humain ressemblait parfois à une fin de soirée, avec ces échanges délirants, ces fous rires et ces explosions de violence inattendues. Le travail, c’était sympa, surtout pour l’argent, mais fallait pas pousser mémé dans les orties. Le travail méritait son étymologie d’instrument de torture. A contrario, cet enfer de chômage était mille fois plus passionnant et la vie semblait vraiment commencer quand on terminait son contrat.

Une fois la pause café passée, le collègue reparti, les précaires n’en parlaient plus. Le secret du chômage heureux était tabou, on ne pouvait pas aborder le sujet avec des non-initiés au chômage et à la précarité sans craindre le rejet, l’incompréhension, les accusations, les regards dédaigneux voire les insultes. Le chômeur ne pouvait pas décemment se montrer heureux en société, même s’il l’était.

Mais pourtant, à mesure que les courbes évoluaient, de plus en plus d’intouchables de tout horizon professionnel partageaient cette même vérité :

Le paradis travail, qui été sensé apporter reconnaissance, construction de soi, sens et abondance, n’était qu’un enfer apportant fatigue, usure physique et mentale, aliénation, perte de soi, servitude, ennui, stress… Tout ça pour quelques billets.

L’enfer chômage, qui ne devait apporter que ruine, exclusion, ennui, perte de sens étaient en fait d’une richesse étourdissante, apportant une liberté inimaginable pour le salarié de longue durée et le chômeur néophyte.

La crise était une aubaine, une occasion de se reconstruire et par là même de construire un nouveau monde, libéré du travail, libéré des fictions de la consommation, libéré de l’emprise mentale des puissants.
Le chômage mettait à jour les mensonges du capitalisme, offrait un nouveau regard sur la vie : le chômeur, s’il parvenait à s’extirper de la pression sociale, des idéologies mensongères des puissants, pouvait alors reconquérir son temps, son âme et son corps, et agir, changeant par petites touches son monde, avec un bonheur solide, car complètement indépendant du matériel. Les chômeurs étaient en fait l’avenir de la société, les chômeurs étaient la solution à la crise.

 

"Non, non et re-non ! Le travail c’est bien, le chômage c’est mal !"

 

Le travail paradisiaque et le chômage démoniaque

La société considère que le travail salarié (c’est-à-dire avec contrat, bulletin de salaire, etc. ; pas le "travail" en tant qu’activité) a pour vertu de subvenir à tous nos besoins :

 Il faut donc avoir absolument un travail. C’est la norme pour être dans la société, être reconnu par elle, pour exister pleinement, parce que seul le travail comble tous les besoins nécessaires à une vie humaine sereine.

Au vu de ces considérations, le chômeur ne peut donc pas être un chercheur d’emploi, parce qu’il ne peut combler aucun de ces besoins sans le travail salarié, il doit être extrêmement mal en point.

Or, certains salariés se précipitent volontairement au licenciement, certains salariés ne travaillent que le temps qu’il faut pour bénéficier du chômage, certains chômeurs semblent ne faire aucun effort pour être dans ce rôle de "chercheur d’emploi". Pires que tout, certains chômeurs semblent se complaire de leur situation !

L’interprétation la moins réfléchie est donc que ces chômeurs-là (ou ces travailleurs visant le chômage) sont des fainéants sans ambitions autres que de glander, dormir, puis re-glander. Qu’auraient-ils d’autre à faire, puisque le travail c’est tout ?

Donc, il faut les pousser à travailler (pôle emploi), il ne faut pas les inciter à la paresse (en baissant les allocations voire en les supprimant) et les forcer à travailler (instaurer une nouvelle loi forçant le bénéficiaire du RSA à travailler pour la collectivité).

Nous avons ici une vision du chômeur fainéant : le chômage serait de sa responsabilité, il entretiendrait volontairement cette non-activité. Le chômeur serait donc à l’image du salarié épuisé qui, vidé de ses forces, ne peut que glander devant la télé ou dans son lit. Excepté qu’il ne travaille pas, donc qu’il ne mérite pas ce repos.

Mais il faut bien être aveugle pour croire que le chômage ne tient qu’à cause de la volonté de glander de ces chômeurs.

Dans une autre vision, parfois cumulée avec la précédente, le chômage serait comme une maladie : le foyer d’infection se trouverait dans les entreprises en crise ou dans celles boulimiques de profit. N’importe quel salarié pourrait alors être touché par ce drame atroce, les mauvais employés comme les bons, les vieux comme les jeunes, les cadres comme les ouvriers, etc.

L’allocation, dans cette vision, est tolérée, étant donné que ce n’est pas de la faute du chômeur s’il est au chômage. La sanction n’est également pas bien vue, mais par contre il faut l’aider pour contrer ce coup du sort : bilan de compétences, formations, stages, reconversion… Le pôle emploi passe donc du père Fouettard au coach réaliste qui redirige les malheureux vers des emplois plus accessibles.

Le chômeur ici se doit donc d’être un bon chercheur d’emploi. De toute manière que pourrait-il faire d’autre ? Cette vision, c’est celle du chômeur victime.

On pourrait attribuer ces deux visions à la droite et la gauche, mais au fond, ces visions ne diffèrent pas l’une de l’autre, ce ne sont que des détails dans la façon de percevoir le chômeur fainéant ou victime.

 Une métaphore du travail et du chômage

Prenons une métaphore idiote pour nous expliquer et résumer : le salarié serait l’homme complet, avec ses deux mains en activité ; et le chômeur privé d’emploi aurait sa main droite dans le plâtre.

 

 On constate que dans les deux visions, la perception est la même : le chômeur est privé de l’usage de sa main droite et c’est un problème.

Le chômeur partirait donc en quête d’un autre emploi pour sa main droite, en usant de toutes ces forces pour convaincre que, bien qu’il soit actuellement dans le plâtre, cette main est capable de servir les nobles desseins des employeurs. Cette main aura été préalablement "réparée" par des formations, des reconversions et le chômeur aura revu à la baisse les ambitions de sa main : elle sait écrire, mais elle peut acquérir la corne nécessaire aux travaux physiques.

Son rôle de chercheur d’emploi légitimera son plâtre à la société, aux proches et moins proches : "au moins, il essaye de s’en sortir, lui." Il mérite donc l’allocation attribuée. C’est comme si, pour l’accidenté, on trouvait honnête de lui lacer ses lacets s’il avait bien suivi sa rééducation ; mais par contre qu’on le traitait de grosse feignasse, de profiteur s’il ne suivait pas les consignes du kiné, même si le kiné en question est incompétent et que suivre ses conseils est plus dangereux que profitable ( Attention on ne dit pas que le chômeur est un handicapé, patience avant de crier, il faut lire jusqu’au bout, au moins cette section, courage, on y arrive !).

Or d’autres personnes aimeraient avoir ce plâtre, ils aimeraient ne rien faire et ils se complairait à voir les travailleurs s’épuiser pour lui offrir le luxe du glandage. Donc, il faut les forcer à péter ce plâtre et activer cette main valide, mais fainéante.

Voilà pour la métaphore. Le discours peut être plus nuancé, plus subtil, plus dense, mais nous avons volontairement simplifié afin que les erreurs de ces raisonnements apparaissent clairement : le chômage, c’est la main droite en plâtre et la main gauche on n’en parle pas (la main gauche étant toute la vie qui n’est pas salariée, qui n’est pas lié à une activité publique).

Gauche, droite, extrême gauche, extrême droite, les verts, centre… tous sans exception partagent cette même opinion : il faut trouver un emploi salarié à cette main droite, un emploi qui lui permettra de consommer plus (= bien être + bonheur) et donc de faire croître et prospérer le pays. Or, même les végétaux et les animaux savent qu’à un moment donné, il faut s’arrêter de croître, s’arrêter de chasser, s’arrêter de vouloir être toujours plus grand, pomper toujours plus de ressources. Cette idée de croissance infinie est ridicule, insensée, même les bébés, ces mangeurs raisonnables, savent intuitivement s’arrêter de consommer quand leurs besoins sont assouvis. Mais ne nous emballons pas encore avec de nouvelles métaphores, nous avons suffisamment à discuter.

