Le comité Orwell dénonce une démocratie malade
par Laurent Herblay
samedi 19 août 2017
Dans « Bienvenue dans le pire des mondes », Natacha Polony et le comité Orwell montrent que la globalisation ultralibérale tend à mettre sous camisole nos démocraties, engoncées dans des traités internationaux, et qui se mettent sous la tutelle des marchés. Ce faisant, se développe une véritable tendance anti-démocratique chez les tenants du système.
Il n’y a pas d’alternative
Ils dénoncent le « soft totalitarisme, ce système qui dissout peu à peu tous les modèles alternatifs en s’appuyant sur le consentement des individus (…) Finalement, le soft totalitarisme n’est pas seulement un projet économique de constitution d’un grand marché mondial, numérisé, familiarisé et aux mains d’une minorité savante et ultra fortunée, c’est aussi une utopie qui veut croire que la malédiction politique a été conjurée. La disparition des frontières, l’interdépendance et la communication constante, le divertissement permanent et planétaire, la standardisation et l’homogénéisation des modes de vie rendent la politique inutile et portent en germe un projet de gouvernement mondial ».
Evoquant la « Fabrique du consentement » de Walter Lippmann, ils notent que les défenseurs du système actuel refusent le débat et cherchent d’abord à rendre les idées alternatives illégitimes. Ils décrivent des élites cédant au conformisme et au confort intellectuel : à l’ENA, « l’originalité est une entorse à la règle commune ». Ils parlent du « réflexe d’imitation » des élites, théorisé par Pierre Bovet dans les années 1920. Pour eux, les élites occidentales « cherchent à garder dans l’ombre l’effacement progressif de l’espérance démocratique au profit d’une forme d’hégémonie des grands privilégiés (…) des pouvoirs en archipel mais interactifs parvenant à se dispenser chaque joue un peu plus des règles du jeu démocratique (…) Les élites ont suivi leur mouvement naturel qui les pousse à dégénérer en féodalités ».
Ils évoquent un débat organisé à Sciences Po juste après le référendum du Brexit, avec 4 euro-béats, Macron, Cohn-Bendit, Quatremer et Goulard, et sans le moindre partisan de la sortie de l’UE, un « entre-soi hédonique (et) un désir revendiqué de convaincre les masses mal formées de les ramener dans le droit chemin », qui avait provoqué des réactions hallucinantes après ce référendum. Devant les réticences des peuples, les élites passent à « la technique de l’intimidation par la peur (qui) ne consiste évidemment pas à s’en prendre physiquement aux ‘mal-pensants’ mais à leur promettre une suite de malédictions, si, dans un élan de dissidence, ils ne marchaient pas sur le sentier de la raison ».
Autre dérive, celle, selon Philippe Raynaud, de « réduire les citoyens à leur groupe de référence procède d’une approche individualiste qui décourage une véritable action collective », comme aux Etats-Unis, collection de minorités où « cette approche clientéliste favorisant les minorités est pleinement justifiée par un souci d’efficacité en application de recettes du marketing recommandant de segment le marché pour mieux l’adresser » avec un monde politique qui « ne débat plus, ne convainc plus et enchaîne les séquences pour battre le camp d’en face ». Ils notent que « dès l’origine, des passerelles existent entre partisans du ‘laisser-faire, laisser-passer’ et adeptes du ‘il est interdit d’interdire’ (…) la même hostilité foncière et instinctive à l’égard de l’Etat et la même méfiance vis-à-vis de la majorité ».
Et dans la recherche d’un supplément d’âme, « parfaitement compatible avec un mépris social assumé », dans un développement proche de l’analyse de Christophe Guilluy dans « la France périphérique », affirment que les élites se rachètent avec les minorités, se créant « un peuple de substitution » pour reprendre Michel Onfray. C’est la logique décrite par Terra Nova dès 2011. Aux Etats-Unis, les grands patrons multiplient les beaux gestes pour des associations ou créent des fondations, notamment dans la nouvelle économie, une fois fortune faite. Mais, en refusant de payer les impôts qu’ils doivent à la société qui les a rendu riches, ils jouent, « les Tarfuffe et les Misanthrope ».
Dans cette démocratie de plus en plus dysfonctionnelle, il n’est alors plus tristement surprenant que plus de 90% des députés osent défaire, avec le traité de Lisbonne, ce que 55% d’entre nous avions fait trois années auparavant. Les auteurs notent également que le système actuel remet profondément en cause le modèle républicain français, ce sur quoi je reviendrai dans le prochain papier.
Source : Natacha Polony et le comité Orwell, « Bienvenue dans le pire des mondes », Plan