Reprenons à présent les arguments des objecteurs de chômage/ des chômeurs.

 "Le chômeur est responsable de son non-statut -> il ne fait pas d’effort -> c’est un fainéant> il faut le punir"

Une vision erronée du chômeur fainéant

Généralement les tenants de cette position auront pour argument les chiffres des emplois non pourvus (500 000 est un chiffre qui revient souvent) ; ils parleront des étrangers qu’on fait venir travailler sur nos chantiers ; ils parleront de l’immigration qui occupe les métiers de bas statut, prouvant que les chômeurs sont des fainéants.

Ils préconisent donc la punition, la baisse ou l’annulation de ces allocations afin de les forcer à travailler.

Mais le chômeur n’est pas responsable de son état. Explorons quelques causes précipitant au chômage ou forçant à y rester (cette liste n’est pas exhaustive) :

Les machines font le sale boulot à notre place, donc il y a moins d’emplois. Elles ne font pas ce travail qui apporte la reconnaissance, le sentiment d’être utile et dont l’activité est source de plaisir. Elles font des tâches répétitives comme poser précisément tel objet sur un tapis d’usine. C’est pour cela que nous avons bien dit "grâce" à l’automatisation : ce sont des dizaines de milliers d’emplois tous plus pénibles les uns que les autres qui ont été éradiqués. C’est une vraie évolution qu’on devrait applaudir et certainement pas regretter. Le chômage dû à l’automatisation est formidable, il permet à des milliers d’existences de ne pas être prisonnière de la chaîne, de l’enfer de la répétition d’actes totalement dénué de sens. Il ne faut certainement pas lutter contre ce chômage-là, bien au contraire, il faut l’encourager, il faut que l’automatisation gagne tous les secteurs si pénibles des industries, il faut que l’homme réussisse par la technique à se libérer de ces labeurs qui l’ont tué par le passé. Non seulement ici le chômeur n’est pas responsable de son licenciement, mais ce devrait être un aboutissement profitable pour lui aussi :

Cela mérite amplement la retraite qu’est le chômage étant donné la dureté de ces métiers qui peuvent être automatisés.

La société en devrait être admirative, car on trime pour en finir avec quelque chose. Tout labeur a une fin et une issue qui devrait être favorable : si on se décarcasse à cultiver des légumes, puis à les découper en fines lamelles, c’est pour se faire un bon repas, en profiter. S’il n’y a pas d’issue, la répétition de la galère que peut être le travail n’a pas de sens, même s’il y a un salaire. Donc, quand ce quelque chose est fini, cela devrait être une victoire pour tous, pas simplement pour l’entreprise qui licencie. Cette victoire devrait commencer par accepter que ces chômeurs ex-rouages aient largement gagné leur droit de ne plus être un robot pour un temps. Ce ne sont pas des assistés, ce sont de jeunes retraités qui méritent leur retraite et qui devraient même être plus payés pour cela.

La main d’œuvre est moins chère ailleurs, notamment parce que ces droits sont limités, parce que ces journées de travail sont celles d’un esclave. Le problème est complexe, parce qu’il est d’ordre international. Cependant, ce n’est pas parce que nous avons le droit d’avoir des pauses et des journées de travail de moins de 10 heures (en principe), dans des conditions moins meurtrières que cela fait de nous d’ignobles nantis : c’est une chance que nos contrées aient évolué et cela n’empêche pas qu’une large partie des salariés triment encore violemment. Il est totalement insensé de régresser sur nos droits pour récupérer ces emplois. Le chômeur licencié pour délocalisation n’est encore aucunement responsable de son état. C’est parfois même tout son corps de métier qui n’est plus accessible dans le pays (on pense au textile par exemple). Est-il pour autant en faute ?

 

 Faudrait-il que le chômeur renonce aux progrès sociaux de son pays en acceptant un salaire de 400 euros pour des journées de 12heures ? (une généreuse estimation) Ce serait comme imposer à un arbre ayant acquis une taille raisonnable de devenir un bonzaï : on lui scierait le tronc, les branches, on rafistolerait le tout et au final on se retrouverait avec un cadavre d’arbre. Le bonzaï quant à lui est torturé dés la naissance, il est forcé à ne pas demander trop d’espaces et chacune des branches trop ambitieuses est bien évidemment coupée : c’est le régime qu’ont les citoyens des pays délocalisés, ils sont empêchés, bridés depuis toujours. Certains brutalistes pensent qu’il faut faire de nous des bonzaïs, que nos branchages sont extravagants, irréalistes, mauvais pour la forêt. Il faudrait qu’on souffre à nouveau, qu’on fasse souffrir les autres, qu’on baisse la tête et qu’on se satisfasse des coups de fouet. Fort heureusement, tout le monde ne perçoit pas les relations sociales comme celle d’un club sado-masochiste.

Certaines entreprises, avec la hausse du chômage, en profitent pour devenir extrêmement exigeantes notamment en ce qui concerne les diplômes de leurs recrues. D’un autre côté, il a été créé quantité de diplômes, formations, pour valoriser certaines compétences, certains savoirs : on trouve maintenant des diplômes d’agent d’entretien, des formations apprenant à ramasser des tomates, des cours pour apprendre à se laver les mains (pour l’usine), etc.

Ces diplômes, ces formations sont devenues des conditions nécessaires pour postuler à l’emploi, donc il est devenu impossible de trouver un emploi en fonction de compétences non validées par la bureaucratie, parce qu’il faut à chaque fois le bon diplôme, aussi farfelu et spécifique soit-il (on n’a pas encore vu de poste réclamant la formation "lavage de main" mais cela ne saurait tarder).

Cette situation est absolument ridicule, car quantité d’emplois s’apprennent sur le tas (et l’apprentissage en condition est plus efficace) ou n’ont besoin d’aucune formation (agent d’entretien de base par exemple).

De même, il est nié par les employeurs et pôle emploi la polyvalence et les qualités des diplômes traditionnels : tous ceux qui sont passés à l’université, pour un DEUG ou plus, ont tous des capacités de gestion, d’organisation, de rédaction, de rigueur méthodologique, d’usage de l’outil informatique. Ils pourraient tous aisément devenir secrétaires et même apporter un grand plus en terme de créativité, d’imagination, de rigueur et de sérieux. Mais non. Il faut le BTS ou le Master à l’intitulé exact du poste…

Le secteur public est aussi touché par cette méconnaissance du diplôme, allié à une idée farfelue de la réalité : il faut, pour être instituteur, avoir un bac +5, ce qui est une aberration totale au vu de la fonction et notre société d’information, où les connaissances sont accessibles en un clic. Un élève de CP n’a pas besoin d’une encyclopédie vivante face à lui, il a besoin d’une personne qui a des compétences humaines, la passion d’apprendre, la capacité et la patience d’être un bon pédagogue. Tout autant de qualités qui ne s’apprennent pas dans les amphis. On nous répliquerait que cette hausse du diplôme a été instaurée pour qu’il y ait moins foule aux concours de profs. C’est réussi. Mais est-ce que les profs en seront meilleurs ? Le temps passé à la fac, la tête dans la théorie c’est un temps perdu en travail face à l’humain et ces vraies difficultés. (Attention nous ne disons pas que les études universitaires sont inutiles, bien au contraire ; nous ne disons pas non plus que les profs bac+5 sont moins bons que ceux bac+3. Nous disons simplement que le processus de sélection est totalement aberrant et ne sert en rien à servir la réalité du métier. "on ne nous a pas préparés à ça" ont coutume de dire certains profs de zones difficiles, c’est ce "ça" auquel il faudrait préparer).

Les grands oubliés dans cette question sont les autodidactes, les talentueux qui se sont construit par eux-mêmes et qui recèlent souvent des compétences surprenantes, car "hors-cadre". En cela, les entreprises, le secteur public auraient tout intérêt à les rencontrer… Mais non, l’offre dit "bac+5", le concours, se base sur le théorique pas la pratique même dans les métiers où la pratique est tout, l’offre veut ce diplôme et pas un autre, même si les compétences sont meilleures et plus profitables pour elle. La rencontre fructueuse n’aura jamais lieu et l’entreprise ou l’institution n’évoluera jamais si elle ne permet à des gens "d’ailleurs" d’y inculquer leur savoir différent, leurs compétences passionnées ou leur talent si peu propice à s’exprimer sur un bout de papier.

Tout est à refaire pour la question du diplôme et des formations : cela nécessiterait un très vaste élagage et tri des "bouts de papier", une reconnaissance de la polyvalence des compétences acquises par certains diplômes généraux, d’autres façons de recruter et de sélectionner, etc.

De six mois à six ans d’expérience (voir plus), presque aucune offre intéressante ne comporte le "débutant accepté", excepté pour les métiers qui aiment à endoctriner leurs recrues selon des préceptes relativement malsains (y a encore quelque entreprises normales qui aiment les débutants sans pour autant les zombifier, mais elles sont difficiles à trouver). Les jeunes sont donc totalement coincés, empêchés de joindre certains secteurs et métiers alors qu’ils se sont spécifiquement formés pour ces emplois. Les "vieux" n’y sont pas favorisés pour autant, parce que le jeune expérimenté sera préféré.

On peut se poser la question de la différence entre trois ans et cinq ans d’expérience : en quoi deux années sont-elles si déterminantes ? La différence très claire, c’est la lassitude : plus on aura passé du temps dans un emploi, même si celui-ci est passionnant, plus on en sera lassé. Tout sera devenu certes automatique, ce qui favorise la rapidité correcte d’exécution (quoique beaucoup de métiers ont tout intérêt à être lent et non automatique), mais la motivation ne sera pas la même que celui du débutant qui découvre. En cela, demander 5 années d’expérience est une aberration et ne sert à rien : celui qui a trois ans d’expérience ferait tout aussi bien. Il vaut mieux un inexpérimenté motivé qu’un expérimenté blasé.

De plus l’expérience d’un métier ne fait pas la compétence dans une autre entreprise : on peut être doué dans son métier et ne pas réussir à s’adapter à une entreprise, tout comme on peut avoir passé 5 ans dans une entreprise en ne faisant jamais bien son métier. L’expérience varie en fonction de multiples facteurs différents, que ce soit la personne, l’entreprise, le contexte particulier, etc. En cela, les années d’expérience ne sont pas représentatives, comme elles peuvent l’être dans certains cas.

Au final, ce que l’entreprise croit gagner en temps de formation en demandant beaucoup d’expérience sera tout de même perdu : quand on passe d’une entreprise à une autre, il faut absolument un temps d’adaptation, un temps où la personne cherchera ses marques devra s’intégrer. Elle aura sûrement plus de facilité qu’un débutant, mais cela peut aussi créer des conflits "méthodologiques". Certes ces conflits ne sont pas inintéressants et peuvent être très fructueux, mais il faudrait laisser la place à tous types de personne pour une vraie richesse.

On parle à présent de "réseau", de "cooptage" car le piston, autrefois décrié, est maintenant vendu comme une noble qualité dont il faut se pourvoir, à laquelle il n’y a avoir honte, qu’on soit recruteur par piston ou salarié faisant jouer ses relations. C’est en effet la façon la plus efficace d’être recruté à un emploi intéressant, bien qu’à présent on doit aussi faire jouer ses relations pour être employé dans des secteurs pénibles.

C’est une des causes du chômage, car celui qui n’a pas la chance d’être né au bon endroit : c’est à dire dans un quartier de fils/filles de patrons, qui ne possède pas la tchatche, qui n’a pas la chance de vivre dans le bon endroit (une adresse en banlieue est éliminatoire dans les recrutements pour certains postes), qui n’a pas la chance d’être tombé sur des amis qui ont des amis qui cherchent à recruter n’a même pas la probabilité infime d’être recruté.

On pourrait nous rétorquer que se faire un réseau, c’est un art qui demande du travail et des compétences et qu’en cela, avoir un réseau c’est déjà être méritant. Mais quel est ce travail ? De la tchatche, de la sociabilité, de la communication, des compétences d’éloquence et de la persuasion (on est poli, on aurait pu dire de la manipulation), de la séduction, du contrôle de son image. Est-ce que ce sont des qualités nécessaires pour un bon graphiste ? Non. Est ce que ce sont des qualités qui serviront les métiers créatifs ? Non, excepté quand on est à son compte et qu’on se cherche soi-même des clients.

Les recruteurs, en comptant uniquement sur les pistonnés et ceux qui se sont fait un réseau, recrutent donc en fonction de la faculté à se faire des bonnes relations (et donc de sélectionner ces amis uniquement en fonction des intérêts futurs, donc ce qui élimine l’authenticité et l’honnêteté des rapports sociaux), de l’agilité à se vendre (c’est à dire se faire un bel emballage avant tout, qu’importe l’intérieur du moment que le packaging attire l’œil) donc à soigner les apparences et les communications. Qu’importe le parfum pourvu que le flacon soit beau ou déjà connu.

Ce procédé est donc extrêmement discriminant, injuste et certainement pas profitable à tous les corps de métiers : celui qui passe tant de temps à soigner son réseau et son image, c’est tout autant de temps déduit des ses compétences, de la passion du métier en lui même, de ce qui fait le fond et le cœur de la profession. Mais force est de constater que beaucoup d’entrepreneurs préfèrent livrer de beaux emballages plutôt qu’un bon produit, et ils en font de même avec leurs employés en privilégiant les apparences plutôt que le fond.

Images provenant des message à caractère informatif : http://www.youtube.com/watch?v=ozJmcB-mVgw
c’est très intéressant

Beaucoup de chômeurs seraient enchantés de travailler, même dans des métiers réputés difficiles, mais le grand problème se situe au niveau des contrats de travail proposés : les CDD, les mi-temps (20 heures voire moins), les CDI minuscules (4heures/semaine ; eh oui, ça existe encore…), l’intérim de courte durée, les extra payés au SMIC et même un peu au-dessus qui n’apportent pas d’argent. Pire encore, il enfonce dans l’enfer financier. Prenons un exemple :

La personne travaille à mi-temps pour un CDD de deux mois. Elle gagne en tout 1700 euros pour ces deux mois. Elle a déclaré son changement de situation, ce qui a entraîné une radiation discrète. Il lui faut un mois pour son dossier de réinscription soit pris en compte : donc le mois suivant le contrat, elle perd 500 euros. Mais la plus grande surprise vient de la CAF : celle-ci lui réclame 1800 euros, 1800 euros qu’elle n’a jamais touché durant ces deux mois de travail (elle n’a touché que 600 euros d’APL). Donc si on déduit effectivement les APL touchées, on obtient 1200 euros, mais la CAF fait un savant calcul où le CDD de deux mois se transforme en 4 mois temps plein. "Cela ne vaut pas le coup de travailler dans certaines situations, dit l’agent avec franchise. Pour avoir travaillé deux mois à mi-temps, le chômeur aura gagné 100 euros de plus que s’il n’avait pas travaillé…. Veinard ! Certains serveurs rapportent que s’ils acceptent et déclarent des extra, ils sont déficitaires de 60 euros pour avoir gagné 40 euros.

Le travail salarié dans bon nombre de professions est bien trop mal payé et ces contrats minuscules empêchent de gagner de l’argent suffisamment. Le chômeur pourtant accepte ces contrats, pour travailler, même s’il sait que cela ne mènera à la perte, que c’est déraisonnable. C’est dire l’absence totale de fainéantise de certains chômeurs…

Pourquoi ce stéréotype chômeur=fainéant en l’état actuel du marché du travail ?

Les raisons sont nombreuses , nous ne serons très certainement pas exhaustifs dans notre réponse. Cependant, nous tenions à expliquer une raison qui pousse à haïr le chômeur (parce que nous avons pu l’observer in vivo) : la dissonance cognitive.

Une expérience (Festinger et Carlsmith, 1959) sur la dissonance cognitive a un protocole assez révélateur pour notre problématique. L’expérimentateur ment au sujet de l’expérience en lui disant qu’il va effectuer un travail très intéressant. Or il s’agit de tourner des chevilles en bois d’un quart de tour, encore et encore, pendant une heure.

 Le sujet fait le travail, il est payé et ensuite on lui demande s’il a trouvé le travail intéressant ou non.

Pour expliquer simplement, la dissonance est un bug provoqué par la situation incohérente : le travail est présenté intéressant – il ne l’est pas du tout – et on est mal payé en plus – on n’a donc aucune raison de l’avoir accepté et continué ; contrairement à l’autre condition qui est plus cohérente, car on est bien rémunéré en fonction de la pénibilité, donc le mensonge premier de l’expérimentateur n’a pas de prise. Dans la situation d’incohérence, l’individu cherche une cohérence et il la trouve dans le mensonge de l’expérimentateur qu’il répète à nouveau, ce qui résout la question de la mauvaise rémunération ("ce n’est pas grave si c’est mal payé, parce que c’est intéressant").

Cette situation d’incohérence, on la retrouve à l’échelle de la société : on nous ment sur les valeurs du travail, on nous ment sur le fait qu’être travailleur résout tous nos besoins, etc. L’employeur peut rajouter des mensonges par dessus, en promettant des promotions et avantages qui n’auront jamais lieu, etc. Cependant, comme dans l’expérience, le travail est inintéressant, pénible, ennuyeux. Et comme dans l’expérience, on est généralement mal rémunéré en retour, du moins ça ne comble pas tout les besoins de la pyramide de Maslow.

Donc la dissonance cognitive, ce fameux bug d’incohérence, est encore plus énorme que dans la l’expérience. Certains vont donc trouver d’autres points d’attache à leur métier (l’amitié entre les collègues, le fait que ce soit pire ailleurs, etc.) ou encore par cette phrase "c’est mieux que d’être au chômage", "c’est mieux que de rester à rien faire comme tous ces chômeurs".

En effet, la dissonance est résolue se comparant à ces voisins de précarité, en se faisant plus méritant qu’eux.

Comme on le voit très nettement, le problème ce n’est pas le chômage, le chômeur, le problème c’est la dissonance apportée par leur situation, l’incohérence de la situation : on leur dit que le travail c’est bien, ça remplit les besoins > or c’est faux > et en plus ils sont mal rémunérés pour cela. Donc leur esprit justifie, trouve des explications, des interprétations, se compare à autrui même si ce n’est pas comparable. Il s’agit là de retrouver une forme de sens à ces injustices pour ne pas être en situation insupportable de conflit mental à son propre sujet. Or le conflit mental est source de changement, il est salvateur quand on décide d’y faire face et de le résoudre.

Le problème est donc l’idéologie du travail par rapport la réalité du travail (qui n’a strictement rien à voir avec cette idéologie) et cette injustice perpétuelle de la loi de réciprocité bafouée (cette loi étant "je te donne, tu me donnes en retour de façon réciproque, égale). Le problème n’est pas le chômage. Le problème n’est pas les chômeurs. Le problème est dans le travail.

Si vous voulez plus de détails et en savoir plus sur la dissonance cognitive, je vous invite vivement à consulter ces liens :

 

"Le chômeur ne peut pas aller bien, parce que le travail et ce qu’il fournit sont le pré-requis au bien-être, au bonheur."

 

Cette vision est partagée par les deux "clans" adverses, cependant on constate dans la réalité que :

"Le chômeur est une victime, il faut l’aider"

Cette vision a au moins le mérite de ne pas répudier les allocations, de ne pas accuser le chômeur de méfaits dont il n’est pas responsable. Mais elle reste problématique à bon nombre de niveaux :

Mais… la réalité du chômage est dure

 

Ce qu’on a vu précédemment se rapportait plus au point de vue que peuvent avoir certains salariés, certains "dissonants cognitif", certaines personnes ne connaissant pas le chômage, certains hommes politiques ou personnalités aliénées culturellement (c’est à dire ne connaissant pas la réalité du travail comme du chômage).

Nous allons à présent nous placer à côté des chômeurs, qui, on le comprend très bien, peuvent ne pas être convaincus par notre audacieux titre "le chômage, la solution à la crise" et considérer le chômage comme un enfer.

Nous ré-enfilons pour cette partie le costume du hacker social, car nous voyons autant d’opportunités de faire bouger les lignes, de se construire pour bouger les lignes, dans le travail salarié que dans le chômage. L’activité de hacking social y est certes différente, mais elle est bien présente chez le chômeur "alternatif" (on aurait pu l’appeler le chômeur heureux, mais le terme est déjà pris et ne nous convient pas complètement).

Revenons donc à l’aspect morbide du chômage, à cette idée que le chômage c’est l’enfer, que la réalité du chômeur est dure. En effet, il est absolument vrai que certains chômeurs vivent leur non-statut comme un enfer, et cela dans des domaines que nous allons explorer un par un pour y voir comment notre chômeur-alternatif-hacker-social s’en sort.

Les interactions avec pôle emploi sont parfois humiliantes, violentes et dramatiques. Pour plusieurs raisons, notamment celles-ci :

- c’est une machine bureaucratique, à l’instar de la CAF, de la sécurité sociale ou des impôts. Comme toute administration publique, on a vite fait de devenir chèvre, et les agents aussi : entre les papiers requis, les papiers manquants, les normes de l’administration "c’est par téléphone que cela se règle" "non, pour ça il faut prendre rendez-vous", les localisations changeantes "non c’est pas votre agence, ici", la recherche du bureau (les agents sont en compétitions pour trouver un bureau libre), les incohérences "on a bien reçu votre courrier, mais pas les documents que vous dites avoir envoyé", les erreurs qu’on vous attribue "on n’a jamais reçu votre dossier", le manque de formation des agents "le métier dont vous nous parlez n’existe pas", le manque d’agents, la lenteur d’enregistrement des infos, etc. Les chômeurs y pètent littéralement les plombs, les agents y affrontent la violence, la tension du pôle augmente, tout le monde stresse, et plus personne ne semble pouvoir réellement contrôler la machine bureaucratique, ni ces agents, ni les usagers. Le monstre de papier est indomptable est parfois franchement sadique. Il en est de même pour toutes les autres enseignes administratives, dans différents styles.

- Les entretiens : ils consistent essentiellement à vous faire rentrer dans des cases "réalistes" et vous ôter tout espoir d’avoir un métier un tant soit peu intéressant. On y apprend que son diplôme n’a strictement aucune importance, ainsi le doctorant qui aura eu le "malheur" de faire de la restauration durant ses études sera casé dans la recherche d’emploi en restauration. Qu’il n’espère pas prétendre à chercher mieux ou différent, ce petit snob ! C’est une première forme d’humiliation, qui nie en douceur toutes vos compétences les plus pointues, qui nient vos qualités, vos différences, vos envies de polyvalence (on rentre dans une case, pas deux !).

- les propositions de formations/ de stage : le pole emploi fonctionnait au chiffre (nous ne savons pas si c’est toujours le cas, nous parlons d’un temps avant les immolations, et nous espérons qu’il ait changé) : il ne s’agissait pas là de chiffre d’affaires, mais de chiffre de chômeurs. Il fallait que les agences baissent leur taux de chômeurs, donc il fallait les caser à tout prix dans des stages, des formations ou les radier dès que possible. Il s’agissait par exemple d’inciter le bac+5 en littérature de suivre une formation l’aidant à rédiger son CV ; de faire participer l’informaticien à une sorte de cours sur la façon d’accéder au site web de l’agence (c’est-à-dire entrer son identifiant et cocher des cases…) ; d’offrir de la main-d’œuvre gratuite à Leclerc (et bon nombre d’entreprises autres) ; etc… Ce sont tout autant de faits qui humilient le chômeur, lui fait perdre toute confiance en lui, le pousse à la dépression et au désespoir.

- Les radiations surprises : elles consistent à couper du jour au lendemain les allocations et poussent certains à s’immoler. Ces radiations sont signe d’une rentrée d’argent de zéro euro pour un temps indéterminé, dépassant souvent le mois, vu que les re-inscriptions sont parfois très lentes. Et essayer de chercher un emploi avec zéro euro en poche, c’est impossible : vous ne pourriez même pas prendre le bus pour aller à l’entretien.

Comment peut-on avoir un heureux chômage avec cet enfer administratif ?

- En n’ayant jamais confiance en la machine bureaucratique, défaillante du pôle à la sécu et en étant aussi administrativement chiant que celle-ci. Il ne s’agit pas là d’être chiant vis-à-vis des agents, ils sont aussi victimes que le chômeur du système défaillant de leur administration. Concrètement, le chômeur alternatif s’arme toujours de sa mallette de paperasse à chaque inscription ou requête. La vision de la mallette en question suffit parfois à ce que l’agent revoie à la baisse ces demandes de papiers.

-le chômeur alternatif n’hésite pas à s’assurer que le problème est réglé, que tout est enregistré, si possible il demande un papier le confirmant. Il le fait avec convivialité et professionnalisme. Le chômeur alternatif n’a aucune envie de s’énerver, c’est fatigant et ça ne sert à rien.

- quand le chômeur alternatif répond à des courriers, il photocopie en triple (voire plus) tous les papiers liés à la requête, colle son matricule et ses coordonnées partout à l’encre noire ineffaçable, agrafe le tout solidement, joint une lettre détaillant toute l’affaire dans ses moindres détails (photocopié et conservé évidemment), il l’envoie à la poste avec recommandé s’il en a les moyens ou la dépose en main propre, demande une confirmation orale de la bonne réception du dossier (voire écrite). La procédure semble excessive, mais en fait, même avec toutes ces précautions, les administrations sont encore capables de perdre un papier et de vous accuser de ne pas tout avoir envoyé (si par exemple on oublie les agrafes). Donc il va les appeler et aller sur place pour redemander confirmation au moindre doute.

- Le chômeur alternatif, s’il cherche encore un emploi, n’espère pas une quelconque aide du pôle emploi dans sa quête : il sait leur impuissance et il sait que les gros recruteurs du pôle (ceux dont on voit perpétuellement les annonces) recrutent beaucoup parce que les employés démissionnent beaucoup, les conditions de travail étant souvent déplorables. Ce qui explique au passage pourquoi tant d’emplois sont non pourvus : ce n’est pas une question de fainéantise, c’est une question légitime de survie, car certains jobs sont un enfer peu rémunérateur (voire moins rémunérateur que le chômage, un comble).

- Tant que c’est possible, le chômeur alternatif évite toute interaction avec le pôle emploi : les entrevues avec le pôle sont généralement mauvaises pour le moral. Bien que des agents soient sympathiques, l’ambiance seule du pôle est rédhibitoire. De plus, les agents étant surmenés, le chômeur alternatif, par son absence de requête, leur permet de s’occuper de ceux qui le veulent encore. Plus les années passent, plus on constate dans certaines régions que le pôle n’arrive plus à harceler quiconque de rendez-vous infructueux, ce qui est une excellente chose pour tout le monde.

- Certains chômeurs en transition ne s’inscrivent tout simplement pas au pôle emploi.
- Les chômeurs heureux préconisent la dissolution de ce genre de service administratif :

" comptez au total combien d’argent les contribuables et les entreprises consacrent officiellement "au chômage" et divisez par le nombre de chômeurs. Hein ? Ça fait sacrément plus que nos chèques en fin de mois, pas vrai ? Cet argent n’est pas principalement investi dans le bien-être des chômeurs, mais dans leur contrôle chicanier, au moyen de convocations sans objet, de prétendus stages de formation-insertion-perfectionnement qui viennent d’on ne sait où et ne mènent nulle part, de pseudo-travaux pour de pseudo-salaires, simplement afin de baisser artificiellement le taux de chômage. Simplement, donc, pour maintenir l’apparence d’une chimère économique.

Notre première proposition est immédiatement applicable : suppression de toutes les mesures de contrôle contre les chômeurs, fermeture de toutes les agences et officines de flicage, manipulation statistique et propagande (ce serait notre contribution aux restrictions budgétaires en cours), et versements automatiques et inconditionnels des allocations augmentées des sommes ainsi épargnées." Manifeste des chômeurs heureux

Rappelons pour le "détail" que pôle emploi a dépensé 500 000 euros pour son logo, ce qui équivaut à environ 416 allocations de 1200 euros (donc bien plus large que ce que reçoivent habituellement les chômeurs) et 1035 allocations RSA (pour une personne seule). Le directeur de pôle emploi reçoit 275 000 euros par an ce qui équivaut à 229 allocations chômage (même calcul que précédemment) par an et 569 allocations RSA. Pris différemment, le salaire de ce directeur aurait pu faire vivre 20 personnes relativement confortablement ou faire survivre 47 personnes sur un an.

En ces temps où la presse ne cesse de parler des dettes de l’unedic, réduire (en premier lieu) ce pôle emploi qui ne sert à rien serait une façon de récupérer des fonds.

La baisse substantielle des revenus créée une fracture entre le mode de vie d’avant et celui de chômeur : en effet, les chômeurs les moins préparés à leur état ont pu accumulé crédits, charges importantes, mais qui étaient gérables quand les revenus étaient plus hauts et surtout fixes. Le chômage n’a rien d’un statut régulier : radiations surprises, grosse coupe dans les allocations à chaque heure travaillée, baisse progressive des allocations, calculs à retardement de la CAF (c’est à dire maximum d’allocations en période faste de travail, baisse importante voire dettes de plusieurs centaines d’euros en période de vache maigre). Les charges ne peuvent plus être suivies, les imprévus deviennent ingérables et pour beaucoup, la seule solution est de s’endetter encore à nouveau.

Certains chômeurs peuvent aussi se retrouver sans argent du tout : avoir moins de 25ans sans avoir travaillé de sa vie et être étudiant (pas de RSA ni d’allocations chômage autorisé pour eux, même sans bourses ni aide des parents), les radiés, les malades (s’ils déclarent leur maladie, les allocations chômage sautent, la sécu reprend le relais, mais il faut parfois des mois pour qu’elle verse le moindre centime). Et là, c’est l’enfer, parce que sans argent on ne peut même pas essayer de travailler.

Comment le chômeur alternatif arrive à s’en sortir ?

En regardant un peu les portefeuilles sur rue 89, force est de constater que certains chômeurs et précaires gèrent admirablement bien le peu d’argent.

Les anti-pauvres verraient dans cette affirmation la preuve des abus d’allocations, des sales combines, des fausses déclarations, du travail au black, de la vente de drogues ou autres produits hors circuit officiels. Pour certains, c’est vrai. Ce sont des solutions à leur survie : faute de trouver du travail, ils se débrouillent pour vivre comme les autres. Leurs "sales combines" ne les rendent pour la plupart pas riche, mais smicards. [spoiler breaking bad] On est bien loin des revenus de Walter White. [fin de spoiler breaking bad] Mais pour d’autres, et c’est l’immense majorité, pas d’illégalité, pas de sales combines ; ils se débrouillent en vivant différemment.

- Les chômeurs alternatifs se sont lestés de toutes charges trop pesantes : finis les crédits, finis les loyers exorbitants (en renonçant à vivre à Paris par exemple), finis les achats irréfléchis, fini la consommation ostentatoire. Ils ne dépensent que pour des produits dont ils ont vraiment besoin et qu’ils ne peuvent obtenir autrement que par l’achat.

- certains chômeurs alternatifs sont spécialistes des bonnes affaires et gestionnaires hors pair : ils vont à la chasse au solde, au gratuit, mais sans jamais s’égarer à l’achat impulsif, irréfléchi. Ils n’achètent pas parce que c’est 50% moins cher, mais parce qu’ils ont besoin de cet objet, qu’ils l’ont traqué et patienté jusqu’a sa promotion.

-Les chômeurs alternatifs savent que l’argent est rare, donc dès qu’ils en obtiennent plus, ils ne dépensent pas tout et conservent le maximum de côté pour se parer au pire (radiation surprise, indu CAF, ordinateur ou voiture en panne, etc.).

- ils consomment les "produits" culturels avant de les acheter. Autrement dit, ils piratent comme tout le monde. Ils s’épargnent ainsi l’énervement d’avoir perdu des euros pour bouse vidéoludique et récompensent les œuvres qui le méritent vraiment. Évidemment, le chômeur alternatif est pourvu d’une carte de bibliothèque lui permettant d’offrir à volonté de la nourriture pour son esprit. Il peut donc se nourrir culturellement et intellectuellement bien plus que n’importe quel salarié (parce que le chômeur a le temps et l’énergie), c’est une chance qu’il saisit à son maximum avant d’être obligé de laisser son cerveau ou son corps à un employeur.

-Le chômeur alternatif sait que le mode de vie des travailleurs plus aisés que les smicards n’est pas possible pour lui et, avec le temps, il arrive à ne plus se comparer à eux et ne plus être jaloux. Cela passe par un dé-formatage, des prises de conscience des vraies richesses de la vie qui n’ont rien à voir avec des Rolex, des voyages à Tahiti ou autres luxes. Il sait qu’on peut vivre dans l’opulence, mettre des costards à plus de 5000 euros et être profondément malheureux, s’ennuyer et ne trouver aucun sens à sa vie. Il sait qu’on n’a pas besoin d’être propriétaire pour commencer à être heureux et trouver la vie palpitante, c’est un travail sur soi qui peut se faire dans n’importe quelle condition matérielle. Ce n’est pas "baisser les bras" face à l’injustice du partage des richesses, bien au contraire, c’est choisir une alternative : la première voie serait de vouloir acquérir toujours plus de richesse afin d’avoir un statut enviable, c’est l’idéal de la société de consommation, c’est devenir le "winner" ; le chômeur est ici chercheur d’emploi assidu, luttant contre les temps morts, cherchant à rejoindre la société par tous les moyens, étant admiratifs des "winners" ; la deuxième voie, c’est le contraire : le "winner" est haï, détesté, on le combat, se moque de lui, on lui attribue tous ces problèmes, on veut voir sa tête coupée pour prendre un peu de sa part de gâteau. On y vit dans un perpétuel énervement, on est tout le temps en colère et on renforce la puissance des "winners" ; la troisième voie, l’alternative, celle à laquelle nous aspirons, ne s’énerve pas, ne hait pas, ne combat pas, n’envient pas les winners ni quiconque : on construit, on teste, on bidouille, on expérimente d’autres voies. Il s’agit autant de s’amuser, de profiter de la vie, être heureux, que de chercher des solutions au fonctionnement de la société, notamment le fameux "partage de gâteau".

Notons au passage que pour vivre mieux le changement, mieux vaut couper toute antenne diffusant les idéologies de la consommation : ne travaillant pas, l’anesthésiant télévision n’est plus nécessaire au chômeur qui devrait plus nécessaire en pleine possession de ces forces mentales non vidées par un exploiteur quelconque. C’est le bon moment pour dire stop à la télévision donc, mais aussi aux magazines de consommation (les féminins et masculins, exclusivement tournés vers la société de consommation et ne diffusant aucune information), à Facebook qui n’est qu’une vitrine promotionnelle des amis qui accroît sensiblement la mésestime de sa propre vie, et trouver d’autres centres d’intérêt plus profitables. La réalité, par exemple…

- les chômeurs alternatifs ne délèguent plus à la société de consommation l’ensemble de leurs besoins et leurs problèmes : c’est-à-dire qu’ils font par eux même, en réparant, bricolant, bidouillant, s’occupant d’autrui, produisant et préparant (et pas forcément de la méthamphétamine). Ils contrent sans le savoir contre l’obsolescence programmée en réparant et bidouillant ; ils contrent là aussi sans en prendre conscience la malbouffe en préparant leurs plats, voire en cultivant ; ils s’occupent de leurs proches (enfants ou personnes âgées) ; Ils prêtent tout autant qu’on leur prête, ils rendent des services et on leur en rend en retour par loi de réciprocité ; etc.

Les résultats sont une baisse importante des dépenses, une fierté de faire par soi-même, un sentiment d’accomplissement (lorsqu’on mène une tâche d’un bout à l’autre), une hausse de la qualité des produits de consommation utilisés pour soi et l’entourage, plus de respect de l’environnement, de meilleures relations sociales avec ces proches et l’entourage aidé, et, plus globalement, les retrouvailles avec des activités sensées, qu’on effectue d’un bout à l’autre, dont on profitent directement, qui aident directement son entourage, et qui s’organisent dans un projet éthique.

Attention, le chômeur n’est pas systématiquement à l’image d’un retraité cultivant son potager et préparant à manger pour toute la famille : les compétences non agraires sont aussi mises à profit ! On pense à l’informatique, aux hackers de tous poils, aux créatifs, aux bricoleurs, aux gens ayant un don pour les relations sociales, aux bénévoles, aux pirates qui font un véritable travail d’archiviste en mettant en ligne des "produits" culturels introuvables ailleurs, aux activistes, aux artistes, aux intellectuels qui continuent la recherche en dehors des institutions, etc. Leur point commun est qu’ils produisent du gratuit, qu’ils le partagent, et qu’ils reçoivent en retour du gratuit, des services, de la reconnaissance. Ils sont extrêmement utiles à la société tout en détruisant la société de consommation pacifiquement et positivement.

Le seul inconvénient de ces activités est le temps qu’elles requièrent, les compétences qu’elles nécessitent parfois. Cependant, le chômeur est celui qui est le plus riche en temps.

Les chômeurs néophytes ou même les salariés forcés de se reposer rapportent parfois cet ennui : ils préféreraient être au travail, y suer, s’y fatiguer, pas même pour le salaire, mais simplement parce qu’une fois chez eux, ils s’ennuient. Et cela, même en ayant une grande famille, il s’ennuie. C’est un phénomène qui nous était particulièrement difficile à comprendre, mais qui s’explique assez simplement : quand une personne a eu l’habitude d’un certain train de vie, le changement de rythme provoque un certain choc. La routine est brisée, on démarre un cycle de vie qui demande à ce qu’on s’occupe différemment, qu’on s’organise différemment, bref, tout est à reconstruire. De grandes vacances, un grand arrêt maladie, la retraite, le chômage, toutes ces situations sont un choc, une rupture nécessitant une reconstruction. Et c’est d’autant plus difficile si on n’a jamais eu de nombreuses heures pour soi et son entourage, car on n’a jamais expérimenté la liberté. C’est aussi pour cette raison que beaucoup de salariés très longue durée prennent les chômeurs pour des fainéants : ils pensent que le chômage est une sorte de week-end prolongé, que les chômeurs y font les mêmes activités que le salarié au repos, c’est-à-dire glander, se reposer, se distraire, se détendre, s’occuper un peu des affaires de la maison ou des proches. Or cela n’a rien à voir, le chômage est une autre façon de vivre, qui se gère tout autrement.

Le chômeur serait-il donc un actif ?

 - On l’a vu précédemment l’enfer financier et l’enfer administratif demande une gestion qui est un travail à part entière, se planifiant à long terme pour éviter les situations d’urgence. C’est une occupation très différente de celle du salarié longue durée, quoique le salarié précaire connaisse aussi ce travail de prévention des situations catastrophiques. Plus le chômeur est expérimenté, plus il sait gérer, moins cette activité est prégnante.

- le chômeur alternatif a le temps de se construire : en développant des compétences/passions qui lui serviront ainsi qu’à des proches ou des inconnus, en cultivant ses connaissances sur le monde et ses problématiques, en réfléchissant sur le vrai sens qu’il veut donner à sa vie, en regardant en face ce qui a motivé ces choix jusqu’à présent, en jaugeant ce qui avait de l’importance ou non, en regardant les influences subies, celles dont il ne veut plus et celles qui ont un impact positif, en regardant ces conflits mentaux et en cherchant comment les résoudre une bonne fois pour toutes. Le but est l’apaisement de l’âme, le développement d’outils et compétences qui apporteront un vrai plus à sa vie, et cela quelles que soient les situations où il se trouve. Cela n’a rien à voir avec le fait de se mettre à la broderie pour "passer le temps" (horrible expression à notre sens), il s’agit de commencer à rédiger sa vie et mettre en œuvre ce script tel qu’on l’entend, tel qu’on l’estime juste, tel qu’il nous semble en cohérence avec le monde dans lequel on vit. C’est par exemple, faire le constat que la vie de travailleur comme celle du chômeur tel que la société l’entend ne nous convient pas ; c’est faire le constat qu’en effet, on est réellement dégoûté de l’industrie agro alimentaire et ses produits, que l’agriculture moderne et ses fruits gonflés à l’eau et l’engrais nous débectent ; c’est accepter en soi ce profond désaccord et commencer à mettre en œuvre ce désaccord, concrètement : en s’exilant à la campagne, en faisant de l’agriculture telle qu’on l’entend, proprement et avec qualité ; c’est connaître le succès de cette démarche et commencer à la partager avec tous, améliorant au passage les techniques ; c’est devenir tel que Pierre Rabhi, par exemple.

Dans une version rurale, c’est prendre par exemple conscience que sa façon de travailler était problématique ; or, on adorait pourtant notre métier avant de rejoindre l’ex-entreprise ; c’est prendre conscience que l’organisation nous poussait à prendre les gens pour des crétins (pour augmenter la productivité, on se débarrasse plus vite d’un client quand il est considéré comme idiot) ; c’est alors mettre fin à cet ex-conflit mental en s’entraînant à travailler différemment, c’est à dire en formant le beau-frère à l’informatique et en testant d’autres techniques pour qu’il arrête de faire planter sa machine continuellement ; puis c’est trouver des nouvelles façons efficaces de convaincre son entourage d’utiliser Linux et des logiciels libres, par exemple ; etc…

- Donc le chômeur, en se construisant a le temps de construire pour autrui : c’est la suite logique de l’action et cela se fait d’abord avec l’entourage proche, les voisins, les associations voire à plus grande échelle. Cela se fait en ligne comme IRL, en testant, en partageant, en échangeant, en expérimentant.

Pour résumer, on pourrait dire que le chômeur se créé un autre emploi, qui peut être une réinvention de son métier d’origine, de ses passions, mais toute la différence c’est que cet ouvrage est libéré des contraintes organisationnelles, des contraintes physiques et mentales (on va à son rythme, on se distrait comme on veut, on travaille où l’on veut, etc.), libérées de la domination et des rapports de puissance. Cet ouvrage peut être social, en investissant auprès de ses proches, de son entourage, dans une association ou ailleurs ; il peut être activiste et se rallier à un mouvement (attention que ça ne vire pas à la manière d’un travail salarié, avec ses rapports de domination et ses manipulations) ; il peut être bénévole, dans une association ; il peut être totalement novateur, créatif, original ; il peut être activiste sans même qu’on s’en rende compte, ce sont toutes les activités qui aident autrui à sortir de la société de consommation en les formant, en les nourrissant, en les aidant à gérer différemment, en les invitant à l’autonomie ; etc.

C’est également retrouver le goût des choses bien faites, de la bonne manière, avec le temps qu’il faut : c’est retrouver une lenteur salvatrice essentielle a l’ouvrage bien fait, avec les temps de réflexion, de pause permettant de profiter de l’activité en question sans qu’elle devienne un enfer, c’est renouer avec la solidarité et la convivialité naturelle, parce non, nous ne sommes pas des individualistes cyniques misanthropes, ce sont les organisations (travail, commerces, médias…) qui nous poussent à penser de cette manière pour des raisons de rentabilité.

La société nous dit que c’est le travail qui crée le lien social. Force est de constater que oui, même dans les métiers les plus abjects, c’est souvent le lien social avec ses collègues qui motive à pointer chaque matin, qui maintient éloignée l’envie de démissionner.

Le travail mélange les gens et ses personnes d’horizons divers vivent côte à côte à partir d’activités qu’ils partagent. Cela a le don de créer des amitiés, des histoires d’amour, des histoires d’amant, des histoires d’ennemis, des groupes et des contre-groupe dont les ragots, les bêtises et les plaisanteries créant une forme de vie sociale parfois très intéressante.

Le chômage prive de ces petits univers sociaux, de ces clusters de vie sociale mouvante, des rires partagés avec ces inconnus d’hier, de ces activités barbantes qui pourtant ensemble sont rehaussées d’intérêt. Le chômeur finit par déprimer de cette absence sociale, même s’il garde le contact avec des gens, il se rend soudain compte que leurs discussions sont comme prononcées en une langue étrangère, celle du monde salarié dans telle entreprise. L’exclusion est là.

Mais cette exclusion repose sur une croyance dépassée, à savoir que ce n’est que par le travail qu’on peut avoir une vie sociale riche.

Un cluster social de chômeurs ?

On peut très bien partager des galères communes, des victoires communes où l’on s’autocongratule de l’œuvre accomplie, créer des amitiés avec des inconnus d’hier, avoir des discussions interminables sur un ouvrage, s’atteler ensemble à résoudre des problèmes avec des personnes d’horizons très différents, et cela sans pour autant être dans la sphère professionnelle :

- le chômeur peut facilement tester cette non-solitude sur le Net : en s’accrochant à des forums, des discussions, des sites, des communautés et en investissant un peu de temps et d’attention à des problématiques, il constatera qu’il peut retrouver ce mélange social, ce bazar, ces chiants et futurs amis tout comme dans n’importe quelle entreprise. Si on s’intéresse à quelque chose, on ne peut pas être exclu : cet intérêt sera forcément partagé par autrui, donc il faut aller à la rencontre de cet autrui.

- Évidemment, cela se trouve IRL également, avec plus d’intensité, dans les associations, les mouvements, les groupes de passionnés ou tout simplement le groupe d’amis chômeurs construit.

- La seule différence avec la rencontre du futur milieu social qu’on souhaite rejoindre, c’est qu’ici, on choisit et on est libre. Le grand danger, c’est le même que celui du monde professionnel : c’est se laisser aller à la servitude et ne plus réfléchir, se laissant guider par les influences. On peut aussi se retrouver aliéné à une activité non salariée également…

C’est le plus grand fardeau du chômeur : la société le voit comme un problème, un problème dont il serait en grande partie responsable. Le chômeur serait incompétent, utopiste quant à ses souhaits d’emploi, faignant, pas assez motivé, trop exigeant, trop snob, trop dédaigneux, pas assez courageux, trop vieux, trop jeune, pas assez beau, pas assez bien fringué, trop gros, trop maigre, etc.

Le pôle emploi participe fortement à cette stigmatisation, comme on l’a largement vu ; mais les proches, certains salariés, les politiques et les médias diffusent aussi largement cette pression. Même ceux qui paraissent bienveillants ! De nombreux proches s’emploient par exemple à aider le chômeur à "s’en sortir", lui organisant un planning de ministre-chercheur d’emploi, générant sans le savoir une pression sociale démesurée et nocive, entrant en contradiction avec ce qui serait nécessaire au chômeur : les faux bienveillants l’empêchent de s’adapter à son statut de chômeur, ils l’exposent à quantité de défaites, d’humiliation, ils l’empêchent de mener sa barque de la façon qui lui serait appropriée. L’ennemi du chômeur, ce n’est pas le manque de travail, c’est la pression sociale pourrait se résumer ainsi "si tu ne trouves pas d’emploi, tu n’existes pas, tu n’es rien, tu ne peux pas vivre, tu es exclu, tu es un problème à régler".

Subir et se laisser vivre dans cette pression sociale qui diffusent et martèlent la société, c’est laisser vivre les stéréotypes en nous, et la laisser prendre le pas sur ce qu’on l’on est vraiment. "On est ce que l’autre dit que l’on est", c’est un mécanisme automatique, un biais psychologique auxquels on est tous soumis pour le meilleur comme pour le pire. Les conséquences d’un étiquetage négatif par la pression sociale sont la perte de confiance en soi, le symptôme du "cancre" (je suis bon à rien), c’est le risque de devenir l’image des stéréotypes qu’on nous renvoie.

 Cette pression sociale est dramatique autant pour ceux qui la subissent que pour ceux qui la diffusent : ces diffuseurs de pression sociale (faux bienveillant inclus) font preuve d’un cruel manque de perspectives, ils montrent par là même leurs œillères en ne voyant qu’une seule route possible, alors qu’on pourrait emprunter mille autres chemins ; ces œillères sont signe d’un formatage profond, voire devenu pathologique étant donné l’annihilation manifeste de leur capacité à imaginer d’autres cheminements que ce qu’ils vivent.

Il est là, le cancer de la société : dans la pression sociale intolérante, sans imagination, sans curiosité, abreuvée d’idéologies dépassées, confinées dans un marasme de stéréotypes, jalouse et craintive de ce qu’elle ne comprend pas, de ce qu’elle n’arrive pas à contrôler ou perçoit comme une menace.

Sur ce dernier point, nous nous accordons : oui, la société peut se sentir menacée par le chômage et ses chômeurs, parce qu’en effet, forcé de vivre différemment, ils changent la société, la transforment, la font muter tranquillement vers de nouveaux paradigmes. Le chômage fait peur parce qu’il est la chute qui précipite le changement, ouvre de nouveaux horizons. Cependant, la société nous fait croire qu’il n’est que chute, ce qui est faux. Il y a toujours reconstruction, cependant ce n’est pas du fait de la société, mais des chômeurs eux-mêmes ainsi que des salariés tolérants et ouverts. Mais cela nécessite une réflexion pas forcément facile psychiquement, puis une construction et de mettre au second plan (voire au rencart) le rôle de chercheur d’emploi.

Comment se libérer de la pression sociale ?

Le chômeur alternatif refuse toute pression sociale, car il sait que cette pression sociale vise à l’empêcher de s’émanciper, à l’empêcher de reprendre les vraies rênes de sa vie et s’activer hors et contre la société de consommation (entre autres), vers de nouveaux territoires lui appartenant.

- Le chômeur alternatif se libère de la pression sociale en comprenant que les diffuseurs de pression sociale sont souvent inconscients de leur discours : ce sont des préjugés, des stéréotypes qu’ils diffusent, donc ils les répètent parce c’est la norme, qu’eux-mêmes suivant cette norme il est de leur devoir de défendre ces idées, même s’ils n’y ont jamais réfléchi. Il est alors intéressant de les pousser à réfléchir en leur posant des questions nécessitant de la réflexion. Sans agressivité et avec un réel intérêt pour leur opinion, cela peut être prolifique : ne serait-ce que pour voir que leur argumentation a ses failles et n’est pas en phase avec la réalité. Il faut guider la conversation pour qu’elle s’appuie sur des faits réels, leur propre expérience, les gens qu’ils connaissent, etc. Leur pression sur le chômeur (ou celui qui est stéréotypé) sera inactivée par les failles observées de leur raisonnement ou par la preuve de leur méconnaissance du sujet.

- le chômeur alternatif s’entoure de personnes qui comprennent le chômage, qui n’en font pas un drame et qui ne le culpabilisent pas.

-Le chômeur alternatif connaît le contexte, il sait son importance : s’il n’est pas recruté ici, si ses candidatures ne mènent à rien, ce n’est pas que de sa faute. Il y a de moins en moins de travail disponible, c’est un fait ; et même dans les métiers où il y a recrutement, la connaissance du chômage par les employeurs les fait avoir des exigences très élevées. Donc il a cessé de se culpabiliser.

- le chômeur alternatif ne s’offusquera pas et ne prendra pas pour signifiantes les initiatives insensées du pole emploi pour le faire sortir des statistiques : le pole est une machine bureaucratique malade (pas ses agents), atteinte d’une forme d’encéphalite spongiforme administrative. Le pole ne dit rien de sa réalité, de ce qu’il est ou devrait être.

- le chômeur alternatif finira par faire disparaître la pression sociale en devenant "quelqu’un" dans d’autres activités, dans d’autres rôles qu’il se sera choisis, dans des environnements différents. Cela peut être aussi bien dans la sphère familiale, amicale, associative, dans la sphère de ses passions, etc. Pour reprendre notre métaphore, il s’agit de la prise de conscience que le plâtre n’existe pas, que sa main droite peut être active et que sa main gauche a soif d’exercer également.

C’était long, je vous l’accorde, mais on arrive à une forme de conclusion. Ouf.

La société va être obligée d’accepter le chômage, non pas comme l’absence d’emploi, mais comme façon de vivre : parce que jamais le chômage ne reculera à moins de catastrophes épouvantables (ce qui n’est pas souhaitable, pas souhaité, excepté chez les gros brutalistes complètement tarés).

Donc il faut l’accepter et pour cela il faut en finir avec cette vision totalement utopique, surréaliste du travail salarié paradisiaque qui comblerait tous les besoins de l’homme. Il y a des activités qui resteront à jamais pénibles, pour lesquelles personne ne sera reconnaissant. Dans l’idéal, on devrait se partager le sale boulot. En restauration par exemple, il est courant que ce soit tout les employés (les chefs, c’est plus rare, mais ça arrive aussi) sur le terrain qui fasse le ménage : c’est globalement bien vécu, étant donné que l’activité défoule après des moments de tensions. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi dans les bureaux ?Pourquoi les boss ne s’occuperaient pas eux même de vider leur poubelle ? Ce serait plus rentable, pourtant… Mais convaincre de cette idée est une tâche d’hacker social salarié, nous nous égarons de notre sujet.

L’acceptation du chômage passe aussi par la question des allocations : il faut, à notre sens, les repenser totalement. Qu’elles puissent atteindre les 6250 euros par mois est totalement insensées et horriblement injustes envers les autres chômeurs et les salariés précaires. Il faut les plafonner, tout comme certains revenus salariés doivent l’être également. Les parachutes dorés, synonyme de licenciement massif d’employés, devraient être redistribués aux chômeurs engendrés : qui casse, paye. Tout comme les entreprises faisant de l’argent en licenciant, devraient rétribuer les chômeurs : après tout, c’est grâce à leur absence que l’entreprise fait du profit, donc il devrait bénéficier de ce profit. On devrait aussi interdite le cumul des mandats : nos hommes politiques volent le travail d’honnêtes Français ! C’est une honte. Et pendant qu’on y est, il faudrait aussi plafonner leur rémunération totalement inappropriée au vu du mauvais travail effectué (cf les députés, toujours absents ; n’importe quel salarié qui rate la moindre minute se fait amputer en conséquence son salaire, donc ce serait logique). Toujours dans une optique "qui casse, paye", il faudrait aussi que les délocalisations, qui apportent profit à l’entreprise, profitent aux salariés abandonnés et aux salariés exploités. Bon. Il y aurait pas mal de choses à faire, mais quel rapport avec les allocations ?

Il faut cesser les allocations et passer au "revenu de vie", appelé aussi "salaire à vie" ou "revenu d’existence". Pour tous, un revenu, quelque soit l’âge, la situation et cela cumulables avec les revenus salariés jusqu’à une certaine hauteur. Cela résoudrait pas mal de questions (exit la pression sociale, exit l’emploi pas assez rémunérateur voire endettant, exit l’enfer administratif, etc.). Plus d’infos ici.

Il est également temps de se rallier, chômeurs, précaires, salariés "alternatifs" ainsi que toute personne consciente des changements de paradigmes en cours. Il ne s’agit pas à notre sens de s’allier pour crier sur le gouvernement ou les multinationales (faut le faire de temps en temps tout de même), mais de s’allier pour échanger, pour construire ensemble ces nouveaux paradigmes, pour tester expérimenter ensemble. Il faudrait une structure, ne serait-ce qu’un espace de discussion pour que ces chômeurs alternatifs qui agissent déjà ou veulent agir puissent se retrouver entre collègues.

Alors, je me permets de vous poser quelques questions.

Un tel "lieu" vous intéresserait ?

Existe-t-il déjà des "lieux" de ce genre, dans l’optique de cet article, que nous ne connaîtrions pas, mais que vous connaissez ?

Chômeurs, êtes-vous inspiré ou dégoûté de nos propos ?

Que faites-vous de votre chômage, si on excepte le rôle de chercheur d’emploi ?

Que feriez-vous, salariés, si vous aviez la possibilité d’être retraité en avance ? Est-ce que se serait un rêve ou un cauchemar ?


